La fonte du pergélisol, entre secrets du passé et conséquences sur le climat

Des personnes prennent des photos d’un mammouth laineux femelle de 39 000 ans provenant du pergélisol sibérien présenté lors d’une exposition à Yokohama, au Japon, en juillet 2013. Les scientifiques affirment que le dégel du pergélisol révélera davantage de créatures, mais qu’il libérera également des tonnes de gaz à effet de serre, accélérant ainsi les changements climatiques. (Kazuhiro Nogi/AFP/Getty)
Selon les scientifiques, la fonte du pergélisol va révéler davantage de créatures millénaires, mais va aussi permettre que soient libérées des tonnes de gaz à effet de serre, accélérant ainsi le réchauffement climatique.

La découverte récente d’un bébé mammouth laineux très bien préservé au Yukon n’est que le sommet de l’iceberg quand il est question de trouver des créatures préhistoriques enfouies depuis longtemps dans le pergélisol de l’Arctique.

Ce genre de découverte peut être à double tranchant pour les scientifiques, puisque les changements climatiques et les activités humaines accélèrent la fonte et creusent le sol gelé depuis des milliers d’années.

Dans les dernières décennies, de nombreuses découvertes de ce type faites en Amériques du Nord, dont celle du bébé mammouth Nun Cho ga au Yukon, ont été possibles grâce aux activités minières.

« Sans les activités minières, il serait difficile pour nous d’étudier le pergélisol », confirme Thomas Opel, un chercheur sur le climat à l’Institut Alfred Wegener, en Allemagne, qui se trouvait dans la région du Klondike pour délimiter de futurs sites de recherches, le mois dernier.

Lorsque le pergélisol dégèle, les terres situées au-dessus sont endommagées, comme on le voit, ici, dans le village de Churapcha en Yakoutie, dans l’est de la Russie, en septembre 2021. (Maxim Shemetov/Reuters)

Les mineurs creusent des zones de pergélisol que les chercheurs comme M. Opel peuvent par la suite étudier pour mieux comprendre les cycles du climat sur les 100 000 dernières années. Si ces espaces ne sont pas entretenus correctement, ils peuvent cependant perdre tout intérêt pour l’avenir.

Excavations illégales

En Sibérie, des découvertes semblables ont été effectuées après que des équipes eurent dynamité le pergélisol et creusé d’énormes tunnels pour déterrer des défenses de mammouths.

Les chasseurs de défenses, qui procèdent souvent de façon illégale, ont tendance à jeter les autres parties des animaux qu’ils trouvent, note Love Dalén, un professeur en génomique évolutive à l’Université de Stockholm en Suède.

Ces opérations de creusement de tunnels ont tendance à générer de très grandes quantités d’os et de dents [anciens], qui sont simplement emportés parce qu’ils sont dans le chemin, jetés dans un grand tas à l’extérieur et laissés là.Love Dalén, professeur en génomique évolutive à l’Université de Stockholm

Il ajoute qu’il est donc intéressant pour les scientifiques de se rendre sur place pour échantillonner ces os et ces dents et pour en faire une analyse ADN.

Sparta, le lionceau des cavernes, est mort il y a 28 000 ans, mais a été parfaitement conservé avec sa fourrure, ses moustaches et ses organes. Cette photo a été publiée par les scientifiques qui étudient le lionceau le 6 août 2011. (Love Dalén)

Le professeur Dalén a notamment fait partie de l’équipe qui a étudié deux lionceaux préhistoriques trouvés par des chasseurs de défenses en Russie il y a quatre ans.

Il affirme que les tunnels des chasseurs donnent l’occasion aux géologues d’étudier le pergélisol de l’intérieur s’ils peuvent y avoir accès, mais ils causent aussi des dommages à l’environnement local.

« En gros, ça enlève le pergélisol. Au bout de quelques années, ces tunnels vont se dégeler au point de s’effondrer, et toute la zone où ils ont été creusés va s’affaisser puis être emportée dans la rivière. »

Accélération des changements climatiques

Malgré tout, les scientifiques pensent que les changements climatiques sont une menace bien plus grande pour le pergélisol que les activités humaines à petite échelle.

Une grave érosion du pergélisol menace des maisons dans le village yup’ik de Quinhagak, dans le delta du Yukon, en Alaska, en avril 2019. L’Arctique se réchauffe à un rythme plus rapide que le reste de la planète. (Mark Ralston/AFP/Getty)

La hausse des températures, plus marquée dans l’Arctique que dans le reste de la planète, conduit à la fonte de la glace souterraine, ce qui conduit à l’érosion et à l’affaissement des terres qui peuvent endommager des infrastructures.

Pourtant, cela n’est pas la seule source de craintes. À l’intérieur du pergélisol, on retrouve de la matière organique qui, en cas de fonte, va relâcher des milliards de tonnes de dioxyde de carbone et de méthane emprisonnés dans la glace depuis des milliers d’années, accélérant du même coup le réchauffement climatique.

Sur l’île d’Ellesmere, au Nunavut, la paléobiologiste Natalia Rybczynski commence à voir ces impacts sur le climat, entre autres sur un site important pour les fossiles du nom de Beaver Pond.

Lors d’une expédition, en 2006, Mme Rybczynski a découvert d’« énormes ruptures de pente » sur le flanc de la colline où se trouve le site qui est l’un des rares de l’Arctique à contenir des fossiles de mammifères.

La paléobiologiste Natalia Rybczynski emballe un fragment de fossile pour le transporter vers un camp de base sur l’île d’Ellesmere, au Nunavut, au cours de l’été 2008. Elle explique que l’un des sites fossilifères de l’île est menacé par des glissements de terrain dus au dégel du pergélisol. (Martin Lipman/Musée canadien de la nature)

Elle s’inquiète que ce dernier puisse disparaître sous ses yeux.

« Nous nous sentons vulnérables, nous sentons que le site est vulnérable et pourrait être perdu. Il s’agit du seul site sur lequel nous avons pu trouver autant de biodiversité, pour ce qui est des vertébrés, alors on s’inquiète. »

Selon un groupe international de scientifiques du climat, près de 90 % du pergélisol proche de la surface pourrait disparaître d’ici l’an 2100 si les émissions de gaz à effet de serre continuent à leur taux actuel.

Cela obligerait également le pergélisol à révéler davantage la vie ancienne qu’il cache, avec ou sans l’aide des mineurs ou des chasseurs de défenses.

« Tôt ou tard, nous trouverons un être humain vieux de 30 000 ans dans le pergélisol. Cela nous en apprendra beaucoup sur les êtres humains de l’ancien temps, ce qu’ils portaient, ce à quoi ils ressemblaient », prédit Love Dalén.

« Il ne s’agit que d’une question de temps. »

Avec les informations de Laura McQuillan

Radio-Canada

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