De la Légion de Yellowknife à l’Ordre des arts et des lettres du Québec

William Tagoona, journaliste, auteur-compositeur-interprète (Photo d’archives/Radio-Canada/Félix Lebel)

Figure nordique légendaire, membre du premier groupe de rock inuit, militant et journaliste, William Tagoona se verra décerner le titre de Compagnon des arts et des lettres du Québec le 10 juin au côté d’artistes comme Claude Dubois et Les Cowboys Fringants.

La distinction vise à « honorer des personnes ayant contribué de manière remarquable, par leur engagement et leur dévouement, au développement, à la promotion ou au rayonnement des arts et des lettres du Québec ».

Les racines nordiques de William Tagoona sont multiples. Né à Qamani’tuaq (Baker Lake) en 1952, il est ensuite assigné dans un pensionnat pour Autochtones (à l’époque appelés pensionnats indiens) à Churchill. Après quelques années à Yellowknife, il s’installe à Kuujjuaq.

C’est au pensionnat de Churchill qu’il crée, dans les années 60, ce qui est aujourd’hui considéré comme le premier groupe inuit de rock au Canada : The Harpoons. Le groupe joue des interprétations des Ventures, des Beatles, des Animals…

« On ne nous permettait pas de parler dans notre langue, alors évidemment, on ne pouvait pas chanter dans celle-ci, raconte M. Tagoona. C’était une époque très colonialiste. Les gouvernements voulaient éliminer l’inuktitut. La raison pour laquelle les gens se souviennent encore des Harpoons, c’est que nous avons été le premier groupe de rock esquimau – je vais utiliser ce mot – du pays. Au pensionnat, apparemment, les étudiants et les gens éprouvaient une grande fierté d’avoir un groupe de leur propre peuple qui jouait pour eux chaque fin de semaine. Ça les aidait à guérir du mal du pays. »

Selon M. Tagoona, tous les enregistrements des Harpoons ont été perdus ou détruits.

Un groupe multicolore

Au début des années 70, William Tagoona est agent de communication pour le gouvernement fédéral à Yellowknife. En parallèle, il joue de la batterie et fait des voix d’accompagnement dans un groupe.

« C’était vraiment un bon groupe, assure celui qui joue aussi de la guitare. Ça s’appelait Spectrum parce que nous étions de différentes nationalités. Nous avions un Déné, un francophone, un Écossais, un Philippin (aux claviers). C’était un groupe de rock’n’roll. C’était vraiment plaisant d’en faire partie. On jouait à la Légion, dans les écoles, et dans un club où il fallait être membre. »

Ce club serait l’Elks, selon l’entrevue en profondeur que M. Tagoona a accordée au bassiste et historien de la scène musicale ténoise Pat Braden pour sa série Musicians of the midnight sun.

« Il y avait trois gros orchestres à Yellowknife et un d’entre eux était le groupe de Tom Hudson, se rappelle M. Tagoona. Il était un chanteur très populaire dans cette ville. Tu en as entendu parler? Quel chanteur! Il est Cri. »

Le groupe Spectrum à Yellowknife, dans les années 70. William Tagoona porte la chemise violette. (Photo : William Tagoona, via L’Aquilon)

Hommages

« C’est vraiment bien qu’il [William Tagoona] soit reconnu et célébré pour le travail de sa vie », dit Pat Braden, qui l’a accompagné en spectacle il y a quelques années à Iqaluit.

« J’écoute William Tagoona depuis ma naissance, révèle quant à elle la chanteuse inuk Elisapie. Sa voix est unique et singulière […], c’est l’un des auteurs-compositeurs inuit les plus talentueux. Je me suis toujours dit qu’il faut, en tant que chanteur, trouver sa propre voix comme William l’a fait. Je prenais des notes mentales sur comment créer des mélodies en écoutant William. On peut même analyser mes chansons et entendre son influence […]. Il a joué un rôle majeur dans ma vie artistique et musicale. Même sa carrière de journaliste va toujours rester proche de mon cœur. On va chanter longtemps du William Tagoona, comme on fait partout dans le Nord. »

En 1999, c’est l’ancien premier ministre ténois et musicien, Stephen Kakfwi, qui a remis à M. Tagoona un prix pour l’ensemble de son œuvre au Canadian Aboriginal Music Awards.

Chanter dans sa langue

C’est peu après ce passage aux T.N.-O. que le musicien a commencé à écrire ses propres chansons, dans sa propre langue, alors qu’il travaillait pour les Inuit du Nunavik sur la Convention de la baie James et du Nord québécois. « Des chansons sur la vie, des chansons de protestations, résume-t-il. Et j’ai toujours continué. J’écris encore des chansons aujourd’hui. Je vais les enregistrer un jour, je ne suis pas pressé […]. Mes fils ont leur propre groupe. »

Sa plus récente production, Takugapkit (2022), est un réenregistrement amélioré d’un disque du même nom de 1979, auquel ont été ajoutées d’autres chansons. Mais bien avant, en 1978, William Tagoona signe Northern Man, produit par CBC et enregistré à Montréal, qu’il présente comme le premier album de musiciens inuit fait en studio au Canada, et qui amorce une série d’enregistrements professionnels de chanteurs inuit.

Des standards relevés

« Plusieurs albums sont sortis de là, rappelle M. Tagoona. Le mien était le premier. Ça a été un succès. Ça a été populaire au Groenland et c’était vendu en Allemagne, dans les pays scandinaves. Je pense que ça a donné le coup d’envoi à la musique moderne en inuktitut. Aujourd’hui, on a beaucoup de très bons chanteurs inuit et ils enregistrent partout, mais ça n’existait pas dans les années 70.

Tout ce qu’on entendait à la radio, c’était des enregistrements maison. Les gens s’enregistraient eux-mêmes avec un micro à 1 $ sur une cassette et envoyaient ça à CBC et c’était diffusé. Alors, je me suis plaint à CBC et je leur ai dit qu’ils devaient élever leur standard. Ils m’ont répondu : “On va t’offrir de faire un enregistrement à Montréal avec des musiciens de studio professionnels. Prouve-nous ce que tu dis.” Alors j’ai dit : “OK!” J’ai été à Montréal et j’ai enregistré ce disque et ça a été un tel succès que c’est devenu normal pour CBC d’enregistrer des disques chaque année. Et éventuellement, ces enregistrements se font dans l’Arctique de l’Ouest et à Yellowknife, et ils ont commencé à enregistrer de la musique dénée. »

Le studio Qimuk

Après 30 ans comme journaliste à CBC, où il a notamment animé l’émission d’informations radiophoniques Tuttavik, M. Tagoona est aujourd’hui producteur pour la télévision. « Je fais une série sur l’histoire avec la Société Makivik. On travaille à notre 10e documentaire sur l’histoire de la région [Nunavik] », précise-t-il.

Au fil des ans, plus d’une trentaine d’albums de musique ont été enregistrés au studio Qimuk, qu’il a fondé à Kuujjuaq en 1980 et qu’un de ses fils dirige aujourd’hui.

« Je me suis toujours impliqué, dit M. Tagoona. Ça m’a gardé très très occupé. J’ai 72 ans et je ne suis pas à la retraite. Je travaille encore […] et j’ai encore un groupe. Il y en a qui sont de Montréal, d’autres d’ici (Kuujjuaq). »

Reviendrait-il jouer à Yellowknife?

« On ne sait jamais, répond-il. Ça prend du temps pour voyager, rassembler le groupe. Faudrait que j’y pense. »

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Denis Lord, L'Aquilon

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