L’aire de migration des caribous de Bathurst a diminué de moitié en 30 ans

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L’Atlas des migrations des ongulés, un projet interactif lancé en 2025 par l’Organisation des Nations unies, publiait jeudi de nouvelles cartes montrant le rétrécissement de l’aire de migration de la harde des caribous de Bathurst aux Territoires du Nord-Ouest.
« Les gens du Nord sont très conscients de ce qui arrive à la harde de Bathurst » , souligne Elie Gurarie, professeur en écologie de la faune au College of Environmental Science and Forestry, de l’Université d’État de New York.
Elle a chuté de plus de 99 % [sur 30 ans, NDLR] alors qu’ils étaient centraux dans la culture et l’écosystème du nord. Et maintenant, elle est sur le point de disparaître.
Elie Gurarie, professeur en écologie de la faune au College of Environmental Science and Forestry
Son équipe et lui ont mené le projet de cartographier les itinéraires de migration de ces animaux (en anglais) pour sensibiliser les populations à l’extérieur du Nord canadien à ce phénomène.
Premier constat de cette cartographie : les caribous migrent désormais moins loin.
Historiquement, la harde de Bathurst passait l’hiver dans le sud du territoire et aussi loin que le nord de la Saskatchewan avant de réinvestir le nord et l’inlet Bathurst pour mettre bas. Les chercheurs estiment que cette zone de migration historique a été réduite de moitié.
« Maintenant, on ne voit même plus de caribous dans les forêts en hiver », constate Megan Perra, candidate au doctorat au College of Environmental Science and Forestry de l’Université d’État de New York. « Ils ne s’aventurent même plus dans la forêt boréale, c’est un grand changement de ces deux dernières décennies. »
Écouter les caribous pour les comprendre
Depuis 2021, Megan Perra utilise des enregistrements audio pour mieux comprendre les comportements des caribous de Bathurst.
« Avec des balises GPS, on savait qu’ils allaient du point A au point B » , explique-t-elle, « mais on n’avait aucune idée de ce qu’ils faisaient au milieu. »
Désormais, grâce à ses données, les chercheurs sont capables d’identifier ce qui stresse les animaux, l’une des causes étant la prolifération d’insectes parasites.
Ces derniers pondent leurs œufs directement sur l’animal, causant parfois des myiases, une infection causée par la présence de larves dans les tissus vivants.
« Quand les insectes sont là, les caribous sont très actifs » , mentionne Megan Perra.
Les saisons chaudes et sèches, qu’on voit de plus en plus chaque été, vont y contribuer. Et il y aura plusieurs cycles avec ces parasites qui touchent vraiment les caribous.
Megan Perra, candidate au doctorat au College of Environmental Science and Forestry
En conséquence, les caribous cherchent des endroits plus froids et plus venteux pour se réfugier, explique Megan Perra.
L’un de ces endroits se trouve au sud du lac de Contwoyto, au Nunavut, là où trouve d’ailleurs la zone de mise bas des caribous en été.
« Le climat change, et les conséquences sont compliquées » , admet Elie Gurarie. « Probablement que cela sera négatif pour cette harde en particulier. »
L’impact sur les communautés locales
« Le peuple tłı̨chǫ chassait les animaux de cette harde depuis des temps immémoriaux » , rappelle Stephanie Behrens, la directrice du département de la protection du territoire et des énergies renouvelables au gouvernement tłı̨chǫ.
Elle fait remonter au début des années 2000 le début de la chute des caribous de Bathurst et constate depuis, impuissante, leur inexorable déclin.
Nous avons pris des mesures, restreint la chasse, mis en place un moratoire, mais malgré toutes ces initiatives pour sauver cette harde, le fait de voir qu’on n’y arrive pas, c’est décourageant et crève-cœur.
Stephanie Behrens, directrice, protection du territoire et des énergies renouvelables
Comme Elie Gurarie et Megan Perra, Stephanie Behrens s’inquiète aussi des conséquences sur le projet de corridor économique et de sécurité de l’Arctique.
« On voit des milliers d’animaux dans cette zone et il y a beaucoup de préoccupation des Tłı̨chǫs » , avance-t-elle.
Le projet de corridor économique et de sécurité de l’Arctique prévoit la construction d’une route praticable toutes les saisons au cœur de l’habitat naturel des caribous de Bathurst.
Elle croit néanmoins que, en étudiant bien le territoire et « en incluant les savoirs traditionnels des groupes autochtones » , il est possible de construire cette route en réduisant au minimum les conséquences pour la harde de Bathurst.
Le gouvernement tłı̨chǫ et la Première Nation des Dénés Yellowknives ont d’ailleurs signé un protocole d’entente pour diriger ce large projet d’infrastructure aux Territoires du Nord-Ouest.
