Blogue – Comment mesurer l’identité arctique?

Le Viewfinder transportant le président américain Barack Obama à Seward, dans le sud de l’Alaska, le 1er septembre 2015. L’Arctic Studio a récemment publié un sondage sur l’identité arctique aux États-Unis. (Mandel Ngan/AFP/Getty Images)
Un sondage intriguant sur l’Arctique a été publié plus tôt ce mois-ci par un groupe de recherche appelé The Arctic Studio, basé aux États-Unis. Bien peu d’enquêtes d’opinion sont effectuées sur la région arctique. La Fondation Walter et Duncan Gordon et l’École Munk des affaires internationales de l’Université de Toronto ont bien commandité des sondages fort intéressants en 2010 et 2015 mais l’expérience ne sera vraisemblablement pas répétée dans le futur.

Tout nouveau sondage sur la région suscite donc l’intérêt, effet de rareté oblige.

Les conclusions de ce coup de sonde ont été couvertes par certains médias spécialisés. Pour Arctic Today, on peut déduire avec ce sondage que les Américains ne s’approprient toujours pas l’identité arctique de la nation américaine, hormis pour certains États comme l’Alaska (ce qui n’a rien de bien étonnant).

Il faut par contre tempérer la nature de ce sondage et les conclusions que l’on peut en tirer.

Une question problématique

Le rapport, à cet effet, est intéressant à analyser.

Première constatation : la définition que l’on donne de l’identité arctique est assez discutable. La question posée aux répondants était la suivante : « Êtes-vous en accord ou en désaccord avec l’affirmation selon laquelle les États-Unis sont une nation arctique avec des intérêts vastes et fondamentaux dans la région arctique? »

Formulée ainsi, la question souffre d’une lacune évidente : elle traite de deux éléments différents en même temps. La première partie de la question touche l’aspect identitaire des États-Unis comme nation arctique tandis que la seconde nous renvoie aux intérêts, concept radicalement différent. Sur ce deuxième aspect, il faudrait davantage analyser le tout comme un test visant à déterminer si les répondants considéraient que leur pays avait des intérêts dans cette région. Nous sommes ici loin d’un attachement identitaire à une région; il s’agit davantage d’une évaluation froide des intérêts nationaux américains.

Sur ce point, l’affirmation comporte aussi certains termes ambigus : le mot « fondamental » porte à croire qu’il s’agit d’intérêts cruciaux dans le portrait plus large de la politique étrangère américaine. De plus, l’évaluation donnée par les répondants en est donc une relative, soit de classer cette région dans le grand portrait géopolitique face à d’autres régions de la planète (pensons au Moyen-Orient, par exemple).

En fusionnant ainsi identité et intérêt dans une seule et même question, impossible d’évaluer ce que les répondants pensaient spécifiquement de l’identité arctique américaine.

Une arche construite à partir d’un os de baleine à Utqiagvik, la ville anciennement connue sous le nom de Barrow, dans le nord de l’Alaska, en 2012. (Nicole Klauss/Kodiak Daily Mirror/Associated Press)
La nature des documents officiels

Les auteurs de l’étude justifient cette formulation en citant des documents officiels, publiés tant par les administrations Obama que Bush. Bien que l’objectif soit louable, la nature de ce type de document est habituellement autant descriptive que prescriptive. En d’autres mots, ces documents décrivent la réalité telle que perçue par l’administration au pouvoir, tout en tentant de persuader et de convaincre la population du bien-fondé d’une politique donnée.

Ce sont des outils de persuasion autant que de description factuelle.

L’échantillonnage sous la loupe
The Arctic Studio a recueilli l’échantillon de répondants en affichant le sondage sur divers sites internet.  (Getty Images/iStock)

Un dernier point majeur à soulever, d’ordre plus technique : l’échantillon de répondants a été recueilli en affichant le sondage sur divers sites internet. Les répondants décidaient donc volontairement de remplir ou non le sondage. Cette technique est généralement peu fiable et peu rigoureuse.  La sélection des sujets pour une enquête rigoureuse doit se faire de manière aléatoire, afin d’éviter les biais de sélection. La crédibilité  des conclusions peut être sérieusement entachée lorsque les répondants choisissent de participer ou non à un sondage. .

La couverture médiatique se doit ainsi de contextualiser et de relativiser l’importance et les résultats de tels sondages…

Néanmoins, ce sondage de The Arctic Studio attire l’attention sur une chose : le besoin d’investir davantage dans des enquêtes d’opinion rigoureuses.

De tels sondages sont effectivement dispendieux, mais il s’agit de la seule façon rigoureuse et systématique de recueillir les perceptions et les opinions du public sur la région arctique. Celles-ci nous aident à déterminer si les politiques gouvernementales sont en harmonie avec les préférences de la population; il s’agit d’un impératif démocratique.

Mathieu Landriault

Mathieu Landriault enseigne la science politique à l'Université d'Ottawa. Il est chercheur associé au Centre interuniversitaire de recherche sur les relations internationales du Canada et du Québec (CIRRICQ). Ses travaux se concentrent sur des questions de sécurité et souveraineté arctiques ainsi que sur des enjeux touchant la politique étrangère canadienne.

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