Glace de mer dans le détroit de Nares (Photo : Christy Hansen/NASA)

Vers une disparition précoce de la « Dernière zone de glace » ?

La « Dernière zone de glace », région du monde où l’on retrouve la glace de mer la plus ancienne et la plus épaisse, serait plus vulnérable qu’on ne le pensait, révèle une récente étude.

Cette région s’étend sur des centaines de milliers de kilomètres carrés, du large de l’archipel arctique canadien au Groenland.

Elle permet à certaines espèces, dont les ours polaires et les morses, de survivre durant les mois les plus chauds de l’année, lorsque le reste de la glace de mer arctique rétrécit. Les algues qui se prolifèrent sous ces glaces sont également indispensables à la survie de l’écosystème local.

Jusqu’à présent, cette région du monde semblait résister aux températures les plus chaudes.

Cependant, une récente étude de l’Université de Toronto Mississauga laisse à penser que cette situation pourrait s’aggraver plus rapidement que prévu.

Évolution de la glace de mer entre le 24 juin 2020 et le 4 juillet 2020. (Crédit : extrait de l’étude publiée dans Nature Communications)

Dans un article publié dans la revue Nature Communications, le Pr Kent Moore du département des sciences chimiques et physiques de l’Université de Mississauga met en avant les dangers qui pèsent sur cette « Dernière zone de glace ».

« Cette très vieille glace nous préoccupe », explique le professeur, sans toutefois perdre espoir.

« Nous espérons que cette zone persistera jusqu’au milieu de ce siècle ou même plus longtemps. Et puis, avec un peu de chance, nous parviendrons un jour à refroidir la planète. La glace va recommencer à pousser, et cette zone pourra alors agir comme une sorte de graine. »Kent Moore, auteur principal

Une perte de glace inquiétante

Dans son article, le professeur Moore et ses coauteurs expliquent que cette glace de mer pluriannuelle risque de non seulement fondre en raison du réchauffement de la planète, mais également de se déplacer en direction du sud.

Ce déplacement entraînerait alors ce que les scientifiques appellent « un déficit de glace », soit une diminution non négligeable de la glace pluriannuelle. Ce phénomène pourrait être une des causes de la disparition de cette “Dernière zone de glace”.

D’après ses recherches, M. Moore indique que « la Dernière zone de glace perd de la masse deux fois plus vite que l’ensemble de l’Arctique ».

Cette tendance, observée grâce aux images satellites du détroit de Nares, un couloir de 40 km de large et plus de 600 km de long qui s’écoule entre le Groenland et l’île d’Ellesmere, connectant l’océan Arctique à la baie de Baffin, inquiète les scientifiques.

Le détroit de Nares correspond à un couloir de 40 km de large et plus de 600 km de long qui s’écoule entre le Groenland et l’île d’Ellesmere, connectant l’océan Arctique à la baie de Baffin. L’épaisse ligne noire représente la zone utilisée pour calculer les flux de surface et de volume de glace. La zone utilisée pour caractériser l’épaisseur de la glace de mer de la mer de Lincoln est indiquée par le polygone bleu. (Crédit : extrait de l’étude publiée dans Nature Communications)

Des arcs de glace fragilisés

L’étude démontre que les arcs de glace présents aux embouchures du détroit de Nares, soit les derniers remparts à la préservation de la « Dernière zone de glace », se fragilisent.

Ces arcs de glace sont comparables à de vastes barrières retenant les glaces vieilles de plusieurs années présentes dans l’océan Arctique.

Ils se forment lorsque les températures diminuent. De gros blocs de glace se concentrent alors aux extrémités du détroit pour former un édifice spectaculaire.

« C’est vraiment très impressionnant d’imaginer une barrière de glace de 100 kilomètres de long qui reste immobile pendant des mois », explique le professeur Moore. « Cela témoigne de la force de la glace”.

« Les arcs de glace qui se développent habituellement aux extrémités nord et sud du détroit de Nares jouent un rôle important dans les déplacements de la glace de mer pluriannuelle de l’océan Arctique »Kent Moore, auteur principal

Or, la fragilisation de ces arcs met en péril la glace de mer qu’ils entourent.

Selon les scientifiques de l’Université de Mississauga, « la durée de formation des arcs a diminué au cours des 20 dernières années, alors que la masse de glace passant par le détroit de Nares a augmenté ».

Les chercheurs rappellent également que le réchauffement climatique à un impact non négligeable sur la solidité de ces arcs.

À mesure que les températures augmentent durant une partie de l’année, la barrière de glace fond et se rompt. Ce fut notamment le cas en mai 2017 lorsque l’arc de glace s’est effondré de façon précoce.

« Avant, elles persistaient pendant environ 200 jours et maintenant elles persistent pendant environ 150 jours. Il y a une réduction assez remarquable », souligne M. Moore.

Images du satellite SAR Sentinel-1illustrant l’effondrement de l’arche de glace de la mer de Lincoln en mai 2017. Légende : a) 8 mai 2017 à 12 h 55 GMT ; b) 10 mai 2017 à 12 h 40 GMT ; c) 12 mai 2017 à 12 h 32 GMT ; et d) 14 mai 2017 à 12 h 8 GMT. (Crédit : extrait de l’étude publiée dans Nature Communications)

Des conséquences pour l’écosystème local

Si l’humanité venait à voir disparaître la « Dernière zone de glace », cela aurait des conséquences n’affectant pas uniquement les espèces animales vivant sur la banquise.

Les algues de glace, qui constituent une source d’alimentation primaire pour l’écosystème local, se développent sous la glace et à travers les fissures de cette dernière.

Sans glace, il n’y aurait ainsi plus d’algues.

En parallèle des avertissements de la communauté scientifique et des efforts du gouvernement canadien pour protéger cette « Dernière zone de glace », le professeur Moore espère que son étude permettra de se concentrer davantage sur ces arcs fragilisés.

Rappelons que depuis 2019, Ottawa a classé une partie de cette région comme zone protégée en la nommant Réserve marine protégée de Tuvaijuittuq, soit « l’endroit où la glace ne fond jamais » en Inuktitut.

Moore reconnaît également qu’il ne faut pas seulement se concentrer sur ces « remparts » mais aborder le problème plus largement.

« L’échelle est tellement grande et la région est si isolée », ajoute-t-il. « La seule chose que nous pouvons faire, c’est refroidir la planète. Ensuite, les arcs se reformeront peut-être naturellement ».

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Catégories : Environnement et vie animale
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