Les laissés-pour-compte de l’industrie du diamant dans les Territoires du Nord-Ouest

Yellowknife_street_in_winterSOMBA K’E/YELLOWKNIFE, Territoires du Nord-Ouest – Bien qu’il soit encore tôt le matin, l’haleine de Chris Aspen dégage déjà une odeur d’alcool. Lui et quelques amis se sont agglutinés devant Sutherland’s Drugs, la pharmacie locale, pour tuer le temps et échapper à la morsure du vent glacial.

En effet, le thermomètre électronique de l’avenue Franklin, dans le centre de Yellowknife, affiche -34 °C : un temps à ne pas mettre le nez dehors.

Vêtu d’une veste de motoneige noire et grise, d’une casquette de base-ball usée arborant le logo des Yankees de New York sur sa longue chevelure d’un noir profond et de chaussures de course blanches à ses pieds gelés, Chris Aspen (nom fictif), un Déné dans la mi-trentaine, n’avait nulle part où aller : il est sans emploi.

Autour de lui, la ville bourdonne d’activité. Depuis qu’on a découvert des diamants dans les Territoires du Nord-Ouest, en 1991, la capitale Yellowknife est devenue le principal pôle de l’extraction des diamants au Canada.

Les géants britannico-australiens de l’industrie minière BHP Billiton et Rio Tinto, de même que le premier producteur de diamant du monde, De Beers, ont investi des milliards dans l’économie locale et ont établi leurs bureaux à Yellowknife, à deux coins de rue de l’endroit où Chris et ses amis trépignent de froid.

« Je ne fais rien, confie Chris après avoir demandé au journaliste de monter dans sa voiture pour se réchauffer. Je postule à des emplois. Je fais des petits boulots ici et là : je déneige les trottoirs, je fais des travaux manuels, toutes les tâches qu’on me propose. »

Chris a demandé que son nom soit changé par crainte de s’aliéner d’éventuels employeurs. Il travaillait comme aide de cuisine à la mine Ekati de BHP Billiton, à environ 310 kilomètres au nord-est de Yellowknife.

« Même si je ne gagnais que 12 $ de l’heure, j’étais heureux d’avoir un emploi », dit-il en se réchauffant les mains au-dessus du ventilateur de chauffage de la voiture.

Mais une bagarre avec un agent de sécurité lui a coûté son emploi, et il n’a pas pu se faire réengager dans les mines. Chaque fois que des employeurs potentiels procédaient aux vérifications de routine, ils apprenaient l’existence de son casier judiciaire.

« C’est difficile, dit-il, car chaque fois que je postule pour un emploi, on me demande si j’ai un casier judiciaire, alors que mes amis blancs qui travaillent dans les mines ont des casiers bien pires que le mien. »

Il affirme que la rivalité pour obtenir les emplois rémunérateurs dans les mines a attisé les tensions raciales entre de nombreux Autochtones et les Blancs venus du sud du Canada.

« On m’a traité de sale Indien, de bon à rien. Mais je les vois les vendredis et samedis soirs, et ils ne valent pas mieux que moi : ils sont complètement soûls. »

Chris espère seulement qu’on lui donne une deuxième chance.

Les sociétés minières aux prises avec des problèmes de main-d’œuvre

Blasting_team_loading_a_faceCathie Bolstad, directrice des Affaires externes et générales du projet de De Beers Canada dans les Territoires du Nord-Ouest, précise que toutes les mines se sont dotées de règles de sécurité strictes en raison de la valeur des ressources minières qu’elles extraient.

En outre, explique-t-elle, les employés de la mine effectuent des périodes de travail de deux semaines dans des camps isolés qui ne sont accessibles que par avion la majeure partie de l’année. Pour garantir la sécurité de leurs employés dans ces camps, les sociétés minières pratiquent la tolérance zéro à l’égard de la violence.

Or, assure madame Bolstad, les personnes qui ont un casier judiciaire ne sont pas écartées d’office : toutes les candidatures sont examinées sur une base individuelle.

« Nous nous efforçons particulièrement de faire comprendre aux communautés autochtones que l’évaluation des habilitations de sécurité se fait au cas par cas, indique-t-elle. Car si certains employés travaillent dans des zones à haute sécurité, d’autres n’entrent jamais en contact avec le produit. »

Selon elle, les sociétés minières déploient d’immenses efforts pour engager des membres des communautés autochtones.

Durant le processus de délivrance des permis pour l’exploitation de la mine du lac Snap, située à quelque 220 kilomètres au nord-est de Yellowknife, De Beers avait estimé à 500 le nombre de travailleurs nécessaires et espérait que les habitants de la province forment 60 pour cent de la main-d’œuvre, rappelle madame Bolstad.

« Nous n’avons pas atteint cette proportion, reconnaît-elle. Nous avons atteint 37 pour cent, mais nous employons plus de 500 personnes : en 2011, nous avions 678 employés. Nous sommes fiers de compter 68 pour cent d’Autochtones parmi les résidents des Territoires du Nord-Ouest qui travaillent à la mine du lac Snap. »

05_minenewEnsemble, les trois mines de diamants, soit la mine Ekati de BHP Billiton, la mine Diavik de Rio Tinto et la mine du lac Snap de De Beers, ont formé et employé plus de résidents des Territoires du Nord-Ouest que le nombre initialement prévu, poursuit madame Bolstad.

« Il est difficile d’attirer des travailleurs dans une province où le coût de la vie est élevé, et nous en avons fait part au gouvernement, dit-elle. Malgré les bouquets d’avantages sociaux que nous offrons afin d’inciter les gens à venir vivre et travailler ici, la concurrence féroce dans le marché du travail au Canada nous pose un défi de taille. »

Colleen English, chef du Développement durable et des Relations extérieures et avec les collectivités à la mine de diamants Diavik, signale que, dès le début de l’exploitation de la mine, la société a conclu des partenariats avec les communautés autochtones et le gouvernement territorial en vue d’établir des programmes de formation et des projets d’infrastructures communautaires, dans le but de former et de recruter des travailleurs pour les mines.

Bien que la société n’ait pas atteint son objectif d’engager 40 pour cent d’Autochtones à la mine, leur nombre actuel dépasse de loin les prévisions initiales, souligne madame English.

« L’intensification du développement dans le Nord a multiplié les possibilités d’emploi pour les travailleurs », estime-t-elle.

Par ailleurs, la formation des employés pour le travail dans les mines pose aussi des problèmes. Selon madame English, le passage de l’extraction à ciel ouvert à l’extraction souterraine obligera les sociétés minières à engager des ouvriers qui possèdent des compétences différentes.

Le taux élevé de décrochage scolaire au secondaire chez les Autochtones met un frein à leur formation et à leur embauche dans les mines. Malgré une hausse spectaculaire du taux d’obtention du diplôme dans les Territoires du Nord-Ouest, seuls 62 pour cent des élèves terminent leurs études secondaires, selon les statistiques du gouvernement.

Les mines ont donc dû assouplir leurs critères d’embauche dans certains cas, indique madame English, et même créer des centres d’apprentissage sur place, où les employés peuvent poursuivre leurs études.

« De plus, ajoute-t-elle, nous nous rendons assez régulièrement dans les écoles pour parler aux élèves des types d’emploi dans les mines et du niveau de scolarité requis. Nous leur expliquons que le salaire augmente en fonction du niveau de scolarité, afin qu’ils se sentent un peu plus concernés. »

 

Correction: Ce texte de reportage a été attribué à son auteur original qui est Levon Sevunts et non à Khady Beye comme indiqué précédemment.

Levon Sevunts, Radio Canada International

Originaire d’Arménie, Levon a commencé sa carrière en journalisme en 1990 en couvrant les guerres et les conflits civils au Caucase et en Asie centrale.

En 1992, Levon a immigré au Canada après que le gouvernement arménien eut mis fin au programme télévisé pour lequel il travaillait. Il a appris l'anglais avant de poursuivre sa carrière en journalisme, d'abord dans la presse écrite puis à la télévision et à la radio. Les affectations journalistiques de Levon l'ont mené du Haut-Arctique au Sahara en passant par les champs de la mort du Darfour, des rues de Montréal aux sommets enneigés de Hindu Kush, en Afghanistan.

De son parcours, il dit : « Mais surtout, j’ai eu le privilège de raconter les histoires de centaines de personnes qui m’ont généreusement ouvert la porte de leur maison, de leur refuge et de leur cœur. »

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