Une nouvelle étude examine l’histoire de la contamination industrielle dans le pergélisol arctique

Alors que le dégel du pergélisol rend instables les sols de l’Arctique, une équipe de chercheurs internationale se penche sur les risques d’effondrement qui peuvent endommager les pipelines, les stocks de produits chimiques et les dépôts.
Afin d’évaluer les dangers, des d’experts d’Allemagne, des Pays-Bas et de Norvège ont examiné les activités industrielles dans le Grand Nord. Ils ont d’abord analysé les données accessibles indiquant que les régions de pergélisol de l’Arctique comptent environ 4500 sites industriels qui stockent ou utilisent des substances possiblement dangereuses.
Les scientifiques rappellent d’ailleurs que l’Arctique n’est plus considéré comme une région sauvage et intacte. Le vaste territoire qui regorge de ressources pétrolières et minières est depuis longtemps occupé par diverses activités industrielles.
Dans l’étude de l’Institut allemand Alfred Wegener, publiée dans la revue Nature Communications, on apprend que les installations humaines ont été construites sur des sols autrefois considérés comme particulièrement stables et fiables : le pergélisol (ou permafrost en anglais).
Notons que ce type de sol unique, que l’on trouve sur de vastes étendues de l’hémisphère nord, ne dégèle en surface qu’en été. Le reste, qui s’étend jusqu’à des centaines de mètres de profondeur, reste gelé toute l’année.
« Le pergélisol est traditionnellement considéré comme une barrière naturelle qui empêche la propagation des polluants », explique dans l’étude Moritz Langer, chercheur à l’Institut Alfred Wegener.
M. Langer raconte que les déchets industriels provenant d’installations anciennes ou en activité étaient souvent simplement laissés sur place, les compagnies ne voulant pas dépenser pour leur élimination.
« À la suite de l’expansion industrielle pendant la guerre froide, au fil des décennies, cela a conduit à des mini-décharges pleines de boues toxiques provenant de l’exploration pétrolière et gazière, à des stocks de débris miniers, à des installations militaires abandonnées et à des lacs dans lesquels des polluants ont été intentionnellement déversés », mentionne le chercheur.

Entre 13 000 et 20 000 sites contaminés
Selon Guido Grosse, directeur de la section de recherche sur le pergélisol de l’Institut Alfred Wegener, les experts supposaient que le pergélisol scellerait ces substances toxiques de manière « fiable et permanente », ce qui signifiait qu’il n’était pas nécessaire de procéder à des opérations d’élimination.
« Cet héritage industriel est toujours enfoui dans le pergélisol ou à sa surface, précise-t-il. Les substances concernées vont du diesel toxique aux métaux lourds et même aux déchets radioactifs. »
Mais à mesure que le réchauffement climatique se généralise en Arctique, ce « géant endormi » pourrait bientôt devenir une menace grave, avertissent les scientifiques. Comme les régions de pergélisol se réchauffent de deux à quatre fois plus vite que le reste du monde, le sol gelé dégèle de plus en plus.
« Par conséquent, les contaminants qui se sont accumulés dans l’Arctique pendant des décennies peuvent être libérés et se répandre dans des régions plus vastes », indiquent-ils.
Les chercheurs ont calculé, grâce à des modèles informatiques, l’occurrence des sites contaminés pour l’ensemble de l’Arctique. D’après les résultats de leur étude, les 4500 installations industrielles situées dans les régions de pergélisol ont très probablement produit entre 13 000 et 20 000 sites contaminés. De 3500 à 5200 d’entre eux sont situés dans des régions où le pergélisol est encore stable, mais commencera à dégeler avant la fin du siècle.
« Mais en l’absence de données plus complètes, ces résultats doivent être considérés comme une estimation plutôt prudente », précise M. Langer, tout en ajoutant que l’ampleur réelle du problème serait encore plus importante.
De son côté, M. Grosse note que l’intérêt pour les activités commerciales dans l’Arctique ne cesse de croître avec la construction de plus en plus d’installations industrielles. « Nous sommes en présence d’un grave problème environnemental qui ne peut que s’aggraver », dit-il.
Il suggère la mise en place de mesures d’urgence comme un système de surveillance des substances dangereuses liées aux activités humaines.
« Les compagnies ne peuvent plus abandonner des déchets industriels dans l’Arctique en l’absence d’options d’élimination. On ne peut plus compter sur le pergélisol pour contrer les risques qui y sont liés », conclut le directeur.