Des « virus géants » découverts dans un lac de l’extrême-Arctique 

La plateforme de glace Milne, avant sa rupture en 2020 (Adrienne White/Canadian Ice Service)
Des chercheurs canadiens ont découvert des « virus géants » dans un lac épi-plateforme dans le nord de l’île d’Ellesmere, dans l’Arctique canadien. Cette découverte amène les scientifiques à s’interroger sur les relations entre les microbes et les autres organismes vivants dans cet écosystème très particulier du Grand Nord qui est menacé par le réchauffement.

Ce lac, situé à Milne Fiord, se trouve à la jonction entre un glacier et la banquise. Il est formé d’une épaisse couche d’eau douce qui elle-même se trouve sur un réservoir d’eau salée connecté à l’océan. Cela forme un milieu rare dont l’activité biologique singulière restait à explorer.

Ce milieu est « en danger critique de disparition » face aux changements climatiques dans le nord du Canada, explique dans un courriel Thomas M. Pitot, étudiant au doctorat à l’Université Laval et coauteur de l’étude parue dans la revue Applied and Environmental Microbiology.

« Ce lac épi-plateforme est l’un des seuls qui existent dans l’hémisphère Nord, et chaque année la plateforme de glace qui le retient en place se dégrade de plus en plus », mentionne-t-il.

Dans quelques années, ce lac est appelé à disparaître.

Cette étude est donc la première évaluation de l’abondance, de la diversité et de la distribution de virus dans un tel environnement, précise le chercheur. 

« Nous avons pu montrer la présence de virus géants dans cet environnement. Nous cherchons à savoir ce qu’ils y font et à étudier leurs capacités d’adaptation potentielles aux grands changements dans ce milieu. »

Ce lac éloigné de l’extrême-Arctique ne peut être atteint que par hélicoptère lorsque les conditions météorologiques le permettent. Cela complique la tâche pour les scientifiques. La prise d’échantillons nécessite aussi de l’équipement spécialisé, notamment pour briser la glace en surface.

Comprendre les interactions entre microbes et algues

Comme d’autres écosystèmes extrêmes, les lacs arctiques sont dominés par les microbes : des bactéries, des virus et des micro-eucaryotes. Cette dernière catégorie inclut beaucoup d’algues microscopiques, indique M. Pitot.

«  À Milne Fiord, nous croyons que les virus géants infectent ces algues. Les interactions complexes entre eux déterminent directement la productivité et le flux d’énergie de l’écosystème, mais aussi son bon fonctionnement et influencent les cycles locaux et planétaires de certains éléments essentiels, comme le carbone, l’hydrogène, l’oxygène ou l’azote », dit-il.

Le fait d’avoir une couche d’eau douce qui se superpose à une couche d’eau salée dans un endroit isolé et restreint crée un milieu très particulier pour le vivant.

« Cet environnement offre des niches pour les virus et les hôtes qui ne se trouvent ni dans les couches d’eau douce ni dans les couches marines de salinité uniforme » ailleurs dans l’océan, expliquent les chercheurs dans un communiqué.

Un exemple de virus géant (un mimivirus), qui peut être plus gros qu’une bactérie et de 10 à 20 fois plus gros qu’un virus moyen. Il s’agit ici d’une photo d’archive qui n’est pas en lien avec la recherche à Milne Fiord. (Ghigo et al, PLOS/Creative Commons)
Un génome particulier

En séquençant le génome de ces virus géants, les chercheurs espèrent faire des découvertes et ainsi mieux comprendre le rôle des virus dans l’évolution.

« Certains virus géants peuvent atteindre des tailles proches des bactéries et même être plus gros que les plus petites d’entre elles, indique M. Pitot. Cette taille extraordinaire leur permet d’avoir un gros génome complexe que l’on dit “chimérique”. On y retrouve notamment des gènes d’origines très variables, des gènes bactériens et eucaryotes par exemple. »

« La présence de ces gènes laisse sous-entendre un rôle important des virus géants dans le transfert de gènes entre organismes. Pendant l’infection, un virus peut transférer un gène d’une espèce à une autre, changeant le cours de l’évolution de cette dernière. De plus, on trouve dans leurs génomes des gènes qui codent pour des protéines probablement impliquées dans les métabolismes des hôtes. C’est possible que le virus puisse reprogrammer le métabolisme de l’hôte, afin de maximiser l’efficacité de la réplication virale », conclut-il.

Ce lac connaîtra des changements irréversibles. Déjà, les chercheurs y ont noté un déclin des cyanobactéries au fil du temps, ce qui signifie probablement que l’environnement marin prend graduellement le pas sur le milieu d’eau douce dans le lac. Ce travail scientifique est d’autant plus important à ce moment-ci, pour observer ces interactions entre virus et microorganismes avant que le milieu ait trop changé. 

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