C’est la première fois que des chercheurs réussissent à trouver un lien clair entre l’influence des expositions toxiques sur la réduction de l’espérance de vie des membres des Premières Nations au Canada. (Photo : Jody Porter/CBC News)

Au Canada, des Autochtones meurent jeunes, empoisonnés au mercure

Les conclusions d’une nouvelle étude canadienne sont claires. Les habitants de la communauté autochtone de Grassy Narrows sont à risque d’une mort précoce avant l’âge de 60 ans pour avoir été exposés au mercure pendant des années. 

C’est la première fois que des chercheurs réussissent à trouver un lien clair entre l’influence des expositions toxiques sur la réduction de l’espérance de vie des membres des Premières Nations au Canada. L’étude a jeté une lumière nouvelle sur les effets que l’une des pires catastrophes environnementales de l’histoire du Canada a eue, et continue d’avoir, sur la communauté de la Première Nation de Grassy Narrows.

Au début des années 1960, 10 000 kg de mercure ont été rejetés dans leur écosystème aquatique. Bien que la concentration de ce métal dans les poissons, leur aliment de base, ait diminué avec le temps, elle reste élevée.

Le groupe de chercheurs dirigé par la professeure émérite Donna Mergler voulait savoir si une exposition élevée au mercure au fil du temps contribue à la mortalité prématurée (moins de 60 ans) dans cette communauté. Nous avons contacté Dre Mergler pour lui demander si elle et ses collègues étaient surpris par les résultats.

Non, nous n’étions pas surprises. À Grassy Narrows, on entend souvent que des gens de la communauté meurent jeunes. Dans le CHA (Community Health Assessment), nous avons observé que la proportion de personnes qui avaient plus de 60 ans était plus petite que des Premières Nations à travers le Canada et la population canadienne non autochtone.

En reliant des données d’exposition avec des données de mortalité, nous avons pu mettre en évidence le lien entre l’exposition à long terme au mercure et la mortalité précoce dans cette communauté. Nous avons mis des chiffres sur ce que la communauté savait et disait depuis longtemps.Donna Mergler

La recherche a analysé les données recueillies entre le 1er janvier 1970 et le 31 janvier 1997 pour 657 individus (319 femmes et 338 hommes, nés entre 1984 et 1991). Et il a été prouvé que le risque de mourir à un plus jeune âge était plus élevé chez les personnes ayant au moins une mesure de la concentration de mercure dans les cheveux de 15 microgrammes/gramme ou plus (μg/g).

Parmi les personnes décédées (n=154), la longévité a diminué d’un an avec chaque augmentation de 6-25 μg/g de la concentration de Hg dans les cheveux.

L’équipe a effectué des analyses longitudinales et des analyses cas-témoins avec des données concernant les membres de la communauté de la Première nation de Grassy Narrows.

Grassy Narrows, en Ontario, désigne à la fois une réserve et une nation du peuple ojibwé. La réserve, connue légalement sous le nom de réserve indienne 21 d’English River, fait à peine plus de 41 km2 et est située à environ 55 km au nord-est de Kenora. La Première Nation Grassy Narrows (aussi appelée Asubpeeschoseewagong Netum Anishinabek) compte 1 594 membres inscrits, dont 971 vivent dans la réserve (2019).

En 2019, la communauté a obtenu des données historiques sur les biomarqueurs de mercure grâce à un programme de surveillance gouvernemental, qui a ensuite été partagé avec les auteurs de l’étude.

Une approche par « paires appariées » (matched pair) a permis de comparer la concentration longitudinale en Hg des cheveux entre les cas (individus décédés avant 60 ans) et les témoins (individus ayant vécu plus de 60 ans).

Cette étude porte particulièrement sur les personnes qui avaient atteint ou auraient pu atteindre l’âge de 60 ans en 2019, l’étude n’a pas pris en considération les personnes nées depuis. Vos recherches futures iront-elles dans ce sens?  

Nous poursuivons nos recherches avec la communauté de Grassy Narrows. Nous continuons à analyser les données du CHA en lien avec l’exposition à long terme et les niveaux de mercure dans le cordon ombilical. Nous avons reçu une autre subvention des IRSC pour poursuivre nos recherches à l’aide des examens cliniques (neurologique, général, psychologique) et de mesures des fonctions visuelles et motrices afin de dresser un portrait des effets de l’exposition au mercure et de recommander des protocoles d’intervention thérapeutique.Donna Mergler

En ce qui concerne les bonnes nouvelles, l’étude de la professeure Mergler a aussi prouvé que la concentration de Hg dans les cheveux a diminué avec le temps. Les analyses de 36 paires appariées ont montré que la concentration de Hg dans les cheveux des personnes décédées avant 60 ans était de 4 à 7 fois plus élevée que celle des témoins vivants.

Cependant, l’équipe de recherche croit qu’il est nécessaire d’effectuer des analyses risques-avantages de la consommation de poisson d’eau douce dans la région.

La Dre Donna Mergler est membre et co-fondatrice du Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement.

Au fil du temps, CINBIOSE a développé des approches de recherche participative. Ce type d’études combinent les connaissances des collectivités avec celles de l’équipe de chercheurs. L’objectif est de faire avancer la science et, en même temps, d’améliorer la santé et le bien-être des populations. 

Mme Mergler s’est servie de ce type d’approches participatives pour étudier les effets de l’exposition au mercure dans les années 90 en Amazonie brésilienne (1996-2010), et avec des populations consommatrices de poisson au Québec (2001-2006) ainsi qu’avec la communauté de Grassy Narrows depuis 2014.

C’est justement cette année-là que la communauté de Grassy Narrows l’a contactée pour lui demander de faire une revue de la littérature scientifique sur les effets de mercure sur la santé. À l’époque, le gouvernement ontarien avait accordé un permis de coupe à une compagnie forestière sur le territoire de la communauté qui, à son tour, a sollicité une injonction pour arrêter ces travaux.

En faisant la revue de la littérature, j’avais accès à beaucoup de documents de Grassy Narrows et c’est ainsi que j’ai appris les détails du déversement de 10 000 kg de mercure dans les eaux où ils pêchaient et exerçaient les métiers de pêcheurs commerciaux et de guide de pêche, ainsi que les conséquences désastreuses sur cette communauté qui avaient un bon niveau de vie avant le désastre (85-90 % de la population avait un emploi).

J’ai lu de nombreux chapitres de livres et d’articles qui ont été écrits sur leur situation et j’ai appris que les gouvernements ontarien et canadien avaient mené des programmes de surveillance des niveaux de mercure chez cette population à partir des échantillons de sang, de cheveux et de cordon ombilical entre 1970 et 1997.Donna Mergler

Le mardi 3 décembre 2019, l’Assemblée spéciale des chefs de l’Assemblée des Premières Nations du Canada a appelé le gouvernement canadien à agir pour Le jeune Rodney Bruce de Grassy Narrows écoute un intervenant lors d’une conférence de presse. (Photo : THE CANADIAN PRESS/Adrian Wyld)

En 2016, la communauté de Grassy Narrows a invitée Dre Mergler à participer à une étude communautaire de santé du CHA pour lequel la chercheuse et son équipe ont construit un questionnaire à partir des questions du First Nation Regional Health Survey en ajoutant des questions sur la consommation de poissons et les effets connus de l’exposition au mercure.

Les résultats ont montré que la santé et le bien-être des personnes de Grassy Narrows étaient moins bons que d’autres communautés autochtones. L’exposition au mercure pendant l’enfance était un déterminant important de symptômes neurologiques et neuropsychiatriques et de certaines maladies.

Pour les enfants, l’équipe de recherche de Donna Mergler a observé des associations entre la consommation de poisson par la mère pendant la grossesse et le comportement des enfants et des conditions chroniques qui peuvent nuire à leur réussite scolaire.

On peut retrouver des informations sur ces études dans le journal anglophone The Toronto Star.

L’étude qu’Aline Philibert, Myriam Fillion et Donna Mergler ont présenté le 30 avril dans la revue The Lancet Planetary Health été financé par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC).

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Catégories : Autochtones, Santé, Société
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