TaxCOOP2020, inclut une centaine de conférenciers invités à débattre sur l'avenir de la fiscalité mondiale (Photo : Matt Cardy/Getty Images)

Une conférence canadienne aborde la coopération fiscale en temps de pandémie

Mardi marquait le coup d’envoi de la TaxCOOP2020, une conférence sur la fiscalité basée à Montréal qui réunit les principaux acteurs mondiaux du milieu afin de réfléchir et débattre d’idées nouvelles pour aider à la coopération fiscale internationale en temps de pandémie.

Crise sanitaire oblige, la sixième édition de TaxCOOP est entièrement virtuelle, mais cela ne la rend pas moins attractive que les précédentes, bien au contraire. Pour cette édition, parmi la centaine de conférenciers figurent les représentants des quatre principales instances fiscales mondiales, soit l’OCDE, la Banque mondiale, l’ONU et le FMI.

Des personnalités du gouvernement du Québec, mais aussi du Canada, seront aussi présents à l’évènement.

Afin de découvrir cet évènement, mais aussi les rouages de la fiscalité mondiale, Radio Canada International s’est entretenue avec une des cofondatrices de TaxCOOP, qui est aussi auteure de nombreux ouvrages sur le sujet, la fiscaliste canadienne Brigitte Alepin.

Devenir la « COP de la fiscalité »

La première conférence TaxCOOP s’est tenue à Montréal en 2015 et les suivantes ont eu lieu à la Banque mondiale à Washington en 2016, à l’ONU à Genève en 2017, à l’OCDE à Paris en 2018 et à Madrid en décembre 2019 dans le cadre de la COP25.

L’idée, en travaillant avec ces différentes organisations, était de gagner la confiance des acteurs internationaux du monde de la fiscalité afin de pouvoir, à terme, tous les réunir en 2020, explique Mme Alepin.

La fiscaliste se réjouit ainsi d’avoir réussi à séduire le monde des affaires pour qu’ensemble avec les gouvernements, les instances internationales et la société civile, tous puissent atteindre la justice fiscale.

« On veut la justice fiscale, mais on veut la faire avec le monde des affaires, on veut la faire en collaboration avec tout le monde. »Brigitte Alepin

Vitor Gaspar, directeur des affaires fiscales du FMI (Photo : Brendan Smialowski / AFP / Getty Images)

Le prochain objectif de Mme Alepin est que « la conférence TaxCOOP soit reprise par la Plateforme [de collaboration sur les questions fiscales] ». 

La Plateforme de collaboration sur les questions fiscales est une initiative conjointe lancée en avril 2016 par le FMI, le Groupe de la Banque mondiale (WBG), les Nations Unies et l’OCDE. Cette initiative vise à renforcer la coopération entre ces organisations internationales sur toutes les questions fiscales.

TaxCOOP serait déjà en pourparlers avec les organisations en question pour devenir la conférence officielle de la Plateforme et ainsi pouvoir lancer « les COP de la fiscalité » à l’image des COP de l’environnement, explique Brigitte Alepin.

Assister à la réforme fiscale mondiale de l’OCDE

En 2013, l’OCDE et les pays membres du G20 se sont associés pour mettre en place un cadre international visant à lutter contre l’évasion fiscale des entreprises multinationales. Cette évasion fiscale se définit par le phénomène de l’érosion de la base d’imposition et des transferts de bénéfices, désigné sous l’acronyme anglais BEPS.

L’évasion fiscale coûte aux pays entre 100 et 240 milliards de dollars de pertes de revenus par an, ce qui équivaut à 4 à 10 % des recettes mondiales de l’impôt sur les sociétés, selon l’OCDE.

Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, participera à TaxCOOP 2020. Sur cette photo, il s’exprime lors d’un point de presse au siège de l’OCDE à Paris, le 7 juin 2017, avant la signature par plus de 60 pays de la Convention multilatérale visant à mettre en œuvre des mesures liées aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion des bases et le déplacement des bénéfices (BEPS). (Photo : Eric Piermont / AFP / Getty Images)

Ainsi, le projet de l’OCDE a publié 15 actions en 2015 pour outiller les gouvernements souhaitant « lutter contre l’évasion fiscale, renforcer la cohérence des règles fiscales internationales et assurer un environnement fiscal plus transparent ». Quelque 137 pays et juridictions sont actuellement en train d’incorporer ces outils pour faire avancer la réforme fiscale mondiale.

Selon Brigitte Alepin, l’OCDE commence à se rendre compte que cette réforme ne peut se faire qu’entre acteurs politiques et nécessite l’avis de la société civile « parce qu’elle va aider à créer le momentum pour réaliser les dernières phases de changement nécessaires ». Ainsi, inclure TaxCOOP dans la Plateforme permettrait d’apporter ce chainon manquant, ajoute l’experte.

Les failles de la réforme fiscale

Pour la fiscaliste québécoise, cette réforme mondiale n’abordait pas la problématique des sociétés du numérique qui réussissent à générer des revenus dans des pays sans payer d’impôts.

Cela est notamment dû au fait que « nos régimes d’imposition se fient à des notions telles qu’un établissement physique par exemple, explique Mme Alepin, alors que plusieurs sociétés sont capables d’agir dans un pays sans vraiment avoir d’établissement ».

Ce phénomène est mis en lumière dans le reportage Rapide et dangereuse : une course fiscale vers l’abîme réalisé par Mme Alepin et présenté en avant-première durant la TaxCOOP2020. 

Afin de contrer ces entreprises, les pays participant à cette réforme, dont le Canada, ont implanté « deux piliers ». Le premier vise ces sociétés du numérique en donnant les moyens aux pays de pouvoir les imposer. Le second pilier consiste à mettre en place un impôt minimum global.

Ce dernier permettrait aux pays membres de la réforme d’imposer les entreprises établies chez eux qui réussissent à échapper à leur fardeau fiscal en incorporant des sociétés basées dans les paradis fiscaux. L’impôt minimum global consiste à contrebalancer les taux d’imposition inférieurs proposés dans les paradis fiscaux.

Lundi, la communauté internationale a officiellement convenu de poursuivre ses efforts pour lutter durablement contre les défis fiscaux posés par la numérisation de l’économie en vue de parvenir à un accord d’ici la mi-2021.

Avec ce système d’imposition, Brigitte Alepin pense même que cette réforme fiscale mondiale pourrait être verte et aider les pays dans leurs politiques environnementales.

« Si on implante un impôt minimum global, on pourrait peut-être songer à prendre un pourcentage de ce dernier pour le mettre dans un fonds international vert afin de s’assurer que les pays en développement aient les moyens de prendre le virage vert. »Brigitte Alepin
Les clefs de la relance fiscale en temps de COVID-19

La pandémie de COVID-19 a plongé le monde dans une crise financière sans précédent. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, la considère comme la plus difficile à laquelle nous ayons été confrontés depuis la Seconde Guerre mondiale et le FMI a annoncé que cette récession mondiale pourrait être plus profonde que celle de 2008. 

Pour les fondatrices de TaxCOOP, la solution pour relancer l’économie mondiale résiderait dans une taxe sur les milliardaires et leurs fondations de charité, jumelée à un impôt pour les géants du numérique. 250 milliards de dollars pourraient ainsi revenir dans les caisses des Trésors publics, selon une tribune des trois femmes publiée dans le Nouvel Obs. 

« Il faut rapidement agir pour que les fondations privées milliardaires, les individus milliardaires et les multinationales milliardaires payent leur juste part d’impôts et que les fondations privées de charité redonnent à la société un montant raisonnable. »Brigitte Alepin

Pour Brigitte Alepin, les milliardaires n’apportent rien à l’économie des pays, à l’inverse de multinationales qui peuvent créer de la richesse, et doivent donc être imposés.

Cette idée de taxer les multinationales a été récemment reprise au Canada par le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh. Comme le rapporte Lynn Desjardins, journaliste de la version anglophone de RCI, le 8 octobre dernier, M. Singh a demandé à ce que le gouvernement canadien taxe les bénéfices réalisés par les multinationales pendant la pandémie en raison des changements dans les habitudes d’achat des consommateurs.

Il a notamment pointé du doigt le géant du commerce en ligne Amazon, qui a doublé ses profits durant la crise sanitaire. Le député néo-démocrate a également exhorté le gouvernement à instituer un impôt sur la fortune et à sévir davantage contre les paradis fiscaux et l’évasion fiscale.

En réponse, le gouvernement canadien a indiqué à The Globe and Mail avoir annoncé dans son discours du Trône travailler sur des plans visant à « identifier des moyens supplémentaires pour taxer l’extrême inégalité des richesses ».

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a demandé une augmentation des taxes sur les entreprises qui ont récolté des bénéfices excessifs pendant la pandémie. (Photo : La Presse Canadienne)

Une TaxCOOP virtuelle tournée vers le grand public

Tous ces sujets vont être débattus durant la TaxCOOP2020, qui prévoit notamment de faire intervenir le public pour débattre avec les conférenciers et ainsi apporter de nouveaux points de vue.

Pour permettre de tels échanges, l’organisatrice de l’événement explique que des innovations ont été mises en place, comme des ateliers de discussion ou encore des formats de conférence en ligne permettant de créer une véritable discussion entre les participants.

L’autre aspect visant à attirer la société civile est le prix des places pour participer à la conférence. Cette dernière est gratuite pour les 2000 premières inscriptions et les places s’élèvent à 5 dollars canadiens par la suite.

La matinée du vendredi 16 octobre sera dédiée à la fiscalité du Québec. Le programme entier est disponible ici. (Photo : TaxCOOP 2020)

À cela, s’ajoutent des conférences dédiées à des thèmes spécifiques. Ainsi, un évènement présenté le 14 octobre sera dédié aux constitutions des pays incluant l’obligation de respecter la juste part d’impôt. Pour l’occasion, des personnalités et des leaders des pays africains francophones dont la constitution fait référence à la juste part d’impôt débattront ensemble pour voir comment ces dispositions pourraient être utilisées pour s’assurer que chacun contribue équitablement. 

Une autre séance sera dédiée à la fiscalité au Québec. Elle mêlera divers acteurs politiques, mais aussi du monde des affaires, pour parler des innovations que la province pourrait entreprendre pour améliorer son système fiscal.

Cet événement est aussi une manière de remercier le gouvernement québécois et canadien pour leur soutien au fil des années, explique Brigitte Alepin. Une grande part du soutien financier permettant la tenue de la TaxCOOP2020 provient du gouvernement canadien, du gouvernement du Québec et de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

La TaxCOOP 2020 a lieu du mardi 13 octobre au vendredi 16 octobre.

Avec les informations de TaxCOOP, RCI et l’OCDE.

Catégories : Économie, International, Société
Mots-clés : , , , , , ,

Vous avez remarqué une erreur ou une faute ? Cliquez ici !

Pour des raisons indépendantes de notre volonté et, pour une période indéterminée, l'espace des commentaires est fermé. Cependant, nos réseaux sociaux restent ouverts à vos contributions.