Jean Malaurie, l’avocat des peuples du Grand Nord

Photo prise le 3 mai 2001 à Paris de Jean Malaurie, fondateur et directeur de la collection anthropologique Terre Humaine. Décédé le 5 février 2024, l’anthropogéographe était un grand spécialiste de l’Arctique (Pierre Andrieu/AFP via Getty Images)

L’ethnologue et éditeur Jean Malaurie, décédé à l’âge de 101 ans, a été l’inlassable avocat des « peuples premiers », particulièrement du Grand Nord. Il a dénoncé avec charisme la « fatigue » d’un Occident qui a perdu le contact avec la nature.

Le Grand Nord exerçait sur lui « une force d’appel si profonde qu’elle était devenue une obsession », indiquait cet auteur d’une douzaine de livres, créateur de la collection « Terre humaine ».

Méfiant à l’égard des systèmes philosophiques et, selon son expression, « des grands mots en ‘ismes’, comme fascisme ou communisme », ce géographe de formation n’aimait pas les étiquettes.

Lui-même n’était pas réductible à une seule spécialité. Était-il d’abord un explorateur? Un scientifique? Un aventurier? Un écrivain? Un éditeur? Il a été tout cela à la fois.

Il a passé 10 ans de sa vie entre le Groenland et la Sibérie, a écrit un fameux livre en hommage aux Inuit : Les derniers rois de Thulé.

Premier homme, avec l’Inuit Kutsikitsoq, à rejoindre en 1951 le pôle géomagnétique Nord, qui n’est pas le pôle Nord, en deux traîneaux à chiens, Jean Malaurie a dirigé la première expédition franco-soviétique en Tchoukotka sibérienne en 1990.

Il a également été le premier Occidental à découvrir, cette année-là, « l’allée des baleines », monument du Nord-Est sibérien d’esprit chamanique, ignoré jusqu’à son identification dans les années 70 par l’archéologie soviétique.

Grande figure du CNRS français, il a cofondé au début des années 1990 l’Académie polaire d’État de Saint-Pétersbourg, chargée de former des élites chez les peuples transsibériens, dont il était président d’honneur à vie.

Immense carcasse vigoureuse aux yeux plissés, mèches blanches et épais sourcils noirs jusqu’à un âge avancé, voix tonnante, Jean Malaurie était avant tout un « caractère », une « grande gueule » hyper énergique, ferraillant contre le déclin de l’Occident. « Nos sens sont fatigués. À force de téléphones, de calculettes, nous sommes devenus des handicapés », disait-il.

« On peut être titré et sans culture, on peut être illettré et être cependant un sage »

Attaché au chamanisme, il regrettait qu’il lui soit parfois impossible « de faire comprendre que les « peuples premiers » ont une pensée égale à la nôtre ».

« On peut être titré et sans culture, on peut être illettré et être cependant un sage », assurait-il.

Il expliquait ainsi son travail : « Je suis nomade, je flaire, je note tout puis je deviens sédentaire, citoyen parmi d’autres, vêtu d’une peau de bête. » Il parlait avec ferveur des périodes passées dans des igloos, à manger du poisson cru par -5 °C (et -30 °C hors de l’abri).

Jean Malaurie est né le 22 décembre 1922 à Mayence, en Allemagne, où enseignait son père, dans une famille bourgeoise et austère. Il racontait qu’une traversée du Rhin gelé, effectuée tout gamin, a peut-être déterminé sa vocation pour le monde des glaces.

Résistant pendant la guerre, il a suivi à Paris des études de lettres et de géographie. Avec son maigre salaire d’attaché de recherche au CNRS, il est parti à Thulé, au nord-ouest du Groenland en 1950 en qualité de cartographe et géocryologue (spécialiste des minéraux).

Ce séjour changera sa vie.

« Terre humaine » (éd. Plon) est née parce qu’il a été « bouleversé » en 1951 par l’implantation brutale d’une base nucléaire américaine. Il a voulu mettre en garde contre le risque que la terre ne soit plus, un jour, humaine. À son catalogue figure le livre Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss.

Croisant la géographie, l’ethnologie et l’histoire, Jean Malaurie a contribué à bâtir une nouvelle approche interdisciplinaire de l’étude de l’homme.

« J’aimerais juste que mes cendres soient dispersées au-dessus de Thulé, au Groenland. D’une façon ou d’une autre, je continuerai à vivre, peut-être reviendrai-je sous la forme d’un papillon? » confiait-il au magazine Télérama, à quelques mois de ses 98 ans.

Il disait alors avoir « plusieurs projets en cours » pour « remettre sur de bons rails » la collection « Terre humaine », qui selon lui partait « à vau-l’eau ».

En février 2021, il a quitté ses fonctions de président d’honneur de la collection.

Louant sa conscience écologique précoce, le prince Albert II de Monaco décrivait l’auteur comme « le modèle, la référence pour tous ceux qui (…) se mobilisent pour notre planète et pour ses pôles ».

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