La longue route des feux culturels au Yukon

L'incendie d'Ibex Valley a parcouru 1546 hectares en une semaine. (Photo : Gouvernement du Yukon)
Les nombreux feux de forêt dont est victime le Canada forcent les experts à trouver des solutions pour les limiter. (Photo d’archives) Photo : gouvernement du Yukon

Alors que la communauté scientifique s’accorde pour dire que les feux culturels font partie des solutions pour empêcher la création de mégafeux de forêt, le gouvernement du Yukon semble peiner à redonner ce pouvoir aux Autochtones du territoire.

Nick Mauro travaille comme chef des opérations pour le Yukon First Nation Wildfire, un conglomérat qui regroupe 8 des 14 communautés autochtones du Yukon. S’il n’est pas lui-même autochtone, Nick Mauro connaît tout de même bien le terrain.

Pour autant que nous le sachions, la situation actuelle en matière de feux culturels au Yukon est très minime, dit-il d’emblée.

Devin Bailey, directeur de Yukon Wildlife Management, indique que, cette année, deux brûlages culturels ont été réalisés, le troisième ayant été annulé à cause de mauvaises conditions météorologiques.

Il se peut que des individus ou des groupes s’adonnent à cette pratique dans les communautés, mais s’ils le font, ils n’en font pas la publicité et ils restent très discrets, ajoute Nick Mauro.

Le brûlage culturel
Le brûlage culturel est une pratique culturelle qui renforce la biodiversité des écosystèmes, contribue à la gestion de ressources et réduit le risque de feux de forêt en diminuant la quantité de végétation. Il s’agit de feux contrôlés, en puissance et en superficie, basés sur des connaissances historiques autochtones. Source : Parcs Canada

Pendant des décennies, la pratique des feux culturels a été interdite aux Autochtones du Canada. Ces dernières années, les scientifiques lèvent la voix pour soutenir leur retour comme moyen de prévention contre de gros feux dévastateurs qui ont cours partout au pays.

Une aire couverte de broussailles sèches et une partie en feu dans le fond.
Au nord de la Colombie-Britannique, des Autochtones ont pu organiser des feux traditionnels cette année. (Photo d’archives) Photo : Radio-Canada / Delphine Jung

Nick Mauro estime que « le manque de feux culturels a eu un impact négatif sur notre travail ». Pourtant, il s’agit d’un enjeu important, selon Amy Christianson, une Métisse spécialiste des sciences sociales du feu qui travaille avec les nations autochtones sur des pratiques de gestion du feu au sein de l’organisme Indigenous Leadership Initiative.

Redonner les clés de la gestion du territoire aux Autochtones

Le but des brûlages culturels gérés par les Autochtones est de leur redonner un pouvoir de gestion.

Toutefois, ça semble coincer du côté du gouvernement.

Pour autant que nous le sachions, le gouvernement est d’avis que les gens ne devraient pas mettre le feu au sol, à moins d’avoir une bonne formation et une bonne quantité de ressources pour s’assurer que le feu ne devient pas incontrôlable, détaille M. Mauro.

Devin Bailey donne un autre son de cloche.

Les Premières Nations qui ont signé des accords, ce qui est le cas de la majorité d’entre elles, ont l’autorité de gérer les forêts sur leurs propres terres. Donc, si elles le voulaient, elles pourraient simplement venir et dire « voici ce que nous allons faire », explique-t-il.

D’ailleurs, il ne sent pas qu’il y a un fort besoin pour les communautés autochtones concernant ces feux.

Il rappelle tout de même que son organisation leur demanderait probablement de remplir un document, mais il assure qu’elles auraient son soutien.

Je m’attendrai [aussi] à ce qu’elles s’adressent directement à un ministre ou au premier ministre, pour leur faire part de leurs projets, ajoute M. Bailey, qui estime que le Yukon Wildlife Management a toujours soutenu les feux culturels.

Amy Christianson souligne plutôt que les gouvernements ont toujours eu une relation très paternaliste avec les communautés autochtones.

Lorsque des communautés essaient de faire des choses sur leur territoire, elles ont souvent besoin d’une approbation ou d’une permission. C’est là que c’est intéressant avec les brûlages culturels ou les incendies en général, parce qu’il y a beaucoup d’experts au sein des nations autochtones. Ils savent quand utiliser le feu, comment l’utiliser, et ce, grâce à des millénaires d’expérience, mais aussi grâce à l’histoire des combattants des incendies de forêt. Beaucoup sont donc conscients des risques d’un incendie incontrôlé, ajoute la spécialiste.

Selon elle, le vrai débat se trouve dans une question simple : qui est l’expert, ici?

Les agences de gestion des incendies sont issues des systèmes gouvernementaux coloniaux. Elles monopolisent donc le pouvoir de décision en matière de gestion des incendies.

Ce « déséquilibre de pouvoir » est perpétué par des structures de gouvernance fédérales et provinciales qui s’autorenforcent, comme l’exigence des permis délivrés par le gouvernement et requis pour le brûlage culturel, selon Mme Christianson.

Image d'une route avec un feu au loin dans la forêt.
En juillet dernier, le feu de Wrong Lake pouvait se voir à partir de la route du Klondike Nord, qui relie Whitehorse à Dawson. (Photo d’archives) Photo : Service de gestion des feux de forêt/Gouvernement du Yukon

Amy Christianson souligne aussi un manque de confiance de la part des gouvernements envers les Autochtones. Il en résulte une forme de frustration dans les communautés, qui se retrouvent incapables de gérer leur territoire.

Il y a toute une confiance à rebâtir pour que le gouvernement du Yukon permette à nouveau aux Autochtones de pratiquer les brûlages culturels. Nick Mauro prône ainsi une meilleure communication entre les deux parties.

Plus de brûlages au sud

M. Mauro souligne qu’il y a plus de brûlages traditionnels qui se font dans le sud du Yukon, en Colombie-Britannique et en Alberta, par exemple.

En effet, depuis quelques années, l’organisme BC Wildfire, par exemple, travaille conjointement avec des communautés autochtones qui désirent se réapproprier cette pratique ancestrale.

Selon Nick Mauro, la différence entre ces provinces plus au sud et le Yukon s’explique par un plus grand nombre de données disponibles. Il explique aussi qu’en Colombie-Britannique, BC Wildfire dispose d’importantes ressources.

Il a la capacité d’entreprendre ces grands projets, de travailler avec les communautés, d’avoir différents départements en son sein, dit-il.

Devin Baily précise que le territoire yukonais est très différent.

Nous avons perdu des dizaines de milliers d’hectares de forêts simplement parce que c’est le cycle naturel d’une forêt boréale. Nous avons beaucoup d’espace avec des zones si peu denses et si peu peuplées. [Mais] en Colombie-Britannique, une grande partie du bois est commercialisable.

Amy Christianson rappelle le manque de connaissance de la population et des institutions.

Bien souvent, lorsque nous parlons d’une communauté qui veut organiser un brûlage culturel, les institutions pensent immédiatement que les gens veulent allumer des feux de forêt à haute intensité sur le terrain, ce qui n’est pas le cas d’un brûlage culturel.

Devin Bailey abonde dans ce sens et souligne que l’un des gros défis de son équipe a été d’obtenir le soutien et l’adhésion du public.

Les feux culturels, ou brûlages culturels, sont des feux extrêmement maîtrisés, dans des endroits choisis avec soin, et de petite intensité.

Au Yukon, Nick Mauro explique que le territoire est encore en train de réfléchir à la manière de réintégrer les feux culturels.

Nous voulons simplement revenir à ce qui se faisait dans le passé. Et pour comprendre cela, nous devons faire des recherches, parler avec les gens, consulter les archives, parler aux aînés, car nous ne voulons pas aller dans les communautés et leur dire comment ils doivent faire, ajoute-t-il en précisant ne pas vouloir parler au nom des Autochtones du Yukon.

Néanmoins, Nick Mauro estime que les gens ne sont actuellement pas assez formés pour faire des brûlages culturels sans qu’ils présentent un risque.

Comme partout au Canada, les feux de forêt s’intensifient aussi au Yukon. (Photo d’archives) Photo : Gouvernement du Yukon

La colonisation a un grand rôle à jouer dans cette situation.

Les gens ne sont pas formés et ne sont pas « des professionnels », parce qu’au cours des 150, 200, 300 dernières années, tous les gardiens du feu et les personnes qui avaient ce savoir ne pouvaient plus transmettre leurs connaissances. Autrefois, les gardiens du feu étaient prolifiques dans les communautés et ils transmettaient ce savoir de génération en génération, explique M. Mauro.

Aujourd’hui, M. Bailey estime qu’il nous appartient de juger de l’expérience et des connaissances culturelles des Premières Nations.

Cependant, la politique à l’égard des feux culturels ne semble pas être une politique précise, à l’entendre.

Il serait bon d’avoir une politique plus solide en la matière d’un point de vue interne, croit-il.

Un plan très détaillé concernant les feux culturels est tout de même développé. Et, quoi qu’il en soit, il ne considère pas son organisme comme une barrière au développement de feux culturels.

Nick Mauro rappelle aussi que certaines priorités peuvent prendre plus de place au sein des communautés. Il cite par exemple le manque de logements et la crise des opioïdes. Laissant en arrière-plan le combat pour récupérer le droit de pratiquer ces brûlages culturels.

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Delphine Jung, Radio-Canada

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