Pénurie de logements au Nunavik – les répercussions profondes sur l’éducation
Cette histoire fait partie du projet de reportage de Radio-Canada
Logements pour autochtones : Vivre à l’étroit
Cliquez ici pour accéder à toutes les histoires de la série
QUAQTAQ, Québec – William Ningiuruvik, 24 ans, se souvient à quel point il était plus facile de faire ses travaux scolaires après avoir quitté la maison surpeuplée de sa famille à 14 ans pour aller vivre chez sa grand-mère.
« Il y avait toujours beaucoup de monde chez mes parents, souligne M. Ningiuruvik. C’était difficile de faire mes devoirs. Mais chez ma grand-mère, j’avais ma propre chambre. Elle vivait seule, donc c’était beaucoup plus tranquille. J’étais beaucoup plus calme et je ressentais moins d’anxiété. »
À Kangirsuk, une communauté située à 115 km à vol d’oiseau au sud de Quaqtaq, Susie-Ann Kudluk, présidente du Conseil national de la jeunesse inuite, affirme que la pénurie de logements est un obstacle de longue date pour les étudiants.
« L’impact sur l’éducation est indéniable, affirme Mme Kudluk. Dans un logement surpeuplé, on ne peut pas vraiment avoir un espace pour soi, pour prendre soin de soi et de sa santé mentale. C’est une réalité qui affecte beaucoup de jeunes ici. »
Le Nunavik, la région inuit du nord du Québec, compte 14 000 habitants. Le surpeuplement est un problème de longue date. Pendant des décennies, les besoins en infrastructures du Nord ont été négligés par les gouvernements du sud et n’ont pas suivi la croissance démographique de la région.Les investissements ont augmenté au cours des dernières années, mais les progrès sont lents compte tenu de la complexité de la construction dans les environnements arctiques, du manque de terres disponibles dans certaines communautés et du coût élevé de la construction dans des endroits dépourvus de réseaux routiers les reliant au sud.
Le Nunavik a besoin d’environ 800 logements sociaux supplémentaires, ce qui signifie que de nombreuses personnes de la région vivent dans des conditions de surpeuplement. Les répercussions pour les étudiants qui vivent dans des logements exigus peuvent être profondes, car ils n’ont nulle part où étudier tranquillement ou faire leurs devoirs. Cela peut également les priver de sommeil, entraver leur capacité d’apprentissage et causer des problèmes de comportement.
« Je connais des familles qui vivent à trois ou quatre dans une seule chambre, précise Jeannie Dupuis, directrice générale adjointe de Kativik Ilisarniliriniq, la commission scolaire régionale du Nunavik. Lorsque les étudiants n’ont pas leur propre espace, leur qualité de vie s’en ressent.
Et si du bruit les a tenus éveillés toute la nuit, certains élèves dorment le matin, alors il y a une partie d’entre eux qui ne viennent pas à l’école. »
Recrutement et rétention des enseignants
Outre leurs effets sur les jeunes, la pénurie de logements et le manque d’infrastructures au Nunavik ont des répercussions considérables sur tous les aspects de l’éducation, notamment sur les conditions de travail du personnel local, sur la capacité de la commission scolaire à embaucher et à retenir les enseignants et sur la capacité à offrir des programmes spécialisés.
La commission scolaire Kativik gère plus de 400 appartements pour les employés qui viennent de l’extérieur de la région pour travailler, ou pour les employés du Nunavik qui quittent leur communauté d’origine pour un emploi dans un autre village.
En septembre 2022, selon les derniers chiffres disponibles, la commission scolaire manquait encore de quelque 160 unités pour son personnel. À raison d’un coût minimal de 1 million de dollars par unité, cela représente un minimum de 160 millions en coûts de construction.Chaque année, la commission scolaire présente ses besoins en matière de logement au gouvernement du Québec, qui approuve ensuite le financement des projets.
Elle se concentre actuellement sur la construction de quadruplex afin de mettre en commun les ressources et de réduire les coûts de construction. Mais la courte saison de construction dans l’Arctique, ainsi que le fait que les matériaux et l’équipement ne peuvent être apportés que sur l’un des trois ponts d’été du Nunavik, signifient que tout retard peut facilement entraîner des perturbations à l’horaire et une augmentation des coûts.
« Parfois, le prix est doublé ou triplé une fois que les travaux sont terminés, indique Sarah Aloupa, présidente de la Commission scolaire Kativik. Les équipes de construction sont plus chères quand elles travaillent ici dans le Nord, donc tout devient très onéreux au Nunavik. »
Le manque de logements est également un obstacle au recrutement et à la rétention des enseignants dans la région.
« Pour atténuer le problème, nous essayons autant que possible d’embaucher des couples, car cela permet de réunir deux personnes dans une même maison, ajoute Mme Aloupa. Mais c’est un défi constant. Il nous manquait de 50 à 60 enseignants à la fin de l’année scolaire 2022-2023, et une des principales raisons est le manque de logement. »
Outre l’embauche de couples, la commission scolaire demande parfois aux enseignants s’ils sont prêts à vivre en cohabitation jusqu’à ce qu’un logement se libère.
Beaucoup acceptent, mais pas tous.
« Les gens ne sont pas forcément à l’aise d’emménager avec des personnes qu’ils ne connaissent pas, dit Jeannie Dupuis. Il nous est arrivé d’héberger des personnes à long terme à l’hôtel parce que personne ne voulait partager. La plus longue période que nous ayons connue a été une année entière pendant laquelle un membre du personnel a séjourné à l’hôtel. »
Répondre aux besoins d’espace
En plus du logement des employés, la commission scolaire gère également de 4 à 10 bâtiments par communauté, qui, outre les écoles, peuvent inclure des centres d’éducation des adultes, des résidences étudiantes, des entrepôts ou des structures comme des garages pour les autobus scolaires.
Le rythme de construction n’a pas pu suivre la croissance de la population étudiante.
À l’heure actuelle, environ 34 % de la population du Nunavik a moins de 15 ans, comparativement à 16,5 % dans le reste de la province.
À Kuujjuaq, des salles portables ont été expédiées du sud pour servir de locaux de classe jusqu’à ce que l’école soit agrandie.
À Quaqtaq, une communauté de 450 personnes, l’école est depuis longtemps à court d’espace. La commission scolaire doit ainsi se démener pour trouver des solutions.
« Actuellement, nous n’avons pas de bibliothèque à l’école, car nous devons l’utiliser comme salle de classe, affirme Sarah Aloupa, présidente de la commission scolaire. Comme salles de classe pour nos cours de culture, nous utilisons également deux très vieilles maisons qui ne sont même pas attachées à l’école parce que nous manquons de place.
Le gouvernement du Québec nous a dit de ne plus utiliser l’une d’entre elles et de la condamner, mais nous ne pouvons pas. Nous en avons besoin. »
Mme Aloupa dit qu’elle aimerait voir un mécanisme de financement pour le Nunavik qui permettrait de réagir plus rapidement aux besoins urgents en matière de logement et d’infrastructure.Elle estime qu’il est positif que les représentants des gouvernements provinciaux viennent de plus en plus souvent dans le Nord – Ian Lafrenière, le ministre provincial responsable des affaires autochtones, est venu en juin dernier –, mais elle attend toujours que le premier ministre du Québec, François Legault, accepte de la rencontrer.
« Il semble y avoir plus de volonté de la part du gouvernement de comprendre la réalité du Nunavik, souligne-t-elle. C’est bien, mais le premier ministre ne s’est toujours pas manifesté, alors que j’ai demandé à le rencontrer pour lui expliquer en personne les conséquences du manque de logements sur l’éducation. »