Blogue: Les pays arctiques notés sur la protection de l’environnement

Jorge Rickards, directeur général du Fonds mondial pour la nature (WWF) à Mexico, en mai 2017. (Edgard Garrido/Reuters)
L’été est habituellement un temps plus tranquille côté actualité, l’attention du public en général est aussi ailleurs : le chalet, les vacances, le barbecue, etc. C’est pourquoi je veux revenir sur une initiative intrigante qui a été lancée au cours de la belle saison et qui est, à mon avis, passée sous le radar. En effet, à la fin mai, la branche canadienne du Fonds mondial pour la nature – WWF Programme Arctique a fait paraître un bulletin, attribuant une note pour chacun des huit pays arctiques pour leur performance quant à la protection de l’environnement en Arctique.

Il faut noter que le WWF est un acteur dynamique dans la région depuis plusieurs années. L’organisation a pu profiter du statut d’observateur au Conseil de l’Arctique pour côtoyer les États souverains et les participants permanents (composés de groupes autochtones) dans leurs discussions et délibérations au sein du Conseil.

Le rôle d’observateur au Conseil en est un particulier. En effet, le Conseil s’attend de ses observateurs qu’ils apportent une contribution à la région, donc qu’ils jouent un rôle actif, ce qui s’éloigne de la conception traditionnelle de la fonction d’observateurs dans d’autres organisations régionales ou internationales, qui les cadrent comme davantage passifs.

Développer et persuader
Un organigramme du Conseil de l’Arctique. (Courtoisie du Conseil de l’Arctique)

Depuis de nombreuses années, le WWF a joué un rôle actif au sein du Conseil, surtout cantonné à formuler de bonnes idées, qui pourraient être par la suite reprises par les États ou les participants dans leurs délibérations.

Ce rôle est similaire à celui que le Canada a occupé (et occupe toujours, parfois…) sur la scène internationale pendant de nombreuses décennies en tant que puissance moyenne : développer de bonnes idées et persuader des acteurs puissants de les adopter.

Évidemment, cette tâche est plus ardue pour une organisation non-gouvernementale que pour un État.

La stratégie est ingrate, surtout pour le WWF, car il ne peut prendre complètement le crédit de ses succès. C’est pourquoi le concept de bulletin est intéressant; on peut parler d’une stratégie qui se combine à la participation dans les discussions de coulisses.

Efficacité et transparence
Une réunion du Conseil de l’Arctique au Nunavut, avril 2015.(Chris Wattie/Reuters)

Le but originel du bulletin, selon son maitre d’œuvre, Marc-André Dubois, conseiller au WWF, est assez simple : « la stratégie à long terme est de rendre le Conseil de l’Arctique plus efficace et plus transparent ».

Ultimement, pour Dubois, les États sont très bons à adopter des décisions et recommandations, mais il s’agit d’évaluer si ces mots se traduisent en actions concrètes.
Dans la pratique, cela se traduit par l’attribution de notes sur différentes priorités (transport maritime, biodiversité, par exemple) pour chaque État arctique. L’attribution des notes suit une méthodologie objective qui met l’emphase sur les actions entreprises par les États.

Un extrait du rapport. (WWF)

Le WWF a étudié les décisions et recommandations adoptées au Conseil de l’Arctique et a analysé si ces décisions étaient mises en œuvre par les États circumpolaires. Les décisions étudiées sont celles de la période s’étandant de 2006 à 2013, puisqu’elles prennent un certain temps avant d’être mise en pratique.

Cela nous permet de constater que les États sont peu productifs à mettre en œuvre des actions concernant la biodiversité et le transport maritime, mais très bons quand vient le temps d’agir sur le risque de marée noire et de carbone noir.

Le classement nous permet aussi de comparer les États entre eux et de noter les zones de forces et faiblesses de chacun.

Un outil pour informer et mettre de la pression
Des manifestants participent à un rassemblent à la veille de l’ouverture de la Conférence sur les changements climatiques à Rome (COP 21), en Italie, en novembre 2015. (Alessandro Bianchi/ Reuters)

Évidemment, la stratégie n’est pas nouvelle. Plusieurs organisations non-gouvernementales ont développé de tels outils pour informer ses membres ou mettre de la pression sur des gouvernements ou des compagnies afin qu’ils changent leurs comportements.

Le WWF a conçu plusieurs outils semblables, par exemple pour étudier les actions des États dans la mer Baltique. Pour le WWF, il s’agit d’un outil intéressant : combiné avec la participation aux discussions du Conseil, le bulletin a le potentiel de compléter l’activisme de l’organisation en augmentant la pression publique sur les gouvernements concernés.

Nina Buvang Vaaja, deuxième directrice et Aleski Härkönen, président du Conseil de l’Arctique, Finlande, en octobre 2017. (Linnea Nordström/Arctic Council Secretariat)

Par contre, il faudra évaluer si ce bulletin aura un impact négatif sur la participation du WWF aux discussions du Conseil; certains États pourraient adopter une attitude plus ferme suite à des évaluations négatives.

Jusqu’à maintenant, Marc-André Dubois me confiait que les commentaires ont été plutôt positifs, plusieurs États suggérant des façons de parfaire la méthodologie et la rendre encore plus pertinente. Selon lui, la méthode systématique et empirique adoptée par l’organisation permet aussi aux États de cibler leurs faiblesses.

Attention aux écueils
Les drapeaux des huits États arctiques et des six organisations internationales autochtones. (Linnea Nordström/Arctic Council Secretariat)

Une conséquence indirecte s’est aussi produite : des départements gouvernementaux spécifiques utilisent de tels bulletins dans leurs luttes pour obtenir plus de ressources financières de la part de leur gouvernement national. Ce phénomène a été observé depuis longtemps, chaque département gouvernemental ayant un réseau d’alliés naturels afin de faire pression au sein même de leur bureaucratie.

Une autre conséquence possible de ce type d’initiative, selon la littérature scientifique, est d’amener les États sur le chemin contraire. Face à des pressions internationales sur les droits humains, par exemple, Hafner-Burton, a trouvé que les États critiqués dans des campagnes de dénonciation (naming and shaming) adoptaient des politiques encore plus brutales, afin de prouver leur dominance.

D’autres, comme Krain, en sont arrivé à la conclusion opposée.

Évidemment, protection environnementale et droits humains ne sont pas de même nature. Le WWF semble s’arrêter aussi à la première variable, nommé ou naming, sans nécessairement mener de campagnes cohérentes sur le deuxième terme (faire honte, ou shaming).

Les enjeux jugés problématiques ont aussi été soulevés par d’autres acteurs de la gouvernance arctique, le WWF ne faisant pas bande à part sur ces questions.

Par contre, il sera intéressant de voir l’évolution des politiques environnementales des pays arctiques, pour jauger si le bulletin peut les convaincre de se concentrer sur certaines faiblesses liées à la protection environnementale arctique.

Mathieu Landriault

Mathieu Landriault enseigne la science politique à l'Université d'Ottawa. Il est chercheur associé au Centre interuniversitaire de recherche sur les relations internationales du Canada et du Québec (CIRRICQ). Ses travaux se concentrent sur des questions de sécurité et souveraineté arctiques ainsi que sur des enjeux touchant la politique étrangère canadienne.

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