Ottawa accusé de négliger la protection de l’enfance autochtone au profit du développement

La Commission nationale des chefs pour les enfants, créée pour renégocier un accord historique sur la réforme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, déplore que pendant que les politiciens discutent de l’avenir économique et des ressources du Canada, ils « négligent les enfants ».
En octobre 2024, les chefs de l’Assemblée des Premières Nations ont rejeté une entente historique de 47,8 milliards de dollars avec Ottawa sur une réforme des services à l’enfance et à la famille et ont mandaté la Commission pour relancer les négociations.
Pendant sa campagne, Mark Carney s’était dit prêt à retourner à la table des négociations (nouvelle fenêtre). Mais depuis neuf mois, rien n’avance, déplore la présidente de la Commission, Pauline Frost.
Nous avons besoin que le Canada se présente à la table avec un nouveau mandat et qu’il négocie. Le premier ministre en avait fait l’annonce. Il a indiqué qu’il aimerait que cette question soit réglée
, a expliqué en entrevue Pauline Frost, cheffe de la Première Nation Vuntut Gwitchin au Yukon.
Dans un courriel à Espaces Autochtones, le porte-parole de Services aux Autochtones Canada, Eric Head, soutient que le Canada demeure déterminé à réformer le Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations à l’échelle du pays et continue de réfléchir à la meilleure façon d’aller de l’avant avec ses partenaires,
sans donner plus de précisions.

Pourtant, le gouvernement fédéral avait affirmé en mai dernier, dans un mémoire déposé au Tribunal canadien des droits de la personne, que les négociations avec l’Assemblée des Premières Nations (APN) sur la réforme du système de protection de l’enfance étaient au point mort et que les demandes de l’APN étaient déraisonnables
. Selon Ottawa, il n’y avait aucune utilité pratique à les poursuivre.
Les ressources avant les enfants?
Tandis que les politiciens discutent de gestion des ressources et d’édification de la nation dans le cadre du projet de loi C-5, ils négligent notre ressource la plus précieuse : nos enfants
, a écrit la Commission dans un communiqué lors de la rencontre à Gatineau entre Mark Carney et les chefs des Premières Nations pour parler du projet de loi C-5, devenu la Loi visant à bâtir le Canada qui servira à accélérer les grands projets d’intérêt national.
Or, la présidente de la Commission, Pauline Frost, est catégorique.
Vous ne pouvez pas avoir une économie saine si vous n’avez pas de gens en bonne santé. Nous ne pouvons jamais perdre ça de vue.
Elle a profité du sommet à Gatineau pour essayer d’en glisser un mot lors des discussions avec le gouvernement fédéral. Mais c’était comme du speed dating, avec un ministre qui apparaît quelques minutes à notre table en demandant ce qu’est une consultation selon nos termes [à propos de la loi C-5]
, a-t-elle expliqué. Or, ce n’est pas assez. Et on avait 30 secondes, une minute pour rencontrer le premier ministre et lui dire : voici nos problèmes, venez nous voir
.
Nos enfants attendent depuis longtemps
, a renchéri la coprésidente, Debra Foxcroft. C’est bien que nous parlions de ressources, mais notre ressource la plus précieuse, ce sont nos enfants et nos jeunes. Sans eux, nous n’aurions pas d’édification de la nation.
Elle a d’ailleurs évoqué la manifestation d’une vingtaine de jeunes membres de Premières Nations du nord de l’Ontario, devant le Musée canadien de l’histoire lors du sommet entre le premier ministre Mark Carney et les chefs des Premières Nations.
Toute décision que nous prenons aura un impact sur eux alors assurons-nous qu’elle soit saine et qu’elle fera une différence pour leur vie
, a-t-elle précisé.

Selon les deux femmes, l’équipe de négociation est prête et attend le signal du gouvernement pour se mettre à travailler et négocier un nouvel accord qui réponde au besoin de tous. Nous avons besoin d’une réforme et nous n’avons pas l’intention d’y aller région par région. Nous voulons voir l’équité partout au pays pour tous les enfants
, a prévenu Pauline Frost.
De leur côté, fin février, les chefs des Premières Nations de l’Ontario ont approuvé un accord de 8,5 milliards de dollars avec Ottawa pour une réforme de la protection de l’enfance. Ils n’ont d’ailleurs jamais caché leur volonté de faire cavalier seul pour avancer dans ce dossier.
Ils ont fait un travail fantastique pour eux, mais nous devons aussi rappeler que nous avons tous des circonstances uniques qui s’appliquent à nos régions
, a poursuivi Pauline Frost, demandant qu’Ottawa fasse un pas en avant pour une nouvelle entente nationale.
Dans le courriel, le porte-parole de SAC, Eric Head a indiqué que le Tribunal canadien des droits de la personne doit encore approuver cette entente avec l’Ontario et que pendant ce temps, Ottawa continue ses réflexions.
En 2016, en réponse à une plainte déposée en 2007 par l’Assemblée des Premières Nations et la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, le Tribunal canadien des droits de la personne a ordonné au gouvernement fédéral de réformer son Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations, concluant qu’il était inéquitable et discriminatoire en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Le chef régional de l’Assemblée des Premières Nations pour la Colombie-Britannique, Terry Teegee, est aussi impatient.
Au moins à l’interne, nous avons la Commission qui est en marche. Nous espérons certainement que le gouvernement fédéral reviendra à la table des négociations bientôt
, a-t-il indiqué, précisant que plusieurs chefs avaient évoqué le sujet au premier ministre lors de leur rencontre sur l’avenir économique du Canada.
L’inertie dans ce dossier ne fait qu’accentuer l’incertitude sur l’avenir de cet accord qui résoudrait en partie une bataille juridique vieille de 18 ans sur les droits des enfants.
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