Les inquiétudes montent au sein de millions de ménages canadiens dont les travailleurs rendus inactif par la pandémie et qui arrivent à se maintenir à flots financièrement depuis mars grâce aux paiements mensuels d'urgence du gouvernement de 2000 dollars. (CBC)

Modifications inquiétantes et incertaines à la Prestation canadienne d’urgence

Les chiffres les plus récents d’Ottawa, dévoilés jeudi dernier, montrent qu’il y a 8 410 000 Canadiens (sur une population active de 18 millions) qui ont demandé la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et que 43,51 milliards ont été versés.

Or, un resserrement des critères d’admissibilité à la PCU détaillé dans un projet de loi et l’annonce de mesures punitives pour les travailleurs qui ont fraudé le programme entraînent beaucoup d’incertitude.

Les inquiétudes ne sont pas prêtes de se calmer, car le projet de loi C-17 n’a pas été adopté rapidement mercredi, comme l’espérait le premier ministre canadien, en raison de l’absence du consentement des partis d’opposition. Le débat est même reporté d’une semaine, car la Chambre des communes a ajourné ses travaux à mercredi prochain.

Les députés ont quitté bredouilles le parlement en brandissant des doigts accusateurs et partisans envers leurs adversaires. Beaucoup de Canadiens qui ont reçu la PCU se posent énormément de questions sur l’avenir du programme et sur leur avenir financier.

À quoi s’attendre?

Dans sa formulation actuelle, le projet de loi C-17 est divisé en quatre parties. C’est la portion qui modifie les critères d’admissibilité à la subvention salariale d’urgence qui fait le plus grand bruit ces derniers jours. Un travailleur ne serait plus admissible à la PCU s’il refusait de revenir au travail lorsqu’il est raisonnable de le faire ou s’il refusait une offre d’emploi raisonnable.

L’autre mesure controversée du projet de loi est celle qui s’attaquerait aux fraudeurs de la PCU. Ils devraient non seulement rembourser ce qu’ils ont reçu illégalement, comme ils doivent le faire en ce moment, mais devraient aussi verser une amende importante en plus d’être exposés à une peine de prison.

Selon le projet de loi, un fraudeur pourrait ainsi s’attendre à une amende pouvant aller jusqu’à 5000 $, plus une pénalité égale au double du montant de l’aide au revenu demandée, ou à une période d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six mois.

Ceux qui empochent la PCU sans y avoir droit seront retracés. (Radio-Canada)

Une chasse aux fraudeurs ou une chasse aux sorcières?

Le débat sur le projet de loi a lieu alors que l’Agence du revenu du Canada (ARC) vient de publier des chiffres indiquant que les Canadiens ont effectué volontairement, en date du 3 juin, 190 000 remboursements au gouvernement pour de l’argent qu’ils ont reçu dans le cadre de la PCU et auquel ils n’avaient pas droit.

L’ARC a aussi révélé qu’elle examinait 600 allégations d’utilisation abusive du programme d’aide d’urgence et qu’elle encourageait les Canadiens à dénoncer ceux qu’ils soupçonnent d’avoir fraudé le programme.

L’ARC déclare qu’elle poursuivra « agressivement » la fraude. Elle dit tenir des registres des personnes qui ont reçu la prestation et pour quelle période, et qu’elle prendra des mesures ultérieurement pour vérifier que les demandeurs étaient admissibles à recevoir des prestations. En plus des relevés d’impôts des employeurs et d’autres informations pertinentes, l’ARC vérifiera également l’admissibilité des bénéficiaires lors de la prochaine période de déclaration d’impôts.

Par son côté punitif, le projet de loi des libéraux vient donc appuyer cette opération de détection des fraudeurs qui ont soumis des informations fausses ou trompeuses ou qui auraient sciemment omis de divulguer leurs sources de revenus ou d’autres faits pertinents lorsqu’ils ont demandé l’aide fédérale.

Un climat de peur?

Dan Albas (Adrian Wyld/Canadian Press)

Dan Albas, porte-parole du Parti conservateur pour l’emploi et le développement de la main d’œuvre, déclare que de nombreux Canadiens doivent maintenant rembourser leurs prestations parce que le gouvernement leur a donné des informations confuses lorsqu’il a lancé son programme d’aide financière d’urgence en mars dernier.

« Les messages contradictoires des libéraux en ce qui concerne la PCU ont semé la confusion parmi les Canadiens qui ont fait une demande de prestations. Cela a laissé un grand nombre de Canadiens inquiets de savoir s’ils ont droit à la prestation ou non. Une communication claire et concise est cruciale en période de crise. Malheureusement, les libéraux de Trudeau ont fait exactement le contraire. »

Le gouvernement se livre à une chasse aux sorcières, lance pour sa part un groupe qui représente les personnes au chômage, le Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi (MASSE). Il estime que le gouvernement Trudeau a « cédé » à une « campagne de peur » qui associe les prestataires de la PCU à des fraudeurs et à des paresseux.

L’organisme, qui rassemble 14 groupes de défense des droits, s’inquiète pour les chômeurs qui ont fait des erreurs de bonne foi, notamment en raison des ambiguïtés au sujet de l’admissibilité à la PCU par rapport à l’admissibilité à l’assurance chômage et de la confusion qui a entraîné dans des milliers de cas des versements doubles ou excédentaires.

Mardi, le premier ministre Justin Trudeau a assuré que ceux qui auront récolté la PCU par erreur, sans y avoir droit, n’auront qu’à rembourser les sommes perçues. Il a ajouté qu’il fallait cependant « aller chercher cette petite minorité de criminels » qui a utilisé la pandémie pour frauder le système.

Selon les dernières données de Statistique Canada, près de trois millions de personnes étaient sans emploi en mai, alors que de plus en plus de gens décidaient de nouveau de chercher du travail, ce qui a poussé le taux de chômage à un sommet sans précédent de 13,7 %. (CBC)

Le programme sera-t-il prolongé et dans quelles conditions?

L’autre grand souci des Canadiens qui reçoivent l’aide financière d’urgence est de savoir si elle sera renouvelée et selon quels critères d’admissibilité.

La PCU est un chèque de 2000 $ versé toutes les quatre semaines pendant un maximum de 16 semaines. Or, pour plusieurs, cette période de 16 semaines arrive à échéance dès le mois de juillet. À quoi doivent s’attendre les Canadiens après cette date?

Jean-Yves Duclos (THE CANADIAN PRESS / ADRIAN WYLD)

Le président du Conseil du Trésor Jean-Yves Duclos, membre influant du Parti libéral, a fait quelques commentaires mercredi à ce sujet. Il estime qu’une extension dans sa forme actuelle de la Prestation canadienne d’urgence, pour rallonger le nombre de semaines et permettre aux gens de toucher un autre revenu d’appoint, coûterait 64 milliards de plus.

Dans un autre scénario, le gouvernement serait moins généreux et récupérerait 50 ¢ de chaque dollar gagné par un travailleur au-dessus du seuil de 1000 $ par mois, mais les bénéficiaires pourraient recevoir 12 semaines supplémentaires de prestations, jusqu’en janvier 2021.

Le simple fait de prolonger ce nombre maximal de semaines de 16 à 28, et de prolonger le programme ainsi jusqu’en janvier 2021, coûterait dans ce scénario environ 58 milliards.

Des partis d’opposition estiment que le fait de laisser les bénéficiaires recevoir des paiements pendant 28 semaines, plutôt que le maximum actuel de 16 semaines, pourrait inciter certains Canadiens à ne pas retourner au travail, alors que le déconfinement se poursuit et que les entreprises redémarrent progressivement.

Les périodes de réclamation pourraient aussi passer de quatre à deux semaines pour les Canadiens qui subissent une perte d’emploi à court terme ou qui doivent se placer en isolement sanitaire.

Un débat entre députés qui devra donc répondre à beaucoup de questions

Dans une version finale, le projet de loi présenté par les libéraux pourrait par exemple exclure de la PCU les travailleurs qui refusent de reprendre leur poste, alors qu’ils y sont aptes, ou qui refusent une offre d’emploi raisonnable.

En vertu de la législation proposée, les Canadiens ne pourront pas prétendre à la prestation si :

  • ils ne retournent pas au travail lorsqu’il est raisonnable de le faire et que leur employeur leur demande de le faire;
  • ils ne reprennent pas un travail indépendant alors qu’il est raisonnable de le faire;
  • ils refusent une offre d’emploi raisonnable alors qu’ils sont en mesure de travailler.

Un débat à la Chambre des communes sur toutes ces questions devra attendre à mercredi prochain.

Comment allons-nous rembourser un déficit de 1000 milliards?

Dans un rapport, le mois dernier, le directeur parlementaire du budget (DPB) estimait que le déficit budgétaire canadien de cette année pourrait s’élever à plus de 250 milliards de dollars. Il ajoutait qu’une dette fédérale de plus d’un trillion de dollars à la fin de l’année n’est « pas impensable ».

Bill Morneau (La Presse canadienne)

Lorsqu’en décembre dernier le ministre fédéral des Finances Bill Morneau avait présenté sa mise à jour économique, il prévoyait un déficit de 26,6 milliards pour l’année 2019-2020 et de 28 milliards pour 2020-2021.

Au début de l’année, la dette fédérale totale était d’environ 700 milliards de dollars. Un déficit annuel de 250 milliards voudrait dire qu’il s’élèverait à 12,7 % du PIB en 2020-2021.

Pour donner une idée de l’ampleur du nouveau déficit prévu, durant les pires années de la Seconde Guerre mondiale, soit de 1942 à 1945, le gouvernement canadien avait adopté des mesures qui avaient entraîné d’énormes déficits, atteignant en moyenne 21 % du produit national brut (PNB).

Le mois dernier, le gouvernement libéral de Justin Trudeau affirmait qu’il ne pensait pas devoir augmenter les impôts.

Le ministre canadien des Finances déclarait se concentrer sur la nécessité de s’assurer que l’économie soit en mesure de croître une fois la pandémie terminée. « Nous ne pensons pas à augmenter les taxes. Ce à quoi nous pensons, c’est préserver notre économie pour l’avenir, en s’assurant que nous pouvons revenir à un endroit dynamique. »

Bill Morneau mentionnait toutefois que le Canada devra faire face à des décisions difficiles sur la manière de payer cette réponse à la pandémie.

À la question de savoir s’il songeait à une réduction des services, M. Morneau a répondu que c’était un problème auquel les Canadiens devraient faire face une fois qu’ils seraient remis sur pied.

RCI avec CBC News, La Presse canadienne et Radio-Canada

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Catégories : Économie, Politique
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