BLOGUE – Politique de défense du Canada en Arctique : plus ça change…

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Le Ranger Joe Amarualik conduit une motoneige sur la glace pendant une patrouille sur l’île d’Ellesmere au Nunavut, en mars 2007.(Jeff McIntosh/La Presse canadienne)
Début juin, le gouvernement canadien a publié des documents attendus de longue date. Enchaînant coup sur coup politique étrangère, de défense et de développement, le gouvernement canadien a voulu clarifier par des documents officiels la direction qu’il entendait donner à l’action internationale du pays.

Les experts oeuvrant sur ces questions attendaient les documents avec impatience. En effet, ces énoncés permettent de clarifier les orientations internationales du Canada. La publication d’un tel document est pertinente en soi; encore faut-il décortiquer et analyser ce qu’ils veulent dire. À cet égard, la politique de défense est la plus bavarde sur la région arctique.

Dans l’Arctique, libéraux et conservateurs s’entendent

Pour Adam Lajeunesse, titulaire de la chaire Irving Shipbuilding sur la politique de sûreté maritime dans l’Arctique à l’Université St.Francis Xavier, l’énoncé de défense du Canada reprend les engagements principaux et les priorités principales des gouvernements conservateurs précédents, tout en y ajoutant de nouvelles initiatives. En effet, Lajeunesse cible un point important de cette politique : la continuité. En fait, la continuité caractérise davantage ce document libéral que le changement. Prioriser l’achat de navires et de ressources pour patrouiller cette région demeure présent. Même ce que Lajeunesse appelle de nouveau enjeux prioritaires reposent fondamentalement sur une préoccupation des gouvernements Harper précédents : augmenter la surveillance par des moyens technologiques (drones, satellites).

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Stephen Harper, (deuxième à partir de la droite), sur un iceberg pendant l’opération NANOOK à Resolute, au Nunavut. Stephen Harper a été premier ministre du Canada de 2006 à 2015. (Sean Kilpatrick/The Canadian Press)

En fait, cet énoncé de politique nous place devant une observation intéressante : des limites géopolitiques et pragmatiques font que les politiques arctiques libérales et conservatrices se ressemblent de manière substantielle. Ces politiques reposent aussi sur une même compréhension du contexte arctique: les changements climatiques permettent une accessibilité accrue à cette région. Ce contexte pousse le Canada à assurer une surveillance et un contrôle effectif de son Arctique car il y aura plus de visiteurs dans les prochaines années, voire dans les prochaines décennies. Cela passe par de l’équipement pour permettre aux Forces armées canadiennes de pouvoir s’y déplacer et par l’acquisition de technologies permettant une surveillance à distance pour éviter que des intrus ne s’introduisent sur le territoire national.

Dans tous les cas, ces menaces ne sont pas perçues comme émanant d’un autre État et relèvent davantage de la de sécurité publique : réponse face au risque de marée noire, interpellation de trafiquants illégaux, ou réactivité pour déployer des opérations de recherche et sauvetage suite à un accident (surtout d’origine aérienne) sont les plus souvent citées. Nous ne parlons donc pas ici de menaces militaires venant d’une autre armée nationale ou d’une confrontation militaire face à un État ennemi, bien que le grand public ait souvent cette impression des responsabilités des Forces armées canadiennes dans l’Arctique..

Souveraineté ou sécurité?

Si Lajeunesse, à juste titre, souligne la continuité omniprésente dans l’énoncé, un autre expert, Rob Huebert, professeur associé à l’Université de Calgary, y va d’une toute autre analyse : le document introduit une nouvelle ère, où l’inquiétude principale passe de la défense de la souveraineté arctique canadienne à la défense de la sécurité arctique canadienne. Pour Huebert, la politique de défense canadienne présente la Russie comme un adversaire dans la région, perçue avec méfiance par le gouvernement Trudeau. L’emphase mise sur cette menace serait suffisante pour justifier ce tournant, de la souveraineté à la sécurité.

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Un hélicoptère Griffon des Forces armées canadiennes survole les côtes de l’île de Baffin pendant l’opération NANOOK, au mois d’août 2016. (Adrian Wyld/La Presse canadienne)

Évidemment, cet argument sous-entend que nous n’étions pas déjà dans une ère où des questionnements liés à la sécurité prédominent. L’argument ne tient que si l’on considère la sécurité d’une façon assez spécifique; n’est une menace sécuritaire que ce qui représente une menace d’ordre militaire provenant d’un autre État. Cette interprétation passe sous silence des menaces qui sont toujours catégorisées sous le vocable de menaces non-traditionnelles, soit des menaces non-étatiques (provenant de groupes criminels par exemple) et non-militaires (environnementales comme des marées noires par exemple). Les Forces armées canadiennes ont fait de ce type de menaces non-traditionnelles le centre de leurs exercices annuels, les opérations NARWHAL et NANOOK, depuis 2004. La sécurité est donc depuis belle lurette au cœur de l’action gouvernementale canadienne en Arctique.

La Russie et les pays arctiques

Il est vrai que la Russie est présentée comme un adversaire dans le document de 2017. Par contre, la question fondamentale depuis l’action russe en Ukraine au printemps 2014 reste entière : est-ce que les désaccords entre les pays occidentaux, dont le Canada, et la Russie sur des enjeux globaux (pensons à l’Ukraine, à la guerre civile syrienne ou à la possible interférence russe dans le processus électoral américain) vont déborder jusqu’en Arctique? Est-ce que ces tensions viendront mettre à mal la prise de décisions communes aux États arctiques sur le futur de cette région? Huebert a une opinion bien arrêtée sur la question, claironnant depuis 2014 que la gouvernance arctique va se ressentir de ces frictions.

Toutefois, jusqu’à maintenant, les États arctiques coopèrent d’une manière admirable. La politique de défense du gouvernement Trudeau nous donne très peu d’indice que la situation pourrait changer radicalement. La continuité représente plutôt le mot d’ordre de cette politique, ce qui indique un grand potentiel de consensus bipartisan sur les questions arctiques. Voilà la conclusion la plus intéressante à tirer de cette nouvelle orientation canadienne.

Mathieu Landriault

Mathieu Landriault enseigne la science politique à l'Université d'Ottawa. Il est chercheur associé au Centre interuniversitaire de recherche sur les relations internationales du Canada et du Québec (CIRRICQ). Ses travaux se concentrent sur des questions de sécurité et souveraineté arctiques ainsi que sur des enjeux touchant la politique étrangère canadienne.

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