Pourquoi attendre 2022 pour le prochain rapport du GIEC sur le climat?

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La 46e session du GIEC se tenait au siège de l’Organisation de l’aviation civile internationale à Montréal du 6 au 10 septembre. (Étienne Leblanc/Radio-Canada)
Alors que les événements climatiques extrêmes se multiplient sur la planète, des délégués du GIEC provenant de 195 pays étaient réunis à Montréal du 6 au 10 septembre pour discuter des données scientifiques à cet effet. Mais il faudra attendre encore cinq ans pour leur prochain rapport sur les changements climatiques. Voici pourquoi.

Dans le domaine scientifique, le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur les changements climatiques est une créature unique en son genre. Aucun autre enjeu ne fait l’objet d’une synthèse aussi exhaustive.

Pendant des mois, voire des années, des milliers d’experts du monde entier, provenant de tous les domaines reliés de près au climat, passent en revue la masse des articles scientifiques publiés sur la planète. Le contenu de ces publications est décortiqué, compilé, analysé, débattu, puis synthétisé pour en dégager une conclusion concrète.

C’est ainsi que tous les six ans ou à peu près, un rapport est publié. Des centaines et des centaines de pages qui rassemblent tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les changements climatiques, sans jamais oser le demander.

Le premier rapport a été publié en 1990, alors que la science du climat sortait enfin de l’ombre. Puis il y a eu ceux de 1995, de 2001, de 2007 et de 2013. Le sixième ne sera publié qu’en 2022, neuf ans après le dernier.

Se pose alors une question : compte tenu de toutes les conséquences des changements climatiques rapportées sur la planète, compte tenu de la place qu’occupe désormais cet enjeu dans la politique internationale, pourquoi attendre si longtemps pour faire le bilan scientifique du phénomène?

Des centaines de milliers de documents à analyser
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Le vice-président du GIEC, Youba Sokona (Étienne Leblanc/Radio-Canada)

La réponse est simple, donnée par le vice-président du GIEC, le Malien Youba Sokona. « Parce que plus les scientifiques en savent sur le phénomène, plus ils veulent en savoir », explique-t-il.

La science du climat est l’une des plus dynamiques au monde, il y a donc plus d’études à analyser.

« Quand on a commencé les travaux du GIEC, ça se limitait à analyser quelques dizaines de milliers de documents, dit M. Sokona. Maintenant on a des centaines de milliers de documents! Chaque jour il y a des articles qui se publient sur différents aspects des changements climatiques », précise-t-il.

Le premier rapport du GIEC rassemblait à peine 1000 pages de contenu. Le dernier rapport, publié en 2013, en compte cinq fois plus! Pour compléter cette grande synthèse, les 2500 scientifiques ont passé en revue plus de 30 000 publications scientifiques! Et tout porte à croire qu’il y en aura encore davantage pour le 6e rapport.

Pour les experts du GIEC, c’est une bénédiction, mais c’est un aspect qui ralentit le processus.

« Nos connaissances sur les différents aspects des changements climatiques s’élargissent tous les jours, dit Youba Sokona. On a du mal à traiter l’information qui est produite sur les changements climatiques tous les jours », conclut-il.

Trop d’information tue-t-elle l’information? Pas selon Valérie Masson-Delmotte, qui copréside le groupe I au GIEC, celui qui supervise tout ce qui a trait aux éléments scientifiques des changements climatiques pour le prochain rapport.

« Nous avons besoin de plus en plus d’informations scientifiques pour comprendre les risques associés aux changements climatiques et mettre en oeuvre des solutions pour s’en prémunir, dit-elle. Le GIEC permet de passer à la moulinette critique les dizaines de milliers de publications afin de distiller en direction des décideurs politiques le meilleur état possible des connaissances scientifiques.

Pas besoin d’attendre le prochain rapport
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Le réchauffement climatique contribue à la fonte de la glace de mer dans l’Artique. Sur la photo, la glace se retire de l’île d’Ellesmere, dans l’Arctique canadien. (Mario Tama/Getty Images)

Les rapports du GIEC ont un destinataire bien précis : les décideurs de la planète, qui s’en servent lors des négociations internationales visant à s’attaquer aux changements climatiques.

Mais est-ce à dire qu’ils doivent attendre en 2022 pour avoir un portrait complet de la situation sur les changements climatiques, sur ses effets et sur les façons de s’y adapter? Bien sûr que non.

« L’information nécessaire pour agir à propos des changements climatiques, elle est là depuis au moins 25 ans, dans les rapports du GIEC », explique Jean-Pascal Van Ypersele, ancien vice-président du GIEC, membre de la délégation belge et professeur de climatologie à l’Université catholique de Louvain. « L’excuse qu’on n’a pas assez d’informations pour agir ne tient plus », selon lui.

De fait, au fil des ans, plusieurs pays ont reproché au GIEC d’être trop lent, en regard de la réalité climatique vécue par certaines régions du monde. Ils ont réclamé du GIEC qu’il publie des rapports moins volumineux, qui ratissent moins large et qui portent sur des enjeux plus circonscrits.

Pour répondre à cette demande provenant surtout de pays plus vulnérables, le GIEC a reçu plus de 30 propositions de la part des différents gouvernements pour que soient publiés des rapports spéciaux. Le groupe d’expert en a retenu trois :

  • une synthèse sur les effets d’une hausse de 1,5 °Celsius de la température mondiale par rapport à l’ère préindustrielle sera publiée dès l’année prochaine;
  • un rapport spécial sur l’océan et la cryosphère (les régions où l’eau se trouve sous forme solide) qui sera publié en septembre 2019;
  • un rapport spécial sur la désertification, la dégradation des terres et la sécurité alimentaire, qui sera aussi publié en septembre 2019.

La question des océans semble en effet plus que pressante, puisque les changements s’y opèrent encore plus rapidement que ce que les modèles le laissaient entendre. Depuis 1971, les experts estiment que 93 % de toute la chaleur supplémentaire accumulée sur la planète a été absorbée par les mers. Selon les conclusions d’une étude publiée dans la revue scientifique Science Advances en mars dernier, les océans se sont réchauffés 13 % plus rapidement que ce que les modèles le prévoyaient.

Face à ce genre de résultat, le GIEC a donc accepté les trois propositions citées plus haut pour la réalisation de rapports spéciaux sur des phénomènes qui semblent évoluer plus rapidement qu’on ne le pensait. Trois propositions, sur les trente qui ont été faites, c’est donc seulement 10 % des demandes reçues. « Trois, c’est vraiment à la limite de nos capacités opérationnelles », dit Valérie Masson-Delmotte.

Crise budgétaire au GIEC

Les capacités financières du GIEC sont en effet assez limitées. C’est une organisation dont la structure officielle est assez légère. L’essentiel du travail se fait gratuitement, car une majorité de ses membres y contribuent de façon bénévole. Son budget annuel, qui varie de 4 à 10 millions de dollars en fonction des cycles de production des rapports, dépend en très bonne partie des contributions volontaires de quelques pays, de fondations privées et de différentes branches des Nations unies.

Or, il y a quelques semaines, le GIEC a reçu une mauvaise nouvelle. L’administration Trump a annoncé qu’elle mettait fin à la contribution des États-Unis au GIEC. Ce sont 2,5 millions qui disparaîtront dès l’année prochaine d’un seul coup, soit grosso modo le tiers du budget total.

« Ça peut faire très mal, dit Jean-Pascal Van Ypersele. Ça va poser de très gros problèmes financiers au GIEC, et c’est un des points à l’agenda de la rencontre de Montréal. »

Des experts ont émis l’idée d’avoir recours au sociofinancement, afin de combler le trou provoqué par le retrait américain.

En cette ère d’événements météorologiques extrêmes, les décideurs ont pourtant besoin, plus que jamais, d’avoir accès à des données scientifiques crédibles. Leurs décisions éclairées en dépendent.

Le Canada a d’ailleurs annoncé samedi qu’il allait doubler sa contribution, qui passera de 150 000 $ à 300 000 $ par année.

Étienne Leblanc, Radio-Canada

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