Obésité dans le Nord canadien : quand les préjugés freinent l’accès aux soins de santé
Les spécialistes de l’obésité au Canada réclament que les gouvernements du pays reconnaissent l’obésité comme étant une maladie chronique.
Obésité Canada souhaite une telle approche pour donner aux patients un meilleur accès aux soins de santé et couvrir leurs frais de traitement au même titre que le diabète ou l’hypertension, par exemple.
Cependant, aucun gouvernement n’a encore pris de position ferme, malgré la publication de lignes directrices de traitement en 2006 et la déclaration de l’obésité comme maladie chronique par l’Association médicale canadienne et par les associations semblables de la Saskatchewan et du Yukon.
Selon le directeur scientifique d’Obésité Canada, Arya Sharma, les personnes souffrant d’obésité sont traitées comme des « patients de seconde classe ».
Des préjugés qui persistent
Joanne Stewart, de Whitehorse, affirme avoir souvent entendu ses médecins dire qu’il suffisait de faire plus d’exercice et de diminuer ses portions, mais sans voir de progrès. « C’était des soirées de grosse faim et des exercices qui n’arrêtaient jamais non plus. »
Madeleine Girard, de la même ville, a aussi souffert du regard des autres, ce qui a retardé ses progrès. « Ma toxicomanie, c’est la nourriture, dit-elle. J’ai essayé toutes sortes de choses au fil de ma vie et puis, il n’y a rien qui a fonctionné en permanence. »
Toutes deux participent au programme Weight Wise du Yukon. Le programme propose à 20 patients par groupe, jusqu’à trois groupes par année, un accompagnement personnalisé de six mois par des professionnels de la santé : nutritionniste, infirmière, médecin, psychologue et kinésiologue. Une approche multidisciplinaire qui traite l’obésité comme une maladie avec un suivi à long terme.
Madeleine Girard a perdu 65 kilogrammes, soit le tiers de son poids, depuis janvier 2018 en apprenant à gérer ses émotions. Si l’obésité a une centaine de causes possibles, la psychologue du programme, Angela Newfeld, affirme qu’un grand nombre de personnes utilisent la nourriture pour compenser des traumatismes vécus à l’enfance.
Toutefois, s’il est possible d’éliminer la consommation d’alcool ou de drogues, la nourriture demeure un besoin vital et les patients doivent apprendre à consommer la nourriture différemment et lutter contre les fringales calorifiques.
Le cercle vicieux de l’isolement
L’obsession de la nourriture, une variante qui affecte certains patients souffrant d’obésité, occupait les pensées de Mme Girard à tout moment de la journée : « C’était tellement obsessif que ça en devenait intrusif. »
Joanne Stewart aussi s’est, au fil des ans, de plus en plus confinée à la maison, évitant son reflet dans les miroirs.
Manque de recherches
Le Yukon (nord-ouest du Canada) détient l’un des taux d’obésité les plus élevés au Canada, soit 34,4 %. Le taux de personnes obèses est de 26,3 % dans le reste du pays, selon Statistique Canada. Il s’agit par ailleurs d’une augmentation marquée par rapport à 2014, lorsque le territoire affichait un taux d’obésité de 22 %.
Aucune recherche ne s’est encore penchée sur les causes d’une telle prévalence. Le plus récent Rapport sur la santé du Yukon affirme que les données à venir permettront d’établir une tendance.
Entre-temps, la liste d’attente pour participer au programme de traitement spécialisé et multidisciplinaire Weight Wise continue de s’allonger, étant actuellement de quatre ans et demi.
La médecin Isabelle Gagnon est responsable du programme Weight Wise dont le taux de succès dépasse 80 % depuis sa mise en place en 2010. Le programme coûte annuellement 725 000 $, selon le ministère de la Santé et des Affaires sociales.
Les spécialistes sont toutefois d’avis qu’en tenant compte des coûts associés aux autres problèmes de santé engendrés par l’obésité, telle que l’arthrose, le diabète, l’apnée du sommeil ou l’hypertension, le manque de traitement et de prévention coûte encore plus cher au système de santé.
Joanne Stewart espère que la médecine et le traitement de l’obésité s’amélioreront avec le temps.