Peu de recours possibles pour les électeurs du Nunavik privés de leur droit de vote

Portrait du jeune homme.
Le jeune Tiivi Tulaugak s’est senti trahi en se voyant refuser le droit de vote. Aucun bureau de scrutin n’a ouvert dans sa communauté d’Ivujivik. (Photo : Annie Lévesque)

De nombreux citoyens du Nunavik ont exprimé leur frustration et leur déception après le cafouillage dans la tenue du scrutin dans plusieurs communautés du Nord-du-Québec. Peu de recours s’offrent toutefois à ceux qui ont été privés de leur droit de vote.

Tiivi Tulaugak, un résident d’Ivujivik, se dit frustré et trahi en ce surlendemain d’élections fédérales.

Âgé de 18 ans, il avait hâte de pouvoir faire valoir son droit de vote pour la toute première fois.

Quand j’ai su que les travailleurs des élections étaient partis, j’ai trouvé ça injuste […]. D’après moi, c’est illégal, on devrait avoir le droit de voter pour le parti qu’on veut. J’étais frustré. J’essaie de voir ce qu’on peut faire maintenant, dit-il.

Vue aérienne du village.
Environ 400 personnes habitent à Ivujivik, la communauté la plus au nord du Québec. (Photo d’archives : Thomassie Mangiok)

Dans son village d’Ivujivik, les bureaux de scrutin n’ont pas du tout ouvert leurs portes lundi. Aucune disposition pour permettre le vote par anticipation n’avait été organisée en amont.

Dans plusieurs autres communautés, les bureaux de vote ont, soit fermé prématurément, soit ouvert plus tard que ce qui était écrit sur la carte d’électeur.

C’est le cas notamment à Puvirnituq, à Salluit, à Kangirsuk, à Tasiujaq, à Akulivik et à Umiujaq, où les bureaux ont été fermés en début d’après-midi, plutôt qu’à 21 h 30. D’autres villages ont possiblement été touchés par ces réductions d’heures de vote.

Une affiche collée sur la porte du bureau de vote de Salluit, au Nunavik, le 28 avril 2025.
Une affiche indiquant que le bureau de vote de Salluit a dû fermer ses portes à 14 h 30, heure locale, en raison de « circonstances imprévues ». (Photo : Mary Papigatuk)

Au moment d’écrire ces lignes, Élections Canada n’avait pas répondu aux questions de Radio-Canada concernant le nombre exact de communautés touchées.

Le directeur du scrutin a tenté de mettre en place plusieurs stratégies différentes pour offrir des services de vote aux communautés. Dans plusieurs cas, il n’a pas été possible de recruter d’équipes locales. Dans d’autres cas, des conditions météorologiques difficiles ont empêché l’accès aux communautés, a déclaré Élections Canada par courriel.

Ces explications ont été jugées insuffisantes par plusieurs citoyens, qui estiment qu’Élections Canada n’a pas fait les efforts nécessaires pour remplir son mandat.

Sur le terrain, plusieurs intervenants ont indiqué qu’il a été difficile pour eux d’embaucher des équipes locales pour s’occuper du scrutin. Élections Canada aurait donc fait venir des travailleurs de l’extérieur, par avion, pour au moins neuf communautés du Nunavik.

Le personnel d’Élections Canada aurait ensuite quitté prématurément la région en raison du manque d’endroits où se loger.

Des électeurs attendent en file au bureau de vote de Salluit, au Nunavik, le 28 avril 2025.
De nombreux résidents, comme ici à Salluit, ont exprimé leur colère après la fermeture prématurée des bureaux de vote. Photo : François Léger-Savard)

Peu importe la météo qu’on annonce, leur travail, c’est de venir dans la communauté. […] Même s’ ils disent qu’il n’y a plus de place à l’hôtel, ils devraient louer une maison pour rester plusieurs jours et permettre le vote, affirme Tiivi Tulaugak.

Peu de recours

L’avocat spécialisé en droit individuel Julius Grey soutient que la situation relève bel et bien d’un déni de droit protégé par la Charte canadienne des droits et libertés.

Cependant, peu de recours s’offrent aux résidents qui souhaiteraient tout de même voter, ou faire annuler le résultat de lundi.

On ne donnerait pas le droit de voter plus tard parce que là, les gens voteraient en pleine connaissance de ce qui arriverait aux élections. Tout ça ne serait pas juste, souligne Julius Grey.

On annulerait plutôt le vote et on ferait des élections partielles. Mais les coûts, les difficultés logistiques sont tels, qu’on ne le fait que dans les cas où il est clair que le résultat aurait pu être différent, ajoute-t-il.

julius grey
Julius Grey est un avocat spécialisé en droit individuel et constitutionnel. (Photo d’archives : Radio-Canada/Ivanoh Demers)

Dans le cas de cette élection, la libérale Mandy Gull-Masty l’a emporté avec une marge de près de 2200 voix, ce qui ne justifie pas une telle démarche d’annulation du scrutin, selon lui.

Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres recours. Je ne sais pas si une compensation monétaire serait d’une utilité quelconque, mais c’est une possibilité théorique pour les gens privés du droit de vote, ajoute le juriste.

Enquête interne

La députée nouvellement élue, Mandy Gull-Masty, s’est dite choquée d’apprendre que le scrutin a été perturbé dans plusieurs villages.

Elle confirme avoir fait une plainte en bonne et due forme auprès d’Élections Canada et affirme que l’organisation procède actuellement à une enquête interne pour comprendre les causes de ce cafouillage.

Élections Canada n’a toutefois pas encore confirmé cette information.

J’étais vraiment triste de voir ça. Ce n’est pas juste. On a tous le droit de voter. On a aussi l’obligation, la responsabilité, de bien l’organiser. J’ai suivi le dossier toute la journée, dit la députée libérale.

La nouvelle députée Mandy Gull-Masty d'Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou.
La nouvelle députée Mandy Gull-Masty d’Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou. (Photo : Radio-Canada/Mireille Chayer)

Elle assure qu’elle compte faire la lumière sur les événements. Elle souhaite proposer que l’organisation des prochaines élections au Nunavik soit davantage faite localement, pour réduire les barrières au vote.

C’est une des choses qu’on pourrait ajuster et qui pourrait avoir un impact, soutient la députée Mandy Gull-Masty.

Réaction locale

La Société Makivvik, qui défend les intérêts des Inuit du Nunavik, s’est dite déçue de la situation et a demandé qu’une enquête complète soit faite.

Les Inuit du Nunavik, comme tous les Canadiens, méritent le droit de faire entendre leur voix, et il est du devoir d’Élections Canada et de ceux qui organisent des élections dans notre région de veiller à ce que l’accès au vote soit équitable, quelle que soit la géographie, a déclaré l’organisation par voie de communiqué.

Avec la collaboration de Rachel Watts et Samuel Wat

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Félix Lebel, Radio-Canada

Journaliste à Sept-Îles

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