Conserver des semences dans l’Arctique pour les générations futures

Dans quelques semaines, un lot de semences canadiennes prendra la route du Svalbard, en Norvège, afin d’y être congelé pour l’éternité dans le ventre d’une montagne gelée.
Dans les champs d’Agriculture Canada, à Saskatoon, Axel Diedrichesen contemple les blés qui oscillent devant lui. Des blés d’exception. « Certaines variétés sont parmi les premiers blés cultivés au pays », affirme le conservateur en chef de la banque de semences du Canada.
Une partie des semences de ces blés se retrouveront bientôt congelées au creux d’une montagne près du pôle Nord.
« La chambre forte du Svalbard est notre police d’assurance. On y entrepose une copie de toutes nos collections nationales. C’est notre coffre-fort pour protéger nos collections en cas de catastrophes ici à la banque de Saskatoon », raconte Axel Diedrichesen.

Le spécialiste nous dirige ensuite dans un coin de son entrepôt, là où il prépare la prochaine cargaison pour Svalbard.
Le butin renferme plus de 3000 enveloppes de semences différentes. Des doubles des collections de légumes, comme des tomates ou des concombres, des légumineuses, et bien sûr, une multitude de variétés de céréales.
Certaines de ces variétés sont récentes. D’autres sont des variétés oubliées et boudées par l’agriculture moderne. Certaines ont même disparu des champs.
« Le Canada possède la plus importante collection d’avoine au monde, précise le spécialiste. Certaines de ces enveloppes renferment des variétés qui n’existent nulle part ailleurs au monde. »
La forteresse du Svalbard

La Réserve mondiale des semences est située sur l’île du Spitzberg dans l’archipel arctique du Svalbard, en Norvège.
L’objectif de cette chambre forte est ambitieux : protéger les plus importantes cultures du monde afin d’empêcher leur disparition.
Construite en 2008 dans le pergélisol de cette île, la forteresse doit abriter, à terme, une copie des collections des 1700 banques de semences réparties dans le monde entier.
Elle a été conçue pour résister aux pires catastrophes : tremblements de terre, incendies et terrorisme. On a même anticipé la montée des océans due au réchauffement climatique.
Un tunnel long de 120 mètres, creusé à même le roc gelé, nous conduit au cœur de la montagne.

Le gardien de la réserve, le botaniste suédois Roland Von Bothmer tire sur une immense porte entièrement recouverte de glace.

Devant nous, des milliers de caisses de semences. Des trésors en provenance des quatre coins de la planète : sorgho, millet, blé, pomme de terre, maïs. On y trouve plus de 900 000 échantillons de semences. La mémoire agricole du monde est là, congelée devant nos yeux.
En quelques pas, M. Von Bothmer nous fait un tour du monde agricole. « Équateur, Pérou, Ukraine, Costa Rica, Nigeria; la plupart des pays de la planète nous ont déjà confié une partie de leur collection nationale », explique le spécialiste.
Et le Canada n’est pas en reste. Une section complète est réservée aux caisses qui arborent la feuille d’érable. Le Canada sécurise ici pas moins de 275espèces différentes. Le pays a investi 10 millions de dollars dans la réserve mondiale du Svalbard.
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, l’humanité aurait perdu les trois quarts de la biodiversité agricole depuis un siècle.
Menaces sur la biodiversité cultivée
Une banque critiquée

Malgré ses objectifs louables, Svalbard fait l’objet de critiques. On lui reproche notamment de se financer en partie auprès de multinationales de l’agrochimie comme DuPont Pioneer.
Le rapport annuel du Fonds fiduciaire mondial pour la diversité des cultures, l’organisme chargé de financer la réserve du Svalbard, confirme la participation financière de ces multinationales.
« 95 % de notre financement provient des gouvernements nationaux qui déposent des semences à Svalbard », précise Marie Haga, directrice de ce fonds, évalué à 251 millions de dollars canadiens.
Une participation financière même minime de ces géants des biotechnologies ouvre la porte aux spéculations. Certains affirment qu’il s’agit là d’un premier pas vers une mainmise de ces multinationales sur ces trésors de l’humanité.
Marie Haga réfute ces allégations. « Les semences qui entrent à Svalbard demeurent la propriété des pays dépositaires, dit-elle. Nous n’existons que pour trouver des fonds afin de sécuriser les cultures les plus importantes de l’humanité ».
Un cimetière de graines?

Mais les banques de semences représentent-elles l’unique solution à la perte de diversité cultivée?
Le scientifique Pierre-Henri Gouyon, professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris croit que les banques de gènes comme Svalbard ne sont pas une solution durable.
« Les efforts pour protéger la biodiversité doivent avant tout se faire avec les agriculteurs, dit-il. Les banques de semences ne doivent pas servir d’alibi pour ne rien faire aux champs. » Le chercheur ajoute qu’en retirant une semence du champ, on empêche la plante de s’adapter à son environnement.
Le conservateur Axel Dieddrichessen est conscient des limites des banques de gènes. Garder les semences aux champs restera toujours la meilleure solution, dit-il. Mais devant l’agriculture industrielle qui déroule ses champs de monocultures, il croit que les banques sont essentielles.
Pour sa part, le botaniste Roland Von Bothmer, qui veille sur la banque du Svalbard, rappelle que les deux stratégies sont complémentaires. « On a besoin de conserver plus de biodiversité aux champs, mais on a aussi plus que jamais besoin des banques de semences. »
Le spécialiste suédois poursuit en montrant une caisse : « Qui sait, il y a peut-être dans cette boîte une variété de blés dont les gènes résisteront mieux à la sécheresse dans le futur. Avec les changements climatiques, c’est impératif de préserver cette biodiversité », conclut-il.