Changer les perceptions environnementales : verre et esprit communautaire

Photo: Old Town GlassworksPour la plupart des gens, un amoncellement de bouteilles vides ne représente que des rebuts. Mais pour Matthew Grogono, ces bouteilles offrent mille possibilités.

Elles sont autant d’œuvres d’art.

Voilà la vision qui a guidé Matthew Grogono, autrefois mécanicien et maintenant « fabricant de récipients » autoproclamé, lorsqu’il a ouvert Old Town Glassworks à Yellowknife, capitale des Territoires du Nord-Ouest, en 1994.

Aujourd’hui, huit ans plus tard, la galerie est remplie à craquer d’une foule d’objets, notamment de vases et de verres, fabriqués à partir de bouteilles recyclées et décorés de motifs nordiques. Les clients qui souhaitent mettre la main à la pâte peuvent assister à un des ateliers hebdomadaires animés par Matthew Grogono et son personnel.

La préparation est intense. Chaque semaine, Matthew Grogono ou un de ses employés se rend au centre de recyclage des contenants de boissons de Yellowknife pour faire le plein des caisses de bouteilles. Les clients choisissent la couleur et le style qui leur plaisent, puis, pendant deux heures, un des employés de Glassworks les accompagne d’une station à l’autre, où ils peuvent réaliser leur objet, de la coupe à la gravure, en passant par le polissage, les pochoirs et le sablage. Les stations ont été construites par Matthew Grogono lui-même à partir d’articles recyclés, comme une vieille machine à laver.

Matthew Grogono espère que le travail avec des bouteilles recyclées inspirera les gens à voir d’un nouvel œil les objets abandonnés dans leur quotidien.

L’équipe du projet Eye on the Arctic s’est rendue à Yellowknife plus tôt cette année pour en savoir plus sur le travail de Matthew Grogono et pour comprendre pourquoi il estime que les entreprises vertes sont si importantes dans le Nord.

Questions:

D’où vous est venue l’idée de recycler des bouteilles?

L’idée a germé dans mon esprit lorsque je me suis intéressé au programme de gestion des déchets de la municipalité de Yellowknife, il y a de nombreuses années. Le maire d’alors a déjà déclaré « nous ne recyclons pas, car nous sommes une ville minière ». Ce type de mentalité linéaire prévaut souvent dans les villes où l’exploitation minière est omniprésente. C’est la philosophie du « fabriquez, brisez, jetez et racheter ». Par exemple, à l’époque, les membres du conseil municipal utilisaient des verres en mousse de polystyrène. Une fois rentré à la maison, je me suis mis à réfléchir, et j’ai décidé d’offrir 12 verres aux conseillers municipaux pour Noël. Ils y sont toujours.

Comment en êtes-vous arrivé à ouvrir Old Town Glassworks?

J’expérimentais, et du financement était offert pour les initiatives écologiques. J’ai donc rédigé une proposition. Comme l’équipement dont j’avais besoin était introuvable dans le Nord, je me suis rabattu sur le dépotoir. Là, j’ai trouvé des objets que j’ai pu modifier pour fabriquer l’équipement que nous utilisons aujourd’hui.

Pourquoi Old Town Glassworks trouve autant d’écho dans la communauté?

Je suis moi-même un peu perplexe. Je crois que les ateliers y sont pour beaucoup. Les gens sont si enthousiastes lorsqu’ils nous quittent! Infirmière ou enseignant, tout le monde aime travailler la matière et rapporter à la maison le fruit de ses efforts.

Quels sont vos projets?

Je ne vois pas pourquoi les instruments que nous utilisons, entre autres pour la gravure, ne pourraient pas fonctionner grâce à un mécanisme à pédales ou à l’énergie solaire. J’aimerais explorer cette voie. J’aimerais aussi m’équiper pour pouvoir fondre le verre et travailler le verre liquide. Mais c’est une autre paire de manches en raison des coûts de l’essence, de l’équipement et d’espace.

D’après vous, quelles leçons peuvent tirer les gens du succès d’entreprises comme la vôtre?

Nous connaissons tous le principe du « réduisez, réutilisez, recyclez ». Et bien je l’ai légèrement modifié pour faire « réfléchissez, réduisez, réutilisez ». C’est un perpétuel mouvement de balancier… il est crucial de réfléchir avant d’agir. Ici, à Yellowknife, on dit que nous recyclons, mais nous n’avons pas réfléchi à savoir si ce procédé est vraiment bénéfique pour la planète. Quel est le coût de bout en bout d’une activité? Est-elle avantageuse pour la société ou pour la communauté, ou s’agit-il seulement d’une façade pour faire de l’argent? Pour moi, c’est très important que notre entreprise ne soit pas qu’une façade pour faire de l’argent. C’est pourquoi elle comprend un volet éducatif qui vise à aider les gens à réfléchir autrement et à adopter une vision moins linéaire et une perspective plus large, plus globale.

Diriez-vous que votre entreprise est typiquement nordique?

Je crois qu’il y a l’idée d’économiser les ressources que nous avons et de prévenir le gaspillage. Si les Canadiens ne font pas preuve de leadership en modifiant leurs comportements et leurs pratiques de gestion des déchets, j’ai bien peur que le reste de la planète veuille nous imiter. Le problème, c’est que si tous les Chinois se mettent à nous imiter, notre planète ne durera pas très longtemps. Il nous faut remettre en question l’ordre établi, nous demander « est-ce durable? » et, si non, « comment pouvons nous changer cela? ». Yellowknife compte parmi les sociétés les plus riches de la planète. Si nous ne trouvons pas le moyen de faire les choses plus efficacement, comment les autres y arriveront-ils?

Liens:

Old Town Glassworks (en anglais seulement)

Programme de recyclage des contenants de boissons

Écrivez à Eilís Quinn à eilis.quinn(at)radio-canada.ca

Eilís Quinn, Regard sur l'Arctique

Eilís Quinn est une journaliste primée et responsable du site Regard sur l’Arctique/Eye on the Arctic, une coproduction circumpolaire de Radio Canada International. En plus de nouvelles quotidiennes, Eilís produit des documentaires et des séries multimédias qui lui ont permis de se rendre dans les régions arctiques des huit pays circumpolaires.

Son enquête journalistique «Arctique – Au-delà de la tragédie » sur le meurtre de Robert Adams, un Inuk de 19 ans du Nord du Québec, a remporté la médaille d’argent dans la catégorie “Best Investigative Article or Series” aux Canadian Online Publishing Awards en 2019. Le reportage a aussi reçu une mention honorable pour son excellence dans la couverture de la violence et des traumatismes aux prix Dart 2019 à New York.

Son reportage «Un train pour l’Arctique: Bâtir l'avenir au péril d'une culture?» sur l'impact que pourrait avoir un projet d'infrastructure de plusieurs milliards d'euros sur les communautés autochtones de l'Arctique européen a été finaliste dans la catégorie enquête (médias en ligne) aux prix de l'Association canadienne des journalistes pour l'année 2019.

Son documentaire multimedia «Bridging the Divide» sur le système de santé dans l’Arctique canadien a été finaliste aux prix Webby 2012.

En outre, son travail sur les changements climatiques dans l'Arctique canadien a été présenté à l'émission scientifique «Découverte» de la chaîne française de Radio-Canada, de même qu'au «Téléjournal», l'émission phare de nouvelles de Radio-Canada.

Au cours de sa carrière Eilís a travaillé pour des médias au Canada et aux États-Unis, et comme animatrice pour la série «Best in China» de Discovery/BBC Worldwide.

Twitter : @Arctic_EQ

Courriel : eilis.quinn@radio-canada.ca

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