Le placement d’enfants de la DPJ hors de la région suscite des craintes au Nunavik

La Régie régionale de santé et de services sociaux du Nunavik manque d’espace pour répondre aux besoins. (Photo d’archives/Radio-Canada/Beatrice Deer)

Des voix s’élèvent au Nunavik pour limiter le placement d’enfants hors de la région par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Ces enfants sont parfois envoyés dans le sud de la province par manque de places en foyer d’accueil ou en centre de réadaptation, ce qui expose les jeunes à un risque de perte de lien culturel.

Ce risque a été soulevé par la juge Peggy Warolin de la Cour du Québec dans deux décisions rendues le 24 avril et le 1er mai.

Dans le premier dossier, la juge a fortement critiqué la DPJ pour avoir permis le transfert d’une adolescente dans 64 foyers d’accueil et centres de réadaptation en moins de 10 ans, majoritairement en dehors du Nunavik.

La juge Warolin a statué que cette adolescente a ainsi été privée de son droit à la préservation de son identité culturelle.

« L’enfant avait été tellement coupée de sa culture qu’elle s’est retrouvée dans un processus d’assimilation très avancé », a déclaré la magistrate.

L’adolescente, aujourd’hui âgée de 16 ans, est placée sous la protection de la jeunesse depuis qu’elle a 5 ans.

En 2021, elle a été envoyée dans un centre de Montréal, où la majorité des enfants placés sont inuit. Au bout de cinq mois, elle a été transférée, contre l’avis de ses médecins, dans un autre centre de réadaptation sans aucun lien avec sa culture d’origine.

La juge Peggy Warolin indique que cela n’aurait jamais dû se produire et que la situation a contribué à sa détresse.

La pratique équivaut à une « discrimination systémique », ajoute la juge Warolin dans sa décision.

Cas similaire

Dans le deuxième dossier du 1er mai 2024, la juge souligne le cas d’une autre adolescente de 13 ans, dont le placement en centre de réadaptation a été retardé d’un mois par manque de place, malgré une ordonnance du tribunal.

Son comportement problématique avait suscité des craintes dans sa famille d’accueil, et la Cour avait demandé à ce qu’elle soit placée en centre pour sa sécurité.

Encore une fois, la juge Peggy Warolin critique le grave manque de places dans les infrastructures de la région.

Elle y souligne par ailleurs le peu d’avancées dans ce dossier depuis le rapport de la commission Viens de 2019, qui faisait déjà état de l’important manque de places pour les jeunes de la DPJ au Nunavik.

La situation a par ailleurs été décriée récemment dans un rapport de la Commission des droits de la personne du Québec, qui en arrive à des conclusions similaires.

Perte culturelle

Minnie Grey craint que le déplacement des enfants n’accentue chez eux une perte d’attachement culturel au Nord. (Photo d’archives/Radio-Canada/Félix Lebel)

Dans la région, la situation sème de plus en plus l’inquiétude, parce qu’un enfant sur cinq est sous la responsabilité de la DPJ, soit six fois plus que dans le sud du Québec.

Pour l’ancienne directrice de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, Minnie Grey, la perte de l’attachement à sa communauté et à sa culture peut être dramatique pour les jeunes qui sont envoyés dans le Sud.

« La question de la langue est un problème. Ce sont des enfants inuit, et on doit s’assurer de préserver l’usage de leur langue maternelle […]. Ils sont loin de leurs parents, ils sont sur un territoire qui leur est étranger et ce n’est pas toujours bon pour leur bien-être », explique Minnie Grey.

Le manque de familles d’accueil dans la région pour subvenir aux besoins de la DPJ a été décrié par les syndicats dans les dernières années. Quant aux centres de réadaptation, la DPJ régionale ne compte que 61 places, dans 8 milieux différents, dont 2 à Montréal.

C’est malheureux qu’on n’ait pas les infrastructures nécessaires dans la région. Je sais que les établissements [dans le] sud ont essayé d’avoir des employés inuit, pour qu’ils puissent travailler avec les jeunes inuit, mais ce n’est pas toujours un succès.

Minnie Grey, ancienne directrice de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik

La Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik compte augmenter les places en centre d’hébergement de 61 à 118 au cours des prochaines années.

Deux campus seront aménagés pour les jeunes inuit à Montréal et au Nunavik, mais aucun échéancier n’a été dévoilé pour le moment.

Aider à la guérison

Etua Snowball croit que l’ensemble des services sociaux devrait être rendu pleinement disponible dans la région. (Photo d’archives/Radio-Canada/Félix Lebel)

Les placements hors de la région affectent les jeunes, mais aussi certains parents dans leur processus de guérison, selon le directeur général du centre de guérison Isuarsivik de Kuujjuaq, Etua Snowball.

Ce dernier est persuadé que la proximité entre les membres d’une même famille est essentielle dans le processus de cheminement personnel des usagers du centre, qui viennent par ailleurs accompagnés de leurs enfants et conjoints.

« C’est important pour l’unité de la famille qu’elle puisse guérir ensemble, à la manière inuit. Ça inclut tous les enfants […]. Chaque fois qu’un enfant est envoyé dans le Sud, il y a une forme de perte culturelle […], de langue et [d’appartenance] à la communauté », déplore-t-il.

Il faut vraiment s’assurer que ça n’arrive plus. C’est le strict minimum que de pouvoir garder nos jeunes dans la région.

Etua Snowball, directeur général du centre de guérison Isuarsivik

C’est un avis que partage par ailleurs la présidente du Qarjuit Youth Council, Janice Parsons.

La résidente de Kuujjuaq est d’avis que le fait d’éloigner les enfants des communautés est très éprouvant pour les familles et nuit au rétablissement des parents en difficulté.

« Mentalement, c’est extrêmement difficile. Je ne pourrais pas m’imaginer perdre mes enfants à l’extérieur du Nunavik et [qu’ils soient] loin de leur culture […]. Tu ne peux pas t’en remettre comme parent », dit Janice.

Tous les acteurs régionaux devraient, selon elle, s’unir pour prendre en main la gestion des familles d’accueil et des centres de réadaptation pour éviter ce genre de déplacement, causé par le manque d’infrastructures au Nord.

Avec des informations de Steve Rukavina

À lire aussi : 

Félix Lebel, Radio-Canada

Journaliste à Sept-Îles

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