COVID-19 dans l’Arctique canadien : le Nunavik sur le qui-vive

Petites maisons typiques de la région du Nunavik. On voit ici le village de Puvirnituq. (Myriam Fimbry/Radio-Canada)
Le Nunavik se prépare activement à faire face à la propagation du coronavirus. Aucun cas n’est encore déclaré, mais si la maladie atteint cette région, la plus au nord du Québec, elle risque de se répandre très rapidement au sein des familles et des communautés inuit, en raison du nombre élevé de personnes vivant sous le même toit et du manque d’infrastructures médicales.

Il fait – 25 °C et des cris et des rires retentissent dans les rues du village de Puvirnituq, interrompus de temps à autre par le passage d’une motoneige ou le klaxon d’un camion. La neige durcie et glacée au sol est suffisamment lisse pour permettre aux enfants de se passer la puck devant leur maison.

Ils ont 10, 12, 13 ou 14 ans et sont bien contents que les écoles soient fermées pendant deux semaines. C’est l’occasion de jouer au hockey dehors, d’escalader les montagnes de neige, de partir à la chasse au caribou ou à la pêche, avec leurs oncles, tantes ou parents.

Partie de hockey dans les rues du village de Puvirnituq. (Myriam Fimbry/Radio-Canada)

Certains viennent d’entendre parler du coronavirus à la télé. Pour eux, c’est un mot encore associé à Montréal, au « Sud ». « As-tu le corovirus? », me demande en anglais l’un d’eux, qui a du mal à se souvenir du mot exact. Il passe aussitôt à autre chose : « Moi aussi, j’ai le iPhone 8! »

C’est la semaine de relâche normalement au Nunavik. Elle jouera les prolongations, cette année, jusqu’au 27 mars comme partout au Québec. Et sans doute plus longtemps encore, comme l’a laissé entendre le premier ministre François Legault.

Coucher de soleil à Puvirnituq. (Myriam Fimbry/Radio-Canada)

À Puvirnituq, village inuit de 1800 habitants situé dans la baie d’Hudson, tous les lieux de rassemblements ont fermé les uns après les autres. Les deux écoles, puis l’hôpital, interdit aux visites, l’aréna et le gymnase communautaire, l’atelier de couture, où les femmes apprennent à fabriquer des mitaines en cuir ultra-chaudes et à coudre des fourrures autour des capuchons de manteaux.

Les épiceries Coop et Northern, le dépanneur Quick Stop et le restaurant – le seul du village, sans service aux tables – sont restés ouverts, derniers lieux de rencontre pour la communauté. Puis le restaurant, à son tour, a annoncé mercredi sur sa page Facebook qu’il fermait ses portes pour une durée indéterminée.

Le restaurant de Puvirnituq (Myriam Fimbry/Radio-Canada)

C’est dans ce restaurant, deux jours plus tôt, que j’ai rencontré Nicolas et Lisa.

Originaire de Puvirnituq, Nicolas Alasuak est pilote d’avion chez Air Inuit. Il assure des liaisons régionales entre les sept villages de la baie d’Hudson pour les évacuations aériennes médicales.

« C’est un service essentiel, explique-t-il. Il n’y a pas de routes qui relient les villages, pas de route qui rejoint Montréal. Notre seul moyen, notre ligne de vie, c’est par avion. La compagnie aérienne prend des mesures très strictes, comme désinfecter les avions après chaque vol et sensibiliser les passagers à l’importance de bien se laver les mains et de tousser dans le coude. »

Nicolas Alasuak devait se rendre à Montréal pour un cours de mise à niveau, mais il a été annulé à cause du coronavirus. « Il faut vraiment limiter les voyages. Si ce n’est pas nécessaire, je ne descendrai pas à Montréal. »

A l’aéroport de Puvirnituq, quelques jours avant la suspension de tous les vols non essentiels. (Myriam Fimbry/Radio-Canada)

Il ne croyait pas si bien dire. Le lendemain, la Société Makivik, l’organisation politique composée de leaders inuit, exhortait à cesser tout voyage entre le Nord et le Sud à moins qu’il ne soit absolument nécessaire.

Les deux compagnies aériennes détenues par Makivik, Canadian North et Air Inuit, ont aussitôt emboîté le pas et réduit leurs vols quotidiens d’au moins 50 %. Les avions volent encore, mais n’assurent plus que le service minimum, soit le cargo pour apporter vivres et matériel, et le transport de patients.

« Les gens du Sud qui viennent au Nord pour travailler voyagent beaucoup », fait remarquer Lisa-Louie Ittukallak, une designer inuit attablée au restaurant avec Nicolas.

Les travailleurs ou enseignants partis se reposer pour la semaine de relâche à Québec ou Montréal pourront-ils revenir au Nord? C’est une question sans réponse pour l’instant.

Lisa-Louie Ittukallak commence à s’inquiéter de la possible arrivée du coronavirus dans la communauté. ( Lisa-louie Ittukallak/Facebook/Radio-Canada)

Lisa-Louie Ittukallak dessine des manteaux pour une entreprise canadienne et travaille comme adjointe administrative aux services communautaires. Elle a changé ses habitudes, se lave les mains plus souvent : chaque fois qu’elle fait les commissions, qu’elle arrive au travail ou qu’elle revient à la maison.

Elle commence à s’inquiéter. Elle fait remarquer que la tuberculose frappe déjà la région, épisodiquement. « On a quelques cas. Et si le coronavirus arrive, en même temps, ça va être dur. »

Cellule de crise

À l’autre bout du village, c’est réunion sur réunion, cellule de crise sur cellule de crise. Les gestionnaires de l’hôpital passent des heures à se concerter avec tous les acteurs régionaux pour se préparer à l’éventuelle arrivée du coronavirus.

« On anticipe l’arrivée d’un premier cas confirmé et le risque que la maladie se propage ici. »Andy Moorhouse, directeur général du Centre de santé Inuulitsivik

Les défis sont nombreux dans cette région immense – le tiers du Québec, peuplée de 12 000 résidents permanents, répartis dans 14 villages inuit, reliés entre eux uniquement par avion.

Le territoire du Nunavik est situé au-delà du 55ᵉ parallèle nord. (Gouvernement du Québec)

Deux hôpitaux de taille modeste desservent l’ensemble du Nunavik, l’un à Kuujjuaq pour la baie d’Ungava, l’autre à Puvirnituq pour la baie d’Hudson. Les 12 autres communautés se contentent d’un centre local de services communautaires (CLSC), où travaillent surtout des infirmières, plus rarement des médecins.

Infrastructures limitées

« Le plus grand défi, c’est les infrastructures », dit Andy Moorhouse, directeur général du Centre de santé Inuulitsivik, à Puvirnituq.  « Par exemple, si on a un grand nombre de nouveaux cas qui éclosent dans les prochaines semaines ou mois, disons 50 cas, nous n’avons pas l’infrastructure pour gérer ça. »

« On est un très petit centre hospitalier, avec 15 lits. Ça peut se remplir assez rapidement, ajoute la directrice des soins infirmiers », Linda Godin. « On n’a pas d’unité de soins intensifs, pas d’anesthésiste. On a énormément d’enjeux par rapport aux effectifs infirmiers. » Elle souhaite pouvoir faire venir des renforts.

Partout au Nunavik, c’est la course aux espaces vacants. « Juste de nous demander de développer des sites de dépistage alternatifs, c’est complexe, ici. Il faut vraiment qu’on soit ingénieux et qu’on travaille avec nos partenaires communautaires pour voir ce qui est disponible dans la communauté. »

L’église, les écoles, les gymnases? « Ce sont toutes des options qu’on regarde, répond Linda Godin. Puisque tout est fermé présentement. »

Si les deux hôpitaux débordent, le Nunavik pourrait devoir évacuer certains patients dans un état critique, par avion vers Montréal. « Pour nous, ce qui est super important présentement, c’est de maintenir nos corridors de service avec le Sud, le CUSM (Centre universitaire de santé McGill) et tout l’arrimage avec les services d’évacuations. »

L’isolement des malades

Andy Moorhouse joue cartes sur table. « On a tout l’équipement nécessaire pour traiter environ 10 personnes dans notre hôpital. On se prépare à avoir une aile d’isolement. Il y aura des lits pour les patients atteints de la COVID-19 qui ont des problèmes respiratoires. Mais pour les autres, ils resteront à la maison, à moins qu’ils aient besoin d’assistance médicale. »

L’isolement à la maison, dans une chambre? C’est là tout le défi.

Si l’espace est infini dehors, avec des kilomètres de toundra autour du village, la place est beaucoup plus restreinte à l’intérieur. Dans les maisons, les gens vivent parfois à 10 sous le même toit, à cause d’une pénurie persistante de logements.

« Les maisons sont souvent intergénérationnelles », ajoute le pilote Nicolas Alasuak. « Il y a beaucoup de monde dans les maisons, les enfants, les petits-enfants. C’est très important l’aspect familial et le contact humain dans notre culture. »

Andy Moorhouse en est très conscient. Il veut s’assurer que la population soit bien au fait de cette situation et prenne le maximum de précautions pour éviter la transmission. Pour l’instant, il ne voit pas d’autre solution.

Le directeur général du centre de santé Inuulitsivik, Andy Moorhouse. (Myriam Fimbry/Radio-Canada)
« S’il y a une personne qui contracte le coronavirus au Nunavik, ça peut se propager vraiment, vraiment rapidement. »Andy Moorhouse, directeur général, centre de santé de Puvirnituq
Protéger les aînés

Une autre préoccupation actuelle au Nunavik, c’est de protéger les aînés, les « elders » comme on les appelle ici. Ce sont les plus vulnérables, mais aussi les plus respectés.

Un animateur octogénaire, à la radio communautaire de Puvirnituq. (Myriam Fimbry/Radio-Canada)

Si dans certains pays européens, comme la France ou l’Italie, on serait prêt à laisser mourir les personnes âgées pour sauver les jeunes, un tel choix serait inconcevable au Nunavik. Ce serait laisser mourir la mémoire et la culture inuit.

« Les aînés sont très importants pour nous, dit la mairesse de Puvirnituq, Lucy Qalingo Aupalu, élue en 2018 après une carrière dans l’éducation. Ils savent beaucoup de choses, ils ont beaucoup de connaissances qu’ils doivent transmettre aux plus jeunes générations. »

Ils sont admirés pour leur résilience. « Beaucoup d’entre eux ont souffert de maladies comme la rougeole, la variole, la tuberculose, poursuit la mairesse. Beaucoup ont été envoyés dans des écoles résidentielles, ils ont été négligés et victimes d’abus. Ils sont passés à travers des choses très difficiles et on leur doit le plus grand respect. »

La mairesse de Puvirnituq, Lucy Qalingo Aupalu. (Myriam Fimbry/Radio-Canada)

C’est pourquoi les visites aux aînés sont suspendues et la distance avec eux recommandée, malgré leur place centrale dans la communauté inuit.

Ainsi, Nicolas Alasuak n’a pas rendu visite à sa grand-mère ces derniers temps. Cette mesure préventive est bien acceptée par la population, bien que parfois difficile à appliquer, d’un point de vue pratique, si l’aîné vit sous le même toit.

La mairesse de Puvirnituq ne s’inquiète pas trop pour l’instant et prend les choses avec philosophie : « Ce n’est pas pour toujours, c’est une question de temps, et le coronavirus va finalement s’en aller. »

Myriam Fimbry, Radio-Canada

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