Tuberculose dans le Nord canadien : « J’avais 5 ans. On m’a arraché ma mère, je ne l’ai jamais revue »

Des milliers d’Inuits atteints de tuberculose ont été emmenés de force dans le sud du pays dans les années 1950 et 1960. Encore aujourd’hui, le traumatisme se fait sentir dans de nombreuses communautés de l’Arctique. Le premier ministre Justin Trudeau doit se rendre au Nunavut jeudi pour présenter les excuses officielles d’Ottawa aux Inuits.
C’était en 1956. Jack Anawak et sa famille vivaient à Naujaat, connue jadis sous le nom de Repulse Bay. « Tout s’est passé très rapidement. J’avais 5 ans. On m’a arraché ma mère, je ne l’ai jamais revue. »
Jack Anawak a 68 ans et cherche toujours des réponses depuis ce jour du milieu des années 1950.
Jack Anawak
Au début des années 1950, le bateau clinique C.D. Howe rendait visite aux communautés dans l’est de l’Arctique. C’est alors que la vie des familles inuites affligées par une épidémie de tuberculose est bouleversée.
Les malades sont forcés de quitter leur terre pour être soignés dans les villes du sud. Des familles comme celle de Jack Anawak sont séparées.
De 1953 à 1961, plus de 5200 Inuits ont été déplacés pour recevoir des traitements dans des hôpitaux et des sanatoriums du Québec, de l’Ontario, du Manitoba et de l’Alberta.

Certaines années, jusqu’à un Inuit sur cinq était forcé de monter à bord du navire fédéral C.D. Howe. Les patients n’étaient pas autorisés à rassembler leurs affaires ni à dire au revoir à leurs familles.
La plupart des Inuits ont des proches qui ont disparu dans ce processus. Ils ne sont même pas en mesure de savoir exactement quand et où ils sont morts ou même, très souvent, où ils ont été enterrés. « C’était le colonialisme à son pire. Nous n’étions pas assez importants pour être pris en compte », explique Jack Anawak. Il pense que sa mère a été inhumée quelque part au Manitoba. Mais il n’en a pas la certitude.
Source : Le Petit Robert
Des excuses et un peu d’espoir
« Les excuses du premier ministre sont importantes, mais ce qui se passera après le sera davantage », précise Jack Anawak.
Des Inuits de toutes les régions du Grand Nord ont fait le déplacement jusqu’à Iqaluit, capitale du Nunavut, pour entendre les excuses officielles du premier ministre. Ottawa confirmera par la suite qu’il rendra disponible une banque de données. Elle a été constituée au cours de la dernière décennie.
Ces informations proviennent de 9000 dossiers qui permettraient à des familles de savoir enfin où reposent les disparus ou encore de retrouver certains patients qui ont survécu et qui auraient été ramenés dans les mauvaises communautés.
L’envoi forcé des résidents vers le sud pour des traitements a entraîné une méfiance qui est toujours présente dans les communautés.
Journal de l'Association médicale canadienne
Cette méfiance rend d’autant plus difficile la lutte contre la tuberculose dans le Grand Nord.
Les tentatives précédentes d’éradication de la maladie ont échoué. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Les données les plus récentes montrent que le taux annuel moyen de tuberculose chez les Inuits au Canada est 290 fois plus élevé que celui recensé chez les non-Autochtones nés au Canada.

En 2017, le hameau de Qikiqtarjuaq affichait le plus haut taux de tuberculose du Nunavut. Dix pour cent de ses 600 résidents étaient infectés par la tuberculose, active ou latente.
Une adolescente en est même morte. Ileen Kooneeliusie, qui était alors âgée de 15 ans, avait reçu le diagnostic de la tuberculose seulement quelques heures avant son décès.
Depuis, l’organisation nationale inuite ITK et Ottawa ont annoncé un plan visant à éliminer la tuberculose des communautés inuites d’ici 2030. Le gouvernement Trudeau a réservé dans son dernier budget environ 28 millions de dollars sur cinq ans pour cette stratégie.
Est-ce que cet effort sera suffisant pour surmonter la méfiance? Est-ce que les excuses permettront de tourner une page de cette histoire?
Jack Anawak sera là en personne pour mesurer la bonne volonté d’Ottawa. Il laisse au gouvernement fédéral l’occasion de montrer sa sincérité. Mais la blessure est encore vive. « Ça ramène à la surface des souvenirs douloureux. Pour plusieurs, ce sera un événement traumatisant », conclut-il.
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