Le budget fédéral réglera-t-il les problèmes de connectivité dans le Nord canadien?

Ottawa prévoit des sommes importantes pour aider les communautés rurales et nordiques à avoir accès à Internet haute vitesse d’ici 2030. Ces investissements seront-ils suffisants? (iStock)
Selon le chercheur Michael Delaunay, les fonds injectés sont insuffisants.

Malgré les milliards promis par le fédéral pour la haute vitesse en milieu rural, un spécialiste affirme que les fonds promis sont insuffisants, et la stratégie inadéquate.

À l’heure où l’accès à Internet est une condition essentielle à une vie sociale et économique viable, il est de notoriété publique que le Nord et les régions rurales sont laissés pour compte dans ce domaine.

« C’est au-delà de la mauvaise connexion, rapporte la directrice générale de la NWT Association of Communities (NWTAC), Sara Brown. Dix des trente-trois collectivités des TNO sont encore branchées sur le satellite. » Celles-ci, précise-t-elle, ne sont pas toutes situées dans le Haut-Arctique.

« C’est très lent, poursuit Mme Brown, dont l’organisme rassemble les municipalités des TNO. Et toutes nos collectivités vivent des problèmes de mauvaise connexion. Si quelqu’un ajoute un logo dans un courriel, ça prend plus de temps. »

La fibre optique dans la vallée du Mackenzie a amélioré l’Internet dans plusieurs collectivités, mais beaucoup de progrès reste à faire pour le Nord, affirme la directrice de la NWTAC.

« Les municipalités ne peuvent pas participer adéquatement à l’économie du savoir, déplore-t-elle. C’est un obstacle réel […] pour suivre des cours en ligne, ce genre de choses. »

L’organisme fait depuis plusieurs années des pressions pour une amélioration de la connectivité.

« C’est un problème pour l’enseignement à distance, remarque la directrice générale du Collège nordique francophone, Josée Clermont. C’est très difficile d’avoir le son et l’image en même temps sur l’ordinateur. Les étudiants doivent utiliser, en plus de leur ordinateur, un téléphone-conférence. »

Que prévoit le budget fédéral?
Le ministre des Finances, Bill Morneau, a déposé le 19 mars son dernier budget avant la prochaine élection fédérale. (Radio-Canada)

Le budget fédéral 2019 fait état de sommes assez importantes pour l’Internet, notamment pour combler l’écart de connectivité entre les centres urbains du Sud, d’une part, et le Nord et les régions rurales, d’autre part.

Le gouvernement fédéral s’engage à ce que 95 % des ménages et des petites entreprises canadiennes aient accès à des vitesses de 50 Mbit/s pour le téléchargement de données et de 10 Mbit/s pour le téléversement de données (50/10 Mbit/s) d’ici 2026, et 100 % d’ici 2030, peu importe où ils se trouvent au pays.

De cinq à six milliards de dollars de nouveaux investissements sont promis au cours des dix prochaines années pour un service Internet à large bande dans les communautés rurales. Une partie de cette somme viendrait du privé.

Cela inclut le budget quinquennal de 750 M$ du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes pour la construction ou l’amélioration « des infrastructures afin de fournir des services Internet à large bande sans fil mobiles et fixes à des communautés ciblées dans les régions rurales, éloignées et du Nord ».

Une politique inefficace, dit un chercheur
(Photo du contributeur)

Michael Delaunay est chercheur à l’Observatoire de la politique et de la sécurité de l’Arctique.

Pour M. Delaunay, en ce qui a trait à la connectivité, le budget 2019 est un prolongement de la politique menée depuis plusieurs années par Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISD).

Or, écrit-il à L’Aquilon, un rapport du vérificateur général du Canada concluait à l’automne 2018 que cette politique mise en place par ISD état inefficace « au vu des sommes engagées ». Le vérificateur général reprochait aussi au gouvernement son absence de stratégie, absence qui n’a pas encore été comblée selon M. Delaunay.

Il déplore de surcroît que le gouvernement n’ait pas complètement tenu compte des recommandations du vérificateur, à savoir de réduire le nombre de fonds et de mécanismes de financements.

« Il va être difficile, écrit-il, de mettre en œuvre une stratégie efficace sans avoir un guichet unique pour orienter efficacement les subventions. Ce plan apparaît donc comme inadapté et sous-dimensionné, particulièrement pour l’Arctique canadien où les besoins sont immenses. »

Un financement insuffisant

Pour Michael Delaunay, le financement prévu est insuffisant.

Les quelque 6,5 milliards de dollars que le Canada veut investir pour rattraper son retard dans la bande passante sont dirigés vers la technologie satellitaire, observe le chercheur.

Or, les projets financés par le fédéral, actuels et futurs, concernent aussi bien le satellite que la fibre optique et d’autres technologies, qui demandent des investissements beaucoup plus grands. Selon ISD, rappelle M. Delaunay, il faudrait 50 milliards de dollars pour compléter le réseau canadien avec de la fibre optique. On est loin du compte.

Les 50 M$ par territoire du fonds Brancher sont insuffisants, reproche aussi M. Delaunay. Au Nunavik (Nord québécois) et en partie au Nunavut, le seul projet EAUFON est évalué à environ 435 M$.

De surcroît, déplore M. Delaunay, ce fond privilégie le satellite au détriment de la fibre optique, qui a fait ses preuves et dont le prix d’installation, élevé certes, s’amortit « tout au long de la durée de vie du câble, qui est au minimum de 20 ans, et apporte avec elle le très haut débit, ainsi qu’un volume de données quasi illimité au vu des possibilités de mises à jour possibles de ces systèmes tout au long de leur vie, au contraire du satellite ».

Le rôle du privé

M. Delaunay souligne en outre la difficulté d’aller chercher du financement du secteur privé comme l’escompte le gouvernement, alors que dans le Nord, le retour sur investissement ne peut qu’être très faible.

Enfin, note-t-il, d’ici 2030, les besoins en bande passante auront encore augmenté de manière exponentielle et dans 11 ans, l’objectif d’au moins 50-10 Mbit/s, sera depuis longtemps caduc.

La directrice générale de la NWTAC, quant à elle, s’est dite très heureuse de voir les investissements fédéraux, mais préfère attendre de voir où l’argent sera dépensé avant d’émettre des commentaires.

La compagnie Northwestel a décliné l’offre de commentaires de L’Aquilon, précisant toutefois qu’elle terminerait cette année l’installation de fibre optique à Jean Marie-River et réduirait ses coûts dans les collectivités des TNO et du Yukon recevant l’Internet par satellite. Au moment de mettre sous presse, SSI Micro n’a pas rappelé L’Aquilon.

Denis Lord, L'Aquilon

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