Conseil de l’Arctique : Les États-Unis refusent de signer une déclaration commune en raison de propos climatiques
ROVANIEMI, Finlande – Pour une première fois dans l’histoire, une réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique s’est conclue sans déclaration commune des États de l’Arctique. Une situation qui confirme les informations rapportées ces dernières semaines, selon lesquelles les manoeuvres des États-Unis visant à retirer les propos climatiques mettaient en péril l’adoption d’une version définitive du document.
Les ministres ont plutôt présenté un communiqué commun d’une page, dans lequel les peuples de l’Arctique ont affirmé leur engagement pour « […] le bien-être des habitants de l’Arctique, le développement durable et la protection de l’environnement arctique. » Le document ne fait aucune mention des changements climatiques ou de l’Accord de Paris sur le climat.
Plus d’une douzaine de membres des organisations autochtones de l’Arctique et de délégations des États de l’Arctique ont confirmé à Regard sur l’Arctique que cette situation découle des objections américaines.
Le Conseil de l’Arctique est un forum intergouvernemental fonctionnant par consensus, composé de huit pays nordiques dont le Canada, ainsi que six groupes autochtones considérés comme membres permanents. Mardi, l’Islande a pris le relais de la Finlande à la tête de l’organisation pour une période de deux ans.
Sans nommer les États-Unis, le ministre finlandais des Affaires étrangères Timo Soini a affirmé après la rencontre que les négociations se sont poursuivies jusqu’au dernier moment, mardi matin, afin d’arriver à un compromis pour un communiqué commun, deux heures et demie avant l’ouverture de la plénière.
« Il est évident que les questions climatiques sont perçues différemment d’une capitale à l’autre », a dit Soini en conférence de presse. « Mais le communiqué commun a aussi une grande importance, car il montre que les huit ministres des Affaires étrangères peuvent s’entendre sur des éléments fondamentaux. »
« On ne peut résoudre tous les problèmes et les désaccords en une seule rencontre ministérielle. Le plus important, c’est que tout le monde était ici. […] Le résultat aurait pu être bien pire. »
Le Canada s’abstient de tout commentaire
La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, n’a pas commenté ce dénouement décevant durant son allocution à la rencontre ministérielle, mardi, mais a rappelé l’importance de travailler avec les peuples autochtones sur les questions environnementales.
« Nous devons tous nous inspirer de la sagesse et de l’expérience des six organisations autochtones participantes permanentes, afin de nous aider à nous adapter aux changements climatiques pour protéger le Nord », a déclaré Chrystia Freeland. La ministre canadienne a d’ailleurs annoncé un financement supplémentaire allant jusqu’à 10 millions de dollars et visant à soutenir la participation des groupes autochtones canadiens au Conseil de l’Arctique.
Affaires mondiales Canada et le bureau de la ministre canadienne des Affaires étrangères Chrystia Freeland n’ont pas répondu à nos demandes de commentaires concernant l’absence de déclaration à la rencontre ministérielle.
La ministre suédoise des Affaires étrangères, Margot Wallstrom, et la majorité des six organisations autochtones du Conseil de l’Arctique ont été les seuls à réagir ouvertement à l’échec de la déclaration lors de leurs discours en plénière.
Le Canadien Bill Erasmus, président du Conseil arctique de l’Athabaska, qui représente les gouvernements des Premières Nations de l’Athabaska au Canada et aux États-Unis, n’a pas mâché ses mots au sujet de l’absence d’une déclaration.
« Les membres participants permanents ont habituellement l’occasion de participer pleinement à l’élaboration et à la rédaction de la déclaration du Conseil de l’Arctique, dans laquelle nos positions sont pleinement appuyées et intégrées à une vision d’ensemble », a déclaré Erasmus lors de son discours, affirmant également que le communiqué, rédigé sans la participation des Autochtones, « ne représente pas le fonctionnement habituel du Conseil de l’Arctique. »
En entrevue avec Regard sur l’Arctique au terme de la rencontre, Erasmus a dit être « déçu » et « inquiet » par rapport au dénouement.
« [Le communiqué] ne va pas assez loin et ne provient pas de nous », a-t-il dit. « Nous sommes en crise. [Les changements climatiques] sont réels, ils sont causés par l’homme, et on peut les combattre.
« Nous sommes tous responsables et nous devons agir collectivement pour assurer un avenir aux jeunes. »
Les États-Unis jouent les trouble-fête
Le Conseil de l’Arctique a pour mandat de discuter de développement durable et de protection de l’environnement dans le Nord. Les questions militaires et de sécurité y sont spécifiquement exclues, un fait qui a servi à protéger l’organisation des tensions politiques touchant d’autres régions du monde et qui lui ont permis de se concentrer sur des problèmes communs dans l’Arctique.
Les pays se rencontrent tous les deux ans pour dresser un bilan, transférer la présidence, et signer une déclaration définissant leurs priorités du prochain mandat, d’une durée de deux ans.
L’événement est habituellement formel et sans grands éclats. Cette année, les États-Unis ont cependant joué les trouble-fête dans les semaines précédant la réunion ministérielle, non seulement en torpillant la déclaration commune, mais aussi par une allocution sur la politique dans l’Arctique, en marge de la rencontre ministérielle, lundi soir. Dans son discours, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo s’est attaqué aux politiques de l’Arctique de la Chine, ainsi qu’à celles de la Russie et du Canada, membres du Conseil de l’Arctique.
Les États-Unis se retrouvent en porte-à-faux avec le reste de la communauté arctique sur le dossier des changements climatiques depuis l’annonce par le président Trump, en 2017, du retrait américain de l’Accord de Paris sur le climat. Un geste dénoncé par les autres pays membres de l’Arctique et qui demeure une pomme de discorde lors des discussions bilatérales entre ces derniers et les États-Unis.
Timo Koivurova, directeur et chercheur au Centre de l’Arctique de l’Université de Laponie, en Finlande, et expert du Conseil de l’Arctique, dit croire en la solidité du forum, mais prévoit une période difficile pour la communauté internationale de l’Arctique en raison des politiques environnementales du président Trump.
« La majeure partie du travail du Conseil de l’Arctique est liée directement ou indirectement aux changements climatiques. Si les États-Unis refusent la simple mention des changements climatiques dans la déclaration commune, il faut s’attendre à une situation très difficile au cours des prochaines années. »
Le ministre islandais des Affaires étrangères, Gudlaugur Thor Thordarson, reconnaît que son pays hérite de la présidence dans une période mouvementée, mais affirme que cela n’empêchera pas l’Islande de se concentrer sur l’environnement marin, l’énergie verte, les peuples de l’Arctique et le renforcement de l’organisation durant son mandat.
« L’Arctique et le Conseil de l’Arctique sont probablement plus importants que jamais », a déclaré Thordarson à l’issue de la rencontre. « Nous savons bien sûr que cela est dû aux changements climatiques.
« Il s’agit d’un énorme défi, d’une lourde tâche […] Plusieurs secteurs demanderont beaucoup de travail, mais cela en vaut vraiment la peine. »