« Plus de 32 000 réfugiés colombiens au Canada ont fui le conflit armé. Toutes ces personnes portent avec elles une partie de l'histoire et la vérité de ce qui s'est passé en Colombie. Ces gens ont un passé de déracinement. Ils vivent avec les impacts des événements violents vécus en Colombie, mais aussi de l'exil. » Martha Colorado de la Commission colombienne de vérité au Canada (CCVC). (Imagen : Adriana Contreras / CCVC)

Peur et résilience | La Commission colombienne de vérité au Canada

Le Canada est le troisième pays d’accueil des réfugiés et des exilés de Colombie dans le monde. En effet, plus de 32 000 réfugiés colombiens résident au pays, la plupart desquels ont dû quitter leur pays d’origine en raison du conflit armé qui, entre 1964 et 2016, a fait 260 000 morts, 45 000 disparus et 6 millions de déplacés.

En 2016, l’accord de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie prévoyait, entre autres, qu’une commission pour entendre les victimes et leurs familles serait créée. En raison du nombre important de réfugiés colombiens au Canada, une Commission colombienne de la vérité a aussi été instaurée ici.

Elle travaille par l’intermédiaire d’un réseau formé par des bénévoles colombiens et canadiens vivant dans les provinces de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, du Québec et de l’Ontario.

Nous en avons parlé avec Martha Colorado, coordonnatrice des noyaux de cette commission en Colombie-Britannique et en Alberta. Elle nous a dit que depuis leur création, ces noyaux ont accompli diverses tâches, dont celui de faire connaître les objectifs et la mission de la commission aux Canadiens, mais aussi aux Colombiens au Canada qui voudraient y témoigner.

« Cette commission s’intéresse aux témoignages de personnes qui ont dû partir de la Colombie en raison du conflit armé, qu’ils soient victimes, auteurs ou témoins d’un événement violent. Nous avons collecté ces témoignages, créant ainsi un rapprochement avec eux, ce qui représente un pas vers la reconnaissance et vers la dignité des victimes. Nous voulons que les exilés colombiens au Canada sachent qu’une autre réalité est possible en Colombie. » Martha Colorado

Dans le cadre de leurs travaux, les membres de la Commission colombienne de la vérité au Canada ont réalisé des analyses statistiques des profils sociodémographiques de la communauté colombienne en exil au Canada, particulièrement dans les villes où ils ont travaillé.

Martha Colorado avoue qu’ils n’ont pas encore réussi à atteindre tous les Colombiens qui vivent au pays. Elle croit que malgré l’importance et la valeur du travail accompli, les témoignages recueillis jusqu’à maintenant ne sont qu’un petit échantillon.

« Beaucoup ne veulent pas témoigner de peur de se retrouver devant leurs propres souvenirs ou de revivre ce qui leur est arrivé. Une fois ici, ils veulent oublier, ils ne veulent pas rouvrir cette boîte de Pandore. » – Martha Colorado (Imagen : Adriana Contreras / CCVC)

Pourquoi une Commission colombienne au Canada?

« Depuis que la Commission a commencé à fonctionner, ça a toujours été prévu d’établir un travail avec les Colombiens en exil et au Canada. 

Plus de 32 000 réfugiés colombiens au Canada ont fui le conflit armé. Toutes ces personnes portent avec elles une partie de l’histoire et la vérité de ce qui s’est passé en Colombie. Ces gens ont un passé de déracinement. Ils vivent avec les impacts des événements violents vécus en Colombie, mais aussi de l’exil.

Ils ont également beaucoup à dire sur la confrontation, sa persistance et la résilience, car la grande majorité d’entre eux ont dû reconstruire leur vie dans un autre endroit. Mais ils considèrent toujours la Colombie comme un lieu de référence et peuvent contribuer largement à la construction d’une Colombie pacifique, là où c’est possible, à la coexistence et à la fin des crimes commis jusqu’à maintenant. » Martha Colorado

Les résultats de cette commission seront connus plus tard. Est-ce possible de résumer l’expérience des réfugiés colombiens au Canada?

Martha Colorado croit qu’au-delà des différences de parcours, plusieurs émotions et vécus sont semblables pour la majorité des exilés colombiens.

« Les personnes exilées passent par différentes étapes, passant de l’incertitude, à la dépression, à la perte de sens, au choc culturel et à la reconstruction de leur vie. Beaucoup en parlent comme d’une nouvelle naissance. Nous avons constaté que la peur demeure malgré les années. Ce que nous avons vécu en Colombie est une blessure ouverte et s’exprime par la méfiance des autres personnes en Colombie, de l’État et du gouvernement colombien.

Au bout d’un certain temps, bien qu’ils se sentent rassurés et qu’ils apprécient la vie qui leur est offerte ici, beaucoup aspirent à un retour, même temporaire, surtout les personnes dont la famille élargie reste en Colombie.

Par ailleurs, pour les personnes ayant fait partie de mouvements sociaux, d’institutions ou d’organisations dans lesquels elles jouaient un rôle important qui donnait un sens à leur vie ou qui leur assurait un certain rôle de leadership, beaucoup d’entre elles se sentent perdues ici dans la lutte pour la survie de leurs familles. Le besoin de travailler et d’adopter un mode de vie ne leur donne pas le temps de s’occuper de cette autre partie d’eux-mêmes qui est complètement niée. » Martha Colorado

Ces craintes et frustrations sont souvent alimentées aussi par le conflit en cours en Colombie, qui a été exacerbé à nouveau au cours des deux dernières années par le manque d’engagement du gouvernement dans le processus de paix, croit Martha Colorado.

Le climat politique en Colombie a également eu un impact sur le travail de la commission, car même si les exilés colombiens au Canada sont partis il y a 15 ou 20 ans, ils craignent toujours pour la sécurité de leurs proches et d’eux-mêmes s’ils décident d’y retourner. Beaucoup ont dit que c’est la raison pour laquelle ils ne veulent pas témoigner, avoue Mme Colorado.

« Par ailleurs, beaucoup ne veulent pas témoigner de peur de se retrouver devant leurs propres souvenirs ou de revivre ce qui leur est arrivé. Une fois ici, ils veulent oublier, ils ne veulent pas rouvrir cette boîte de Pandore. » Martha Colorado

La commission dispose de groupes de volontaires et de divers noyaux dans 23 pays. Chacun a des équipes chargées de recevoir les témoignages.

Les personnes qui témoignent le font volontairement et, avant de témoigner, elles doivent signer un formulaire de consentement qui autorise l’enregistrement de l’entretien et sa prise en compte dans le rapport final.

Ces témoignages sont téléchargés dans un système informatique administré directement à Bogota, où ils sont transcrits, codés et analysés. Pendant la pandémie de COVID-19, un mécanisme a été créé pour permettre à la commission de recevoir des témoignages dans des salles virtuelles avec des protocoles de santé et de sécurité spéciaux.

Le rapport final de la Commission est attendu en novembre 2021.


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