Ottawa songe à de petits réacteurs nucléaires pour les communautés nordiques et le secteur de l’extraction
Au moment où plusieurs pays ont choisi d’abandonner progressivement l’énergie nucléaire, le Canada espère quant à lui devenir chef de file mondial dans la production de nouveaux types de réacteurs : les petits réacteurs modulaires. L’initiative du gouvernement de Justin Trudeau suscite des espoirs – l’énergie nucléaire ne générant pas de gaz à effets de serre –, mais elle soulève aussi de nombreuses craintes.
Les petits réacteurs modulaires (PRM) n’existent encore nulle part en Occident, mais Ottawa les considère comme prometteurs. « Le rôle de mon ministère et du gouvernement fédéral est d’explorer le potentiel de ces nouvelles technologies », explique le ministre des Ressources naturelles, Amarjeet Sohi, en entrevue à Radio-Canada.
Les intervenants de l’industrie nucléaire planchent depuis cet hiver sur une « feuille de route » pour faire du Canada un leader dans le marché naissant d’une nouvelle sorte de réacteur nucléaire. Ils dévoileront début novembre cette stratégie, commandée par le gouvernement fédéral.
Les petits réacteurs modulaires seraient moins puissants que les réacteurs traditionnels, mais ils pourraient être produits à la chaîne en usine et assemblés sur place, là où on en aurait besoin. Les communautés autochtones éloignées du Nord, les mines ou les champs pétrolifères d’extraction des sables bitumineux seraient des endroits tout désignés pour leur installation.
Aux Laboratoires nucléaires canadiens de Chalk River, en Ontario, on espère construire un prototype d’ici huit ans.
Énergie propre?
L’énergie nucléaire est considérée par le gouvernement de Justin Trudeau comme partie intégrante du « panier d’énergies propres » du Canada.
« Nous voyons le potentiel de cette technologie pour réduire les impacts environnementaux », note le ministre Sohi. Il affirme que son rôle est de rapprocher l’industrie, les intervenants du secteur et les provinces pour « voir comment les PRM peuvent jouer un rôle dans l’éventail énergétique du Canada ».
Gina Strati, directrice de la Division de l’énergie des Laboratoires nucléaires canadiens, croit elle aussi que les PRM permettraient au Canada de réduire ses émissions de CO2, en remplaçant par exemple les générateurs diesels dans les régions éloignées.
- Les PRM auraient une puissance maximale de 300 MW (comparativement à une puissance classique de réacteur de 800 MW);
- Selon Gina Strati, les plus petits PRM pourraient être de la taille du sous-sol d’une maison, et les plus gros, de celle d’un édifice;
- Les Laboratoires nucléaires canadiens espèrent héberger un prototype d’ici 2026.
L’enjeu des déchets radioactifs
Mais s’ils ne génèrent pas de gaz à effet de serre, les nouveaux réacteurs produiront toutefois des déchets nucléaires.
« C’est la technologie nucléaire, alors ils utilisent des combustibles nucléaires. Ils auront des déchets de combustibles », explique Mme Strati, en entrevue dans des laboratoires où l’on teste des matériaux qui pourraient entrer dans la composition des réacteurs.
On ignore pour l’instant où seront entreposés ces déchets, qui resteront radioactifs pendant des milliers d’années. Selon Mme Strati, ce sont les développeurs, notamment des entreprises privées, qui devront proposer un plan de gestion des déchets.
Puisque les PRM seront moins puissants que les réacteurs traditionnels, ils généreront individuellement moins de déchets, précise-t-elle.
En ce moment, les déchets générés par les activités nucléaires sont entreposés sur les terrains des centrales.
Mouvement antinucléaire
La démarche des libéraux en faveur du nucléaire ne plaît toutefois pas à tous. « Ils n’ont pas de mandat de la population. Il n’y a eu ni consultations ni débat parlementaire. Ils ne devraient pas aller de l’avant », plaide Gordon Edwards, fondateur du Regroupement pour la surveillance du nucléaire.
« Ce qui m’inquiète, c’est que ça va coûter beaucoup d’argent, qui pourrait plutôt être investi dans des alternatives viables, comme l’énergie solaire et éolienne », soutient le militant de longue date, rencontré à 350 km de Chalk River, en amont de la rivière des Outaouais (sud-est du Canada).
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Par le passé, Gordon Edwards est monté aux barricades contre un projet d’entreposage de déchets à Chalk River, redoutant que l’eau potable s’en trouve contaminée.
À l’instar de M. Edwards, Gilles Provost, porte-parole du Ralliement contre la pollution radioactive, estime que la question de la gestion des déchets est au coeur de l’enjeu du nucléaire.
« L’énergie propre, c’est une question de vocabulaire, signale M. Provost. Si on veut dire que ce n’est pas dangereux ou que ça ne crée aucune contamination environnementale, alors les PRM ne constituent pas une énergie propre. »
Il craint que le Canada devienne parsemé de lieux radioactifs et mal surveillés.
Même aux Laboratoires nucléaires canadiens de Chalk River, on ne peut balayer sous le tapis le risque d’un accident nucléaire. « Je crois qu’il y a toujours un risque, je ne peux pas dire qu’il y a un risque zéro, concède Gina Strati. Mais il y a beaucoup de choses en place qui sont intégrées dans le design des PRM pour réduire la probabilité [d’un accident]. »
Ces dernières années, le gouvernement fédéral a progressivement délaissé le secteur nucléaire, notamment en privatisant la division CANDU d’Énergie atomique du Canada, ces réacteurs qui faisaient autrefois la fierté du pays. Il s’apprête à changer de stratégie.
Alors que le gouvernement risque de rater ses cibles fixées par l’Accord de Paris, il est tentant pour Ottawa d’envisager toute source d’énergie qui n’émet pas de CO2.
S’ils relancent le nucléaire, les libéraux pourraient toutefois naviguer dans des eaux troubles : celles de l’acceptabilité sociale.