Des travailleurs migrants du Mexique maintiennent une distance sociale en attendant d'être transportés vers les fermes québécoises après leur arrivée à l'aéroport Trudeau, le mardi 14 avril 2020 à Montréal. Lorsqu'ils arrivent dans les logements prévus pour eux, les distances peuvent être difficiles à respecter. Beaucoup d'entre eux vivent avec plusieurs autres personnes dans des espaces restreints. (Photo : THE CANADIAN PRESS/Ryan Remiorz)

Les travailleurs migrants remportent une affaire judiciaire au Canada

Les défenseurs des travailleurs migrants se sont réjouis de la décision unanime de la Cour supérieure de l’Ontario de rétablir la disposition du Dr Shanker Nesathurai, chef hygiéniste des services sanitaires et sociaux de Haldimand-Norfolk, qui limitait le nombre de travailleurs agricoles migrants à trois par dortoir pendant leur période de quarantaine obligatoire de 14 jours à l’arrivée au Canada. 

Le tribunal a ainsi annulé une décision de la Commission d’appel et de révision des services de santé de l’Ontario de radier l’ordonnance du Dr Nesathurai. La Commission s’était rangée du côté de Brett Schuyler, un agriculteur du comté de Norfolk, qui a fait valoir que la disposition était  « déraisonnable » et « arbitraire ».

Dans sa réprimande de la décision de la Commission dans l’affaire Schuyler Farms Limited c. Dr Nesathurai, la Cour a déclaré que « la lutte contre les inégalités en matière de santé […] exige que le nombre de travailleurs autorisés à s’isoler ensemble soit tel que le risque qu’ils représentent pour leur santé soit comparable à celui du reste de la population lorsqu’ils sont mis en quarantaine […] Le fait de permettre à un plus grand nombre de travailleurs de s’isoler ensemble expose [les travailleurs agricoles migrants] à un niveau de risque qui n’est pas toléré pour les autres membres de la communauté, ce qui augmente la vulnérabilité d’un groupe déjà vulnérable. »

La Cour a également estimé que « si la disposition est nécessaire, en particulier dans des circonstances où le risque est élevé, alors son impact financier n’est pas pertinent ».

(Photo : THE CANADIAN PRESS/Ryan Remiorz)

Une victoire importante pour les travailleurs migrants

La Community Legal Clinic of Brant, Haldimand and Norfolk (CLC-BHN), l’Industrial Accident Victims Group of Ontario (IAVGO) et Justicia for Migrant Workers (J4MW) sont intervenus dans cette affaire en tant que coalition. Ils ont présenté leur point de vue sur les réalités vécues par les travailleurs employés dans le cadre des programmes canadiens pour les travailleurs agricoles migrants, et en particulier le Programme des travailleurs agricoles saisonniers. L’association Canadian Lawyers for International Human Rights (CLAIHR) est également intervenue dans cette cause. Ils se réjouissent de cette décision du tribunal qu’ils ont décrit comme « une victoire importante » pour les travailleurs migrants.

« Au cœur de cette décision se trouvait la question de savoir si les travailleurs agricoles migrants bénéficiaient ne serait-ce que du niveau de protection de base au milieu d’une pandémie mondiale. Et si nous nous réjouissons de cette décision. Nous devons également reconnaître que cette ordonnance ne s’attaque pas aux causes profondes de la vulnérabilité à laquelle ils sont confrontés dont le principal est leur statut d’immigration. Ce sont des questions systémiques qui nécessitent une réforme plus large. »Dora Chan, avocate à l'IAVGO

Maleeka Mohamed et Shane Martínez, co-conseillères pour Justicia for Migrant Workers, ont pour leur part souligné le besoin d’un changement systémique.

À leurs yeux, la décision de la Cour confirme les questions soulevées par J4MW et d’innombrables travailleurs migrants au Canada.

« Plus précisément, a-t-elle poursuivi, la reconnaissance explicite par la Cour des vulnérabilités particulières auxquelles les travailleurs migrants sont confrontés en raison de la nature du système de permis de travail dans le cadre duquel ils sont embauchés, et l’examen de ces vulnérabilités soulignent l’importance des demandes de Justicia concernant le statut de tous les travailleurs migrants à leur arrivée au Canada. »Maleeka Mohammed, J4MW

De son côté, Shane Martinez croit qu’il est nécessaire de continuer à « sensibiliser et à exiger d’autres changements systémiques » pour protéger de manière appropriée ces travailleurs essentiels qui sont le moteur du secteur agricole au Canada.

La coalition fait les recommandations suivantes pour aller de l’avant :

  • Le médecin en chef de l’Ontario doit appliquer la règle des trois personnes dans un dortoir dans toute la province.
  • La règle des trois personnes par dortoir doit être appliquée au-delà de la période de quarantaine obligatoire, et les travailleurs doivent disposer de leurs propres chambres, salles de bain et cuisines pendant toute la saison.
  • L’Ontario doit assumer la responsabilité de couvrir les coûts pendant la période de quarantaine, en s’inspirant de l’approche de la Colombie-Britannique qui prévoit que la province paie la nourriture et le logement des travailleurs migrants pendant leur quarantaine.
  • Le ministère du Travail doit immédiatement étendre les inspections au logement des travailleurs agricoles.
  • Les protections de la loi sur les locations résidentielles doivent s’étendre aux logements agricoles.
  • Les données raciales et sociodémographiques qui sont également ventilées par profession et par secteur d’activité doivent être collectées pour aider à identifier les inégalités en matière de santé publique.
  • Un mécanisme anti-représailles doit être mis en place et appliqué dans chaque municipalité où les travailleurs migrants sont employés. Si un travailleur migrant fait l’objet de représailles pour avoir signalé des problèmes de logement ou de maladie (qu’ils soient liés ou non à la COVID-19) ou s’il n’est pas autorisé à retourner au travail l’année suivante, les employeurs doivent faire face à des pénalités et des amendes sévères.
  • Les travailleurs qui sont en quarantaine doivent avoir accès à un personnel médical ayant des compétences culturelles et linguistiques, et une compréhension des disparités raciales dans l’accès aux soins de santé pour les travailleurs migrants. Le personnel doit également rendre visite aux travailleurs régulièrement, et ne pas se contenter de mener des entretiens téléphoniques avec les travailleurs.
  • Les travailleurs doivent se voir accorder le statut de résident permanent à leur arrivée.
Avec des informations de la Cour supérieure de justice de l'Ontario et de Justicia for Migrant Workers. 


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Catégories : Immigration et Réfugiés, Société
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