Forer l’Antarctique pour reconstituer l’histoire du climat

Des chercheurs européens vont extraire en Antarctique une carotte de glace renfermant les archives climatiques des 1,5 million d’années passées. (Luca Vittuari/PNRA)
De la glace vieille de 1,5 million d’années sera extraite en Antarctique au cours des cinq prochaines années par des chercheurs européens. La carotte de 2,75 kilomètres renfermerait des archives nécessaires à la compréhension des changements climatiques.

Depuis deux ans, les instigateurs du projet Beyond EPICA parcourent l’Antarctique à la recherche d’un endroit où ils pourront procéder au forage. Le site du prélèvement, près d’une région baptisée « Little Dome C », a été annoncé mardi.

Les chercheurs estiment pouvoir récupérer à cet endroit, situé dans l’est de la calotte polaire, des échantillons de glace vieux de près de 1,5 million d’années.

Les archives du climat

La glace agit comme un archiviste de l’histoire atmosphérique.

« La neige s’accumule, et certaines propriétés de la neige sont différentes suivant la température qu’il fait au moment où elle tombe », explique Alain Royer, professeur en géophysique à l’Université de Sherbrooke.

Au fil du temps, la neige se tasse et devient de la glace, poursuit-il.

Il suffit alors aux chercheurs d’analyser les bulles d’air et les particules emprisonnées dans les minces couches de glace ancienne. Ils peuvent ainsi déterminer les températures du passé et les associer, par exemple, aux niveaux de dioxyde de carbone et de méthane dans l’atmosphère.

La carotte prélevée sera longue de 2,75 kilomètres. (Vergoz Thibaut/Beyond EPICA Project)

Le projet Beyond EPICA donne suite à un premier forage dans l’Antarctique effectué de 1996 à 2004. La carotte de glace avait permis de documenter le climat d’il y a 800 000 ans.

Ces travaux ont montré que huit glaciations étaient survenues pendant cette période, soit une tous les 100 000 ans.

« En analysant les bulles d’air, on s’est aperçu que le CO2 et le méthane qu’elles renfermaient variaient exactement en même temps que les glaciations », note Alain Royer.

« Actuellement, on est capable de remonter à 800 000 ans dans les archives de l’environnement. On essaie de dépasser cette limite en cherchant la glace la plus vieille dans l’Antarctique. »

Alain Royer, professeur en géophysique à l’Université de Sherbrooke

Des indices montrent cependant qu’auparavant les périodes glaciaires se produisaient selon des cycles de 40 000 ans.

L’analyse de la nouvelle carotte de glace permettra de couvrir une période encore inconnue dans l’histoire du climat, et peut-être de comprendre ce qui a provoqué ce changement dans la fréquence des glaciations.

En obtenant les informations manquantes, les chercheurs pourront ensuite ajuster les modèles qu’ils utilisent pour prévoir les prochaines périodes de glaciation.

Le professeur Royer, qui n’est pas directement impliqué dans le projet Beyond EPICA, estime qu’il s’agit du sujet de l’heure pour tous ceux qui s’intéressent comme lui à la glaciologie et aux changements climatiques.

Il s’est lui-même déjà rendu en Antarctique, à l’endroit même où ont été effectués les premiers travaux de forage. Un lieu impressionnant, précise-t-il.

Remonter dans l’histoire
Un campement a déjà été installé à proximité du site de forage, bien que les travaux ne s’amorceront que l’an prochain. (Luca Vittuari/PNRA)

Le choix de l’Antarctique pour le prélèvement de la carotte de glace n’est pas un hasard.

« En Antarctique, ça ne fond quasiment jamais, explique Alain Royer, et il y a très peu de neige qui tombe, très peu d’accumulations. On peut donc remonter très loin dans l’histoire, sans forer énormément de glace. »

Des analyses indiquent en outre que la carotte serait intacte, contrairement à la première, et que les informations manquantes se trouvent dans les 300 mètres à sa base.

« Plus on descend, plus on remonte dans le temps », poursuit l’expert. Mais plus on descend, plus on s’approche aussi du sol, où la glace fond avec le flux de chaleur généré par la Terre.

« Toute la difficulté était de trouver un endroit où ça ne fondait pas dans le fond », concède Alain Royer.

Prédire le futur?

L’objectif derrière l’ambitieux projet Beyond EPICA est non seulement de mieux comprendre l’interaction entre les changements climatiques passés et les niveaux de gaz à effet de serre, mais surtout de prévoir ceux qui viendront.

« Sur 800 000 ans, il n’y avait pas de raison pour que les niveaux méthane et le CO2 se mettent à augmenter, avance Alain Royer. Il n’y avait pas de source anthropique comme maintenant. On a rajouté un facteur nouveau avec l’effet de l’homme. »

Les concentrations de gaz à effet de serre sont en effet plus élevées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient à l’époque.

Mais attention, prévient le professeur à l’Université de Sherbrooke, « on ne peut pas comparer ce qui se passe actuellement avec le climat ancien, parce que ces glaciations sont sur une échelle de 100 000 ans, alors que ce qui se passe actuellement, c’est sur 100 ans », prévient-il.

En comprenant mieux le mécanisme d’interaction du passé, Alain Royer concède toutefois que les chercheurs pourront voir venir ce qui nous attend au cours des prochains siècles.

Les travaux de Beyond EPICA doivent commencer l’an prochain et s’étirer sur les cinq prochaines années. Le forage ne sera effectué que pendant les deux mois de l’été en Antarctique, où la température moyenne est de -50 °C.

Daniel Blanchette-Pelletier, Radio-Canada

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