Une population d’ours polaires distincte découverte au Groenland
Un groupe isolé et génétiquement distinct d’ours polaires a été repéré dans le sud-est du Groenland par des scientifiques américains et danois.
Cette population, qui compte quelques centaines d’individus tout au plus, chasse le phoque sur la glace d’eau douce libérée par les glaciers de la région qui se jettent dans le détroit du Danemark.
La professeure Kristin Laidre, du Polar Science Center de l’Université de Washington, et ses collègues se réjouissent de cette découverte puisque, contrairement aux autres populations, celle-ci vit dans une région à peu près libre de glace de mer, ce qui constitue un environnement semblable à celui qui prévaudra, selon les modèles climatiques, dans le Haut-Arctique à la fin du 21e siècle.
Les prévisions – très pessimistes – sur la survie de l’espèce dans l’avenir sont basées sur des projections climatiques à grande échelle et ne tiennent pas compte du rôle des plus petits habitats qui pourraient représenter des « refuges climatiques ».
Il faut savoir que les biologistes lient l’avenir de l’ours polaire à la présence de glace de mer dont ils dépendent pour chasser.
L’identification de cette population permet d’espérer, selon la Pre Laidre, que les autres populations d’ours polaires s’adapteront à la disparition rapide de la glace de mer causée par le réchauffement de la température, particulièrement marqué en Arctique.
Des animaux en danger
Les auteurs de ces travaux publiés dans la revue Science (en anglais) étudient cette population depuis 2011 avec l’objectif d’évaluer son état dans le contexte des changements climatiques.
Cela dit, les scientifiques documentent les mouvements, la génétique et la démographie de ces ours polaires depuis 36 ans. Ces données ont enrichi les travaux menés depuis plus d’une décennie.
Une population isolée
Les chercheurs ont d’abord établi, grâce à la télémétrie par satellite, qu’un certain groupe vivant au sud du 64e parallèle nord n’interagissait pas avec les ours vivant au nord du même parallèle. Ils ont aussi remarqué que certains ours de ce groupe se déplaçaient entre les fjords présents sur le territoire, alors que d’autres pouvaient rester dans un fjord pendant des années.
« Le degré d’isolement géographique des ours du sud-est du Groenland les distingue des autres sous-populations », expliquent les auteurs.
Adaptation régionale
De prime abord, les conditions actuelles de la glace de mer dans cette région semblent peu propices à la survie d’une population d’ours polaires.
Durant l’hiver et au printemps, les ours du sud-est du Groenland utilisent la banquise côtière (amas de glace de mer gelée jusqu’au littoral) pour se déplacer et chasser. Cependant, le nombre de jours par an où cette banquise côtière est présente n’est pas élevé, soit de 0 à 153 jours. En moyenne, cet amas de glace, qui se forme en février et disparaît à la fin du mois de mai, est présent 89 jours par année.
La région est donc exempte de glace de mer pendant plus de 250 jours par an, ce qui dépasse de beaucoup le seuil de jeûne saisonnier des ours polaires, qui varie de 100 à 180 jours.
« Nos données montrent que les ours du sud-est du Groenland utilisent plutôt le mélange glaciaire (glace d’eau douce au front des glaciers) comme plateforme pour chasser pendant la saison sans glace de mer, alors que, dans la plupart des régions de l’Arctique, les ours polaires doivent se déplacer sur la terre ferme ou suivre le recul de la glace de mer vers le nord dans le bassin polaire », notent les chercheurs dans leur étude.
Les renseignements recueillis montrent en outre que certains ours qui se sont déplacés hors des fjords présents sur le territoire ont souvent été pris sur de la glace entraînée par le courant côtier de l’est du Groenland, dérivant en moyenne de 189 km en deux semaines. Or, ces ursidés ont tous nagé vers la côte, puis marché par voie terrestre jusqu’à leur fjord d’origine dans un délai d’un ou deux mois, ce qui montre la grande fidélité des bêtes à cette région.
Ainsi, selon les chercheurs, ce groupe d’ours semble « avoir adapté ses déplacements à la géographie physique spécifique de la région ».
Génétiquement différents
L’étude montre par ailleurs que cette population est très différente des autres sur le plan génétique.
L’analyse de 40 génomes d’ours, de 372 séquences microsatellites individuelles et de 16 transcriptomes sanguins l’établit hors de tout doute.
En analysant et en comparant les données recueillies auprès de 3064 ours de toutes les populations à l’extérieur du bassin arctique, les scientifiques ont déterminé que la population nouvellement découverte était la plus isolée.
Selon les chercheurs, l’unicité de ce groupe aurait évolué sur une période de plusieurs centaines d’années d’isolement. La plus ancienne référence aux ours polaires dans le sud du Groenland remonte aux années 1300, et la première trace écrite occidentale documentant la présence d’ours dans les fjords du sud-est du Groenland date des années 1830.
Ces données appuient les analyses d’ADN, qui laissent à penser que les ours du sud-est du Groenland échantillonnés dans l’étude partagent un ancêtre commun apparu il y a environ 200 ans et seraient donc génétiquement isolés depuis au moins ce moment.
« Les ours du sud-est du Groenland ont peu de possibilités de dispersion. Leur habitat se caractérise par une topographie côtière abrupte avec des fjords séparés par des montagnes de plus de 2000 m et des glaciers étroits. À l’ouest, la dispersion est limitée par l’inlandsis groenlandais. À l’est, on trouve les eaux libres du détroit du Danemark », précise l’équipe de recherche.
Une population à protéger
La Pre Kristin Laidre et ses collègues estiment que les ours polaires du sud-est du Groenland répondent aux critères de reconnaissance d’une 20e sous-population d’Ursus maritimus.
Dans un texte de perspective publié en marge de leur article, la biologiste de l’évolution Elizabeth Peacock, experte de la conservation des ours polaires à l’Université Emory aux États-Unis, plaide pour la conservation du groupe afin de préserver la diversité génétique et le potentiel évolutif de l’espèce.
« La conservation de cette population d’ours polaires représente un test important de l’influence moderne de l’accord international sur la conservation des ours polaires, vieux d’un demi-siècle », ajoute-t-elle.
L’Accord sur la conservation des ours blancs est entré en vigueur en 1976 et lie cinq pays (États-Unis, Russie, Norvège, Danemark et Canada). L’un de ses objectifs est de prendre « des mesures immédiates afin d’appliquer d’autres mesures de conservation et de gestion » des populations.