Vorkuta, ville construite sur un sol gelé qui se réchauffe
Les premiers édifices datent des années 30, quand on ne parlait pas de réchauffement planétaire, quand le sol était gelé en profondeur toute l’année. Maintenant, ça craque de partout. On a souvent l’impression que c’est une illusion d’optique, mais à Vorkuta, c’est vrai : de nombreux bâtiments sont déformés, ventrus, affaissés, fissurés.
Lorsque nous avons visité Olga Chen, elle était en train de placer tous ses vêtements dans des sacs, prête à partir à tout moment. Elle a peur que son appartement s’écroule sur elle. Elle a beau calfeutrer, cimenter, tout s’effrite. Le plancher de la salle de bain a aussi cédé.
Elle raconte qu’un jour, son plafond s’est mis à bouger et à descendre de 10 centimètres. Elle a pris ses papiers, son argent, a réveillé sa fille, et est sortie en courant. C’est comme si quelqu’un déchirait la maison, dit-elle.
« C’est pire si l’été est chaud. Ça bouge encore plus, la porte ne ferme plus, une catastrophe », dit celle qui attend que la Ville lui trouve un nouvel appartement.
Certains édifices s’effondrent, alors que d’autres sont ceinturés de corsets en métal pour éviter les fissures. Près des piliers, enfoncés dans le pergélisol, on voit de drôles d’installations qui s’apparent à des antennes.
Edouard Petrov, ingénieur en construction, explique que ces thermostabilisateurs agissent comme des réfrigérateurs – ou plutôt des congélateurs – et font en sorte que le sol reste gelé autour des piliers, pour éviter que l’édifice bouge.
Pour sauver un édifice comme il l’a fait, il en coûte environ 100 000 $. La Ville préfère préserver ce qu’on peut sauver, car construire à neuf un édifice comme ça, dans le nord, cela coûte des millions de dollars.
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Pendant des décennies, Vorkuta a été un des goulags où le régime communiste envoyait les dissidents, les opposants au régime. Des dizaines de milliers de personnes, vivant dans des conditions abjectes, y ont vécu. Plusieurs y mouraient de froid, d’épuisement, de maladie.
Il ne reste que des ruines du goulag, comme si la nature tentait d’effacer ce terrible passé de Vorkuta. Le théâtre où on emmenait des prisonniers du goulag, des musiciens, des danseurs, des acteurs pour présenter des spectacles, divertir la population de la ville, est maintenant inutilisable.
Vitaly Troshin, un architecte, est de ceux qui travaillent à préserver et à redresser les anciens édifices.
« Je suis ici depuis 30 ans. On voit le changement de l’état du sol. On voit qu’il y a plein de destructions de maisons qu’on croyait solides. Si ce n’est pas possible de les préserver, on démolira et on reconstruira en préservant l’aspect initial », dit-il.
- Le pergélisol couvre 25 % de la surface de l’hémisphère nord de la planète.
- De 30 à 70 % de la surface du pergélisol pourrait fondre d’ici la fin du siècle, selon qu’on limite plus ou moins les émissions de gaz à effet de serre, affirme Sue Natali, du Woods Hole Research Center du Massachusetts.
- Au niveau mondial, le pergélisol renferme pas moins de 1700 milliards de tonnes de carbone, le double du CO2 déjà présent dans l’atmosphère.
- Si 70 % du pergélisol fond, de 130 à 160 milliards de tonnes de carbone et de grandes quantités de méthane seraient relâchées dans l’atmosphère.
Vers une catastrophe?
Mais au-delà des dégâts bien visibles, plusieurs études scientifiques prévoient une catastrophe si le pergélisol continue de fondre. Des dizaines de cratères ont été observés ces dernières années en Sibérie, qui seraient dus à l’explosion de méthane, créé par la libération de tonnes de bactéries emprisonnées dans la glace depuis des millénaires.
Plus on libère de méthane, plus on accélère le changement climatique. Une récente étude américaine, menée par le professeur américain Vladimir Romanovsky en Alaska, concluait que le pergélisol fond à une vitesse incroyable.
Mais ça ne convainc pas tout le monde. À Moscou, Vladimir Kotliakov, glaciologue, ne croit pas que le réchauffement planétaire soit causé par l’activité humaine, et encore moins qu’il va durer. Il croit que le cycle de réchauffement est terminé et qu’on va assister à un refroidissement.
Vladimir Kotliakov fait partie des nombreux scientifiques qui avaient recommandé au président russe Vladimir Poutine de ne pas ratifier le protocole de Kyoto, qui selon eux, n’avait aucune base scientifique. Le président Poutine a d’ailleurs, à quelques reprises, mis en doute l’influence humaine dans le changement climatique.
Quoi qu’il en soit, on sent bien le réchauffement dans la région de Vorkuta. Depuis cinq ans, les gens voient un phénomène qu’ils n’avaient jamais observé. Il pousse des arbres dans la toundra.
L’architecte Valery Troshin, lui, planifie le Vorkuta de l’avenir : la population concentrée dans un centre- ville, bien assise sur une masse de granite. Plus question de bâtir sur le pergélisol.