Protection de l’enfance : qui peut le mieux s’occuper des enfants autochtones?
Alors qu’ailleurs au Canada la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis ne fait pas ou si peu couler d’encre, au Québec, l’encre a fini par s’étaler et les langues se sont déliées. Pas un jour ne se passe sans qu’un éditorialiste, un journaliste, un chef autochtone ou un expert s’exprime sur le sujet qui concerne, d’abord et avant tout, l’intérêt des enfants autochtones.
Adoptée en juin 2019, entrée en vigueur le 1er janvier dernier, la loi C-92 cède le contrôle de la protection de la jeunesse aux communautés autochtones, partout au pays. Elles ont maintenant le pouvoir de légiférer et de dispenser leurs propres services.
La prise en charge des enfants par les communautés devrait ainsi réduire le nombre de ceux qui sont placés en famille d’accueil.
« C’est une loi qui est venue affirmer le droit et l’autodétermination des Premières Nations, ce qui était demandé depuis des années », dit Marjolaine Sioui, la directrice générale de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL).
Tous s’étaient déjà entendus sur les grands principes de cette loi, soit d’assurer des services adaptés à la culture des enfants et des familles concernées, tout comme l’appartenance à la communauté.
D’après Marjolaine Sioui, il s’agit « de reprendre en charge et en main notre façon de pouvoir gérer nos services, mais aussi accompagner nos familles à l’intérieur d’une loi qui nous ressemblerait davantage que de par des lois qui nous ont été imposées ».
Malgré la contestation constitutionnelle que Québec s’apprête à déposer, lequel estime que cette loi empiète sur son champ de compétence, la loi s’applique, affirme Jacynthe Ledoux, avocate auprès d’Olthuis Kleer Townshend LLP. La question fondamentale qui se pose, selon Mme Ledoux, est de savoir « si la procédure déposée par le Québec sera accompagnée d’une demande d’injonction ou non », ce qui pourrait retarder l’application de la loi au Québec.
Du point de vue de l’ethnologue et chroniqueuse Isabelle Picard, « la contestation de la loi C-92 est un exemple flagrant de cette discrimination systémique [ainsi nommée par le juge Jacques Viens dans son rapport final], même si on ne connaît pas encore la finalité de la situation »
Entre-temps, certaines communautés ont fait part de leur intérêt d’exercer leur propre juridiction concernant les services à l’enfance et à la famille. Une fois en place, la loi que se seront donnée les communautés autochtones primera les lois fédérales et provinciales de la protection de la jeunesse « en cas de conflit ou d’incompatibilité », à une exception près, celle de l’intérêt de l’enfant.
Justement « qui déterminera le meilleur intérêt de l’enfant? », se demande Isabelle Picard. « La loi C-92 ajoute des outils supplémentaires pour les peuples autochtones, explique l’avocate Jacynthe Ledoux. Elle précise que l’article 9 de la loi définit ce qui doit être pris en considération pour déterminer ce qui représente l’intérêt supérieur de l’enfant.
« Le problème, c’est qui va interpréter le meilleur intérêt de l’enfant dans les contextes judiciarisés? La DPJ, les travailleurs sociaux, les juges de la Cour du Québec? », dit encore Jacynthe Ledoux, tout en expliquant que l’article 23 de C-92 permet au juge de passer outre aux lois autochtones s’il considère que c’est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
Et le financement de la loi C-92?
« Ce qui manque présentement partout au pays, se désole Richard Gray, le gestionnaire des services sociaux à la CSSSPNQL, c’est le fait qu’on n’a aucun argent disponible via le gouvernement fédéral pour développer nos propres lois, nos propres systèmes. » Il espère que des montants seront alloués à ce chapitre dans le prochain budget d’Ottawa.