Installer des conduites d’eau permanentes au Nunavik, c’est complexe

Une pelle mécanique creuse.
Une tranchée a été creusée pour acheminer l’eau jusqu’à la station de traitement du village, après le bris d’une conduite à la mi-mars. (Photo d’archives : Radio-Canada/Félix Lebel)

La crise de l’eau que traverse Puvirnituq a remis à l’avant-plan l’idée, défendue par plusieurs élus locaux, d’installer des conduites permanentes pour le transport de l’eau au Nunavik; un service plus fiable que les camions-citernes utilisés actuellement, mais à quel prix?

Depuis la mi-mars, l’accès à l’eau potable est considérablement réduit pour les résidents de Puvirnituq, en raison du bris d’une conduite qui alimente l’usine de traitement du village.

Les routes enneigées et souvent bloquées par des blizzards ont, elles aussi, mis en lumière la fragilité de la livraison d’eau par camion-citerne.

Un camion-citerne devant la station de pompage de Puvirnituq, le 19 mai 2025.
Le système de transport de l’eau par camion-citerne est perfectible, à cause des bris mécaniques ou des mauvaises conditions météorologiques. (Photo : Radio-Canada/Félix Lebel)

L’idée d’installer des conduites d’eau permanentes, enfouies par endroits, apparaît donc comme une solution prometteuse pour les élus.

Une étude sur la question avait par ailleurs été réalisée en 2018, par la coopérative de Puvirnituq. Le document prévoyait un investissement de 90 millions $ pour alimenter les bâtiments principaux en eau courante.

L’Administration régionale Kativik (ARK) a relancé le projet depuis. Une firme externe a été mandatée pour évaluer, cet été, l’ensemble des coûts liés à l’installation de conduites pour alimenter toutes les maisons de ce village de 2000 habitants.

Une rue enneigée sur laquelle circule un VTT à quatre roues.
Le projet d’installation de tuyaux à Puvirnituq sera à l’étude dès cet été. (Photo d’archives : Radio-Canada/Félix Lebel)

L’ARK estime que le projet pourrait coûter jusqu’à 500 millions $, une augmentation causée par l’inflation et la hausse des coûts de construction dans la province.

Avec l’étude, ils vont également déterminer de quel type de ressources humaines nous aurons besoin pour exploiter et entretenir [le réseau de conduites] de manière durable et infaillible, car sans cela, cela représente un demi-milliard de dollars à la poubelle, explique Hossein Shafeghati, directeur des travaux municipaux à l’ARK.

Portrait de Hossein Shafeghati en chemise.
Hossein Shafeghati et son équipe s’occupent de la gestion des projets d’infrastructures municipales dans les 14 communautés du Nunavik. (Photo : Radio-Canada)

Ce dernier souligne à quel point il est primordial d’investir, en parallèle, dans la formation professionnelle de la main-d’œuvre locale, pour développer de telles infrastructures.

Une installation complexe

Le professeur émérite à la retraite du département de géographie de l’Université Laval Michel Allard souligne la grande difficulté technique que représente l’installation de telles infrastructures.

Tout d’abord, il faut que ces conduites soient chauffées et que l’eau y soit en circulation en permanence pour éviter un gel soudain durant l’hiver, comme cela a été le cas à Puvirnituq.

Le sol de certains villages, surtout dans le nord de la région, est par ailleurs composé de pergélisol à certains endroits. Il est donc gelé en permanence.

Le village enneigé avec plusieurs maisons bicolores est réparti de part et d'autre d'une petite route.
Dans certains villages, comme à Kangiqsujuaq, le pergélisol est présent à plusieurs endroits. (Photo d’archives : Radio-Canada/Félix Lebel)

Il est donc très difficile d’y creuser une tranchée sans équipement lourd ou sans utiliser d’explosifs. C’est notamment pour cette raison que la plupart des bâtiments de la région sont bâtis sur des vérins, déposés sur le sol.

Il faut utiliser de la dynamite ou de la machinerie spéciale pour enfouir les conduites, c’est extrêmement compliqué. D’autre part, les tuyaux ont besoin d’être chauffés. Si on chauffe les tuyaux enfouis, cette chaleur va faire fondre un peu le pergélisol autour du tuyau. Ça va créer des instabilités, explique Michel Allard.

Michel Allard en entrevue dans les studios de Radio-Canada à Québec
Le chercheur Michel Allard, de l’Université Laval. (Photo d’archives : Radio-Canada/Alice Chiche)

Creuser dans des parties de sol dégelé, en été, présente aussi une certaine difficulté, puisque certaines zones sont composées de sédiments meubles, ce qui pourrait créer des tranchées boueuses et instables, selon l’expert.

La solution va probablement être différente de communauté en communauté, selon la géologie, le climat et la température du pergélisol. Ça va être un grand défi pour les concepteurs et les ingénieurs, pour la conception, la construction et l’entretien par la suite, ajoute Michel Allard.

L’installation de tuyaux extérieurs, appelés utilidors, pourrait être une solution intéressante., selon lui, puisqu’ils nécessitent peu d’excavation.

Des tuyaux à Nuuk.
Des tuyaux extérieurs, appelés utilidors, sont en fonction au Groenland, comme ici à Nuuk. (Photo d’archives : Radio-Canada/David Gunn)

C’est justement ce genre de conduites qu’on retrouve à Iqaluit, au Nunavut, ainsi qu’au Groenland. Selon Michel Allard, le coût élevé de ces infrastructures se justifie, si l’on réussit à densifier les quartiers résidentiels au Nunavik.

Scepticisme

Le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, dit ne pas être opposé à cette solution, mais qu’il reste plusieurs zones d’ombre.

Le ministre fait notamment référence au manque de main-d’œuvre locale pour effectuer l’entretien de ces infrastructures éventuelles.

Ma première réaction, c’est de dire qu’à Puvirnituq, la conduite principale, qui amène l’eau au village, a gelé. Si une conduite comme ça faisait le tour du village, est-ce que le même problème aurait pu arriver? Est-ce que le dégel du pergélisol a un impact? Ce sont des choses qu’on veut regarder, on veut trouver de vraies solutions pour que ça ne se reproduise pas, explique Ian Lafrenière.

Le ministre souhaite par ailleurs faire un bilan de la crise de l’eau à Puvirnituq, afin de comprendre l’ensemble des facteurs qui y ont contribué.

Félix Lebel, Radio-Canada

Journaliste à Sept-Îles

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