Minh-Tri Truong, de boat people à commandant au SPVM

La chute de Saïgon, le 30 avril 1975, marquait la fin de la guerre du Vietnam. La famine, la pauvreté et le régime totalitaire communiste ont entraîné le départ de milliers de migrants surnommés boat people lorsqu’ils sont arrivés massivement au Canada, aux États-Unis et en Europe. Parmi ces migrants, Minh-Tri Truong avait 8 ans quand il a fui par la mer de Chine, avec son frère de 11 ans et sa tante, à bord d’une petite embarcation de fortune conçue pour naviguer sur des rizières.

Un reportage de Pascal Robidas

Collé contre le moteur parmi une trentaine d’inconnus, sans gilet de sauvetage, Minh-Tri se rappelle qu’on l’a réveillé au beau milieu de la nuit. Le départ en haute mer s’était fait discrètement au clair de lune.

Il laissait derrière lui une vie misérable où la survie de sa famille faisait partie de son quotidien. La famine sévissait partout dans le sud du Vietnam.

« Ma jeunesse, je mangeais une banane le matin, je mangeais une banane le midi et je mangeais une banane le soir. Ça fait 35 ans que je suis arrivé au Canada, et je n’ai plus jamais mangé de bananes. Ç’a marqué cette époque d’après-guerre pour moi. » − Minh-Tri Truong

La traversée se faisait au péril de la vie des migrants vietnamiens qui osaient s’aventurer en mer de Chine. Les risques d’être une cible pour les tirs à vue de la garde côtière ou de mourir noyé à la suite d’un naufrage étaient très élevés.

À cela, s’ajoutait la présence de pirates thaïlandais qui faisaient le guet au large. Lorsqu’ils repéraient une embarcation de boat people, ils la poursuivaient pour ensuite tuer les hommes à bord. Les femmes et les enfants étaient ensuite enlevés pour faire du trafic humain.

Sept longues journées et six longues nuits ont passé avant qu’un bateau allemand, le Cap Anamur, ne repère leur embarcation sur son écran radar. Le petit groupe perdu en haute mer n’allait nulle part. La déshydratation les menaçait de plus en plus.

Puis, l’invraisemblable s’est produit avec l’arrivée de ce navire allemand. À bord de leur embarcation de fortune, plusieurs passagers ont d’abord cru au mirage.

Le bateau de fortune sur lequel Minh-Tri Truong a passé une semaine en mer. En haut, à droite: le Cap Anamur qui a secouru les occupants. Photo : Radio-Canada

Mais le sauvetage n’était pas réalisé pour autant. Il fallait faire vite, parce que la mer s’agitait violemment.

« Nous avons eu de la chance. Quinze minutes après que tout le monde soit monté à bord en sécurité, une violente tempête s’est levée. Notre embarcation aurait coulé en un instant. » − Truong Thi Thanh Vân, tante qui accompagnait Minh-Tri Truong en mer de Chine

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, près de 250 000 Vietnamiens auraient péri en mer de Chine en tentant de fuir leur pays, de 1975 à 1990.

Minh-Tri, son frère et sa tante n’étaient qu’à quelques minutes de faire partie de ces victimes, n’eût été l’intervention in extremis du Cap Anamur qui aurait pu faire demi-tour en raison de la tempête qui se levait.

Le père de Minh-Tri, qui connaissait le risque, affirme que ses enfants n’étaient pas plus en sécurité en restant au Vietnam.

« J’avais deux choix : les laisser s’enfoncer dans la misère ou je tentais le tout pour le tout pour les envoyer vers un avenir meilleur », se rappelle Truong Lu Y, le père de Minh-Tri Truong.

Truong Lu Y, père de Minh-Tri (à gauche), et Truong Thi Thanh Vân, tante de Minh-Tri (à droite) Photo : Radio-Canada

Le camp de réfugiés de l’île Galang

Après le sauvetage in extremis par le Cap Anamur, Minh-Tri a passé 7 mois dans un camp de réfugiés sur l’île de Galang, en Indonésie. Lui et son frère y ont survécu.

« Tous les jours je marchais 10 km pour aller à la pêche avec lui. On devait monter une falaise pour redescendre au camp. Je vendais le poisson dans les baraques. J’étais capable sur l’île de me payer un Coca-Cola. C’était le luxe suprême pour un petit jeune de se payer une grappe de raisins ou une pomme. » − Minh-Tri Truong

En janvier 1980, Minh-Tri, son frère et sa tante arrivent à Montréal sur la base militaire de Longue-Pointe. Sa vie au Canada commence officiellement.

Il étudie, puis s’inscrit en techniques policières pour pouvoir parrainer sa famille qui fonde espoir en lui. Treize longues années vont les séparer.

Policier à Montréal

Aujourd’hui, Minh-Tri est commandant à la division du Crime organisé au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Son frère est devenu ingénieur chez Hydro-Québec.

« La police, c’était la façon la plus rapide d’avoir cette lettre d’embauche. Il n’y en a pas beaucoup qui le savent, mais c’est pour cette raison que j’ai décidé de devenir policier. Ça me permettait de montrer une lettre d’embauche et de revenus au gouvernement pour les faire venir rapidement [les membres de la famille]. » − Minh-Tri Truong

Sa carrière policière lui permet de redonner à la société qui l’a accueilli, il y a 35 ans. Avec son équipe, il cible les organisations criminelles qui font des affaires en matière de contrebande de stupéfiants.

Minh-Tri Truong est passé de migrant à commandant au SPVM Photo : Radio-Canada

Le cours d’un destin qui a changé

Son regard est rempli de fierté quand il est en compagnie de sa femme et de leurs enfants. Sa fille a exactement l’âge qu’il avait lors de la traversée en haute mer qui a changé sa destinée.

« C’est vrai que j’ai fêté sa fête il n’y a pas longtemps… ses 8 ans. Et je me suis mis à me demander : « Qu’est-ce que je faisais à 8 ans? ». Elle a voyagé et elle n’a jamais connu la misère. Moi, à 8 ans, je marchais seul et j’allais pêcher pour vendre le poisson à 2 cents parce que les adultes savaient que je n’avais pas de frigo et que j’allais le perdre », se rappelle-t-il.

À la veille du mois du Patrimoine asiatique, il souhaite que son histoire de survie démontre que les migrants qui fuient la misère peuvent enrichir la société à leur façon.

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