BLOGUE – Croisières arctiques: entre sérénité et voyages à haut risque

Le paquebot Crystal Serenity. (La Presse Canadienne)
Le voyage en Arctique à l’été 2016 du navire de croisière Crystal Serenity a suscité un battage médiatique important.

Les déplacements à vocation touristique en Arctique représentent un trafic maritime plus important que celui occasionné par la marine marchande, un fait qui aurait surpris il y a quinze ans à peine. Le navire n’était pas le premier (et ne sera pas le dernier) à s’y aventurer à des fins touristiques. Par contre, le Crystal Serenity a attiré l’attention en raison du prix des croisières offertes mais aussi parce qu’il a introduit le tourisme de masse en Arctique, loin des modestes embarcations qui jusqu’alors étaient parmi les seules à se risquer dans cette région.

Le second passage du Crystal Serenity qui a lieu cet été n’a pas attiré le même niveau d’attention que la première mouture, l’effet de nouveauté s’étant évaporé. Par contre, il permet de remettre la lumière sur deux débats majeurs touchant l’Arctique: l’équilibre environnement/économie et le contrôle canadien sur cette région.

Le Canada est-il prêt pour le tourisme arctique?
Le passage du Nord-Ouest reliant l’océan Atlantique à l’océan Pacifique, devient de plus en plus accessible. (Radio-Canada)

Le premier questionnement représente le plus fondamental pour les habitants de l’Arctique: est-ce que l’empreinte écologique laissée par le passage d’un tel géant des mers vaut les retombées économiques espérées par l’afflux soudain de touristes? Sur le plan économique, la venue de plusieurs centaines de touristes bien nantis (la croisière coûte entre 30 000 et 120 000$) faisant escales au sein de petits villages constitue une manne importante. L’escale à Cambridge Bay, une communauté de près de 1300 personnes, par exemple a généré des retombées économiques de 110 000$ selon des estimations locales. Si le Crystal Serenity a pris des précautions afin de ne pas trop laisser de traces environnementales sur son passage, d’autres équipages pourraient ne pas être aussi bienveillants.

Le deuxième débat a une portée davantage nationale mais qui, à terme, touche aussi les passagers de ce type de navire: le Canada a-t-il les ressources pour gérer un accident maritime impliquant près de 1700 naufragés dans sa région arctique? À n’en pas douter, le gouvernement canadien est actif, ayant dépêché un de ses experts sur le Crystal Serenity cette fois-ci pour aider le navire à piloter à travers les glaces. Il serait éminemment réducteur de dire, à l’instar de la chroniqueuse du Globe and Mail Margaret Wente, que personne ne sait qui est en charge de la situation dans cette région. Revenir sur des débats stériles de souveraineté maintenant s’avère futile. La question la plus importante est beaucoup plus terre-à-terre et pratique : comment mener une opération de recherche et sauvetage si un accident survenait?

Le cas du Clipper Adventurer
Les passagers du Clipper Adventurer arrivent à Edmonton le 30 août 2010. Le Clipper Adventurer s’est échoué dans le golfe Coronation au Nunavut pendant une croisière de 14 jours dans l’Arctique. (John Ulan/The Canadian Press)

Sans port en eaux profondes dans la région et avec des effectifs de recherche et sauvetage stationnés à des centaines de kilomètres, une telle opération pourrait prendre des jours, laissant passagers et équipages face à un climat difficile. Le cas du Clipper Adventurer en 2010 est notable à cet effet. Le Clipper Adventurer, avec 128 passagers à bord, a percuté une formation rocheuse non documentée, forçant équipage et passagers à quitter le navire non loin de Kugluktuk. Il fallut attendre deux jours pour qu’un brise-glace de la Garde côtière canadienne rejoigne les naufragés et deux semaines avant de renflouer le navire.

L’écrasement d’un petit avion qui a fait douze morts au mois d’août 2011 près de Resolute Bay constitue un autre événement similaire. Dans ce cas, les forces armées canadiennes étaient déjà sur place pour des exercices militaires, ce qui a permis une réponse prompte. Par contre, cet événement a permis de réaliser que, hormis durant les courtes périodes pendant lesquelles l’armée performe des exercices dans le Nord, l’équipe de recherche et sauvetage la plus proche se trouvait alors à Trenton, en Ontario, donc à plusieurs heures de la région qu’elle devait desservir.

Plus de brise-glaces, une solution?

L’appel de Pierre Leblanc, ancien commandant du commandement nordique des Forces armées canadienne, à construire plus de brise-glace pour remédier à cette situation semble logique : le nombre de navires de croisière n’ira pas en diminuant, au contraire. Pourtant, la lenteur du processus d’acquisition des brise-glaces laisse planer un doute sur cette solution. À titre d’exemple, la construction du seul brise-glace présentement en chantier, le John G. Diefenbaker, a été annoncé en 2008, mais il devrait être complété pour l’année… 2021-2022.

Il ne restera plus qu’à se croiser les doigts pour qu’il n’y ait pas un Clipper Adventurer de plus grande ampleur au cours des prochaines années.

 

Mathieu Landriault

Mathieu Landriault enseigne la science politique à l'Université d'Ottawa. Il est chercheur associé au Centre interuniversitaire de recherche sur les relations internationales du Canada et du Québec (CIRRICQ). Ses travaux se concentrent sur des questions de sécurité et souveraineté arctiques ainsi que sur des enjeux touchant la politique étrangère canadienne.

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