Chronique | Les femmes autochtones tombent comme des oiseaux

Les membres de la communauté peuvent se rendre dans la hutte de méditation pour prier et honorer la mémoire des deux femmes assassinées, Morgan Beatrice Harris et Marcedes Myran. (Radio-Canada)

Une chronique d’Édith Bélanger

J’ai fait un rêve. Je me tenais au bord d’une falaise et je regardais un pygargue à tête blanche planer dans le ciel. Il y avait un homme à côté de moi avec une carabine de chasse dans les mains.

Soudainement, il a levé son fusil et a tiré sur l’aigle, qui s’est décroché du ciel et est tombé en tourbillonnant vers le sol.

Je me suis réveillée en pensant : « Je ne comprends pas. »

Je pense que mon esprit est saturé de la violence.

La semaine dernière, bien des gens ont été offensés par la sortie de Carey Price sur la question des armes à feu dans la foulée du projet de loi C-21. C’est vrai qu’au même moment se tenaient des évènements visant à commémorer la tuerie de l’école Polytechnique.

Mauvais « timing » diront certains; banalisation de la violence, diront d’autres.

Moi, en voyant Carey exhiber fièrement son arme de chasse, je me suis demandé si, en tant qu’homme issu d’une Première Nation, il était aussi préoccupé du génocide actuel qui décime, au vu et au su de tous, les femmes et les filles autochtones.

Certains diront que ce n’est pas son rôle. Après tout, ce n’est pas parce qu’il est une personne autochtone qu’il doit forcément être ambassadeur de toutes les luttes.

Peut-être que c’est trop demander à nos hommes chasseurs d’assumer aussi la fonction de protecteurs?

C’est sans doute vrai. Mais alors, à qui revient ce rôle de protéger les femmes autochtones au Canada?

Si l’on vivait dans un monde normal, on pourrait tenter de répondre que c’est à la police de le faire.

Or, au Canada, la relation de confiance entre les communautés autochtones et certains services de police est de toute évidence à reconstruire. Les préjugés contribuent en effet au maintien d’une horrible statistique : au Canada, les femmes autochtones ont 12 fois plus de chance d’être assassinées que les autres Canadiennes. Dans plusieurs cas, ces décès auraient pu être évités moyennant une intervention plus rapide.

Et les oiseaux continuent de tomber, tués en plein vol.

Alors, si on ne peut pas compter sur la police, est-ce que les élus de nos communautés, nos chefs, sont en mesure de faire quelque chose?

Peut-être.

En tout cas c’est possiblement cette idée qu’avaient en tête Kera et Cambira Harris, membres de la Première Nation Long Plain, lorsqu’elles se sont adressées aux chefs de l’Assemblée des Premières Nations réunis à Ottawa la semaine dernière.

Leur mère, Morgan Harris, a été victime d’un présumé tueur en série qui aurait assassiné au moins quatre femmes autochtones près de Winnipeg. La dépouille de Morgan Harris se trouve fort probablement dans le dépotoir Prairie Green.

Or, sans vouloir être pessimiste, je me demande s’il faut placer beaucoup d’espoir dans les élus. Avec respect, le problème n’est pas nouveau et il ne suffit pas toujours d’un siège au conseil pour avoir de l’influence. Dans des communautés où tout le monde se connaît, c’est si facile de fermer les yeux, puis de feindre la surprise quand un homme que tout le monde sait violent passe finalement aux actes.

Les propos de Kera Harris sont clairs. Après avoir mentionné que le système était pourri de l’intérieur et qu’il laissait systématiquement tomber les femmes autochtones, elle a ajouté ces mots qui font tellement mal : « Ma mère a vécu dans la peur toute sa vie. »

Pouvez-vous lire entre les lignes et déduire que, comme tant d’autres, elle était en danger et que c’était aussi visible qu’un aigle qui plane en plein ciel bleu?

Combien ont détourné le regard?

Je ne comprends pas.

C’est cette phrase qui tourne en boucle dans ma tête.

Et c’est cette même phrase, toute simple, qu’a tenu à partager la mère de Joyce Echaquan lors d’un récent rassemblement à Québec. Elle a dit par le biais d’une interprète : « Je ne comprends pas pourquoi, encore aujourd’hui, avec une preuve aussi indéniable et incontestable […] qu’on ne puisse pas reconnaître le racisme systémique. »

Conclusion : dans le contexte actuel, ne comptons pas non plus sur le gouvernement du Québec.

En somme, pas plus que je ne sais à qui revient la responsabilité de protéger les femmes et les filles autochtones, je ne sais pas non plus qui pourra m’expliquer pour qu’enfin je puisse comprendre dans quel monde nous vivons.

Ce que je sais, c’est que notre meilleure option est sans doute de veiller les unes sur les autres.

Alors, Mesdames, je repartage avec vous ce message, que je vous invite à partager à votre tour avec les femmes de votre entourage : si un jour je disparaissais sans avertir, ne me laissez pas tomber, cherchez-moi!

Je compte sur vous.

Édith Bélanger est une diplômée de philosophie de l’Université Laval et de l’ENAP en administration publique en contexte autochtone. Elle est candidate au doctorat en gouvernance traditionnelle autochtone à l’UQAT. Édith est membre de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk (Malécite). 

Espaces autochtones, Radio-Canada

Pour d’autres nouvelles sur les Autochtones au Canada, visitez le site d’Espaces autochtones.

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