Les saumons du Pacifique peuvent se reproduire dans l’Arctique, montre une étude
Un saumon kéta juvénile a été découvert dans les eaux du nord de l’Alaska, rapporte une équipe canado-américaine, une première trouvaille de la sorte qui témoigne, selon les scientifiques, de l’environnement changeant de la région.
Le saumon kéta se retrouve dans toute la région du Pacifique, depuis l’Oregon, aux États-Unis, jusqu’au Japon, en passant par les eaux bordant l’Alaska, la Russie et la Corée.
Les scientifiques et les pêcheurs de la zone côtière du nord de l’Alaska sont bien au fait de la présence de saumons du Pacifique jusque dans les eaux de la mer de Beaufort, au nord de leur aire habituelle. Ils savent aussi que ces saumons viennent pondre leurs oeufs dans les rivières le long de la côte nord de l’Alaska.
La découverte est toutefois la première preuve de leur capacité de se reproduire dans cette région arctique, du fait qu’un oeuf ait effectivement survécu à l’hiver et donné naissance à un saumon viable.
La prise a été effectuée en 2017, près du village de Kaktovik, sur la côte nord de l’Alaska. Outre le saumoneau, le filet contenait aussi de petits ciscos arctiques, une espèce commune dans cette région.
En analysant sa chair et en la comparant à celle d’autres poissons de la région, l’équipe, menée par Karen Dunmall de Pêches et Océans Canada, a déterminé que ce jeune saumon kéta avait vu le jour probablement dans le fleuve Mackenzie, aux Territoires du Nord-Ouest, et avait grandi dans le delta, avant de se diriger plus à l’ouest le long de la côte de l’Alaska.
Selon les chercheurs, la hausse des températures, une saison de croissance plus longue, le déclin de la couverture de glace et un apport accru de nutriments pourraient entre autres faciliter la naissance et la survie des kétas dans cette région arctique.
« De plus en plus de saumons adultes sont capturés dans l’Arctique canadien, mais nous ne savions pas si ces saumons vagabonds se reproduisaient avec succès et produisaient des jeunes, ou s’ils étaient incapables de trouver des partenaires ou des habitats appropriés et donc incapables de s’établir dans de nouveaux endroits », explique en anglais Karen Dunmall dans un échange par courriel.
« Avec la capture de ce saumon kéta juvénile, nous savons qu’ils peuvent réussir, du moins quelque part le long de l’Arctique nord-américain. Cela aide également à guider les prochaines étapes en déterminant où cela a lieu précisément et ce que ça pourrait signifier pour les espèces et les écosystèmes de l’Arctique », ajoute-t-elle.
Changements environnementaux
« En sortant de la limite de leur aire de répartition et de leurs tolérances physiologiques, et dans des écosystèmes très variables et en évolution rapide, les saumons du Pacifique sont le signe que l’Arctique change rapidement », écrivent les chercheurs dans leur étude.
Les scientifiques notent de plus que les pêcheurs autochtones de la région devront s’habituer à la présence de nouvelles espèces, comme le kéta, et adapter leurs méthodes ou peut-être même leur alimentation.
« Nous examinons également le régime alimentaire des saumons et des espèces de poissons arctiques dans les systèmes marins et d’eau douce afin de mieux comprendre s’ils mangent les mêmes choses et pourraient donc se faire concurrence pour la nourriture », dit Karen Dunmall.
« Nous travaillons également avec d’autres scientifiques pour déterminer si le saumon apporte de nouveaux agents pathogènes, tels que des virus, dans l’Arctique. Alors que certaines personnes dans l’Arctique canadien consomment du saumon, d’autres n’en mangent pas. Et l’augmentation du nombre de saumons dans les communautés suscite certaines inquiétudes à cet égard », poursuit la chercheuse.
Cette étude s’inscrit dans le cadre du projet « Saumon arctique », une collaboration de Pêches et Océans Canada, de scientifiques du sud du pays et d’organismes et de communautés locales. Le but est de documenter les prises inhabituelles faites par les pêcheurs des communautés du Nord.
« Une surveillance continue et des recherches ciblées sur le saumon dans l’Arctique nord-américain et sur l’important corridor côtier au nord du continent sont nécessaires pour mieux comprendre la biodiversité et les habitats actuels et changeants, y compris l’occurrence et l’étendue des interactions potentielles entre le saumon et les différentes espèces de poissons qui ont une importance du point de vue culturel », écrivent les auteurs de l’étude.
Les travaux ont été publiés fin mars dans le Canadian Journal of Fisheries and Aquatic Sciences.