Des délais d’évacuations aéromédicales risqués pour les patients du Nunavik

Des médecins dénoncent les délais auxquels ils font face pour évacuer les patients à bord des petits avions de brousse Twin Otter. (Photo d’archives : Félix Lebel/Radio-Canada)

Le manque de disponibilité des avions d’évacuations médicales met à risque les patients des villages inuit de la baie d’Hudson, qui font face à des délais de transport « dangereux », selon des médecins de l’hôpital de Puvirnituq, à bout de souffle et de ressources.

Le médecin de famille Vincent Rochette-Coulombe est sur la première ligne à l’urgence de l’hôpital de Puvirnituq.

Chaque jour, ses collègues et lui reçoivent les patients les plus mal en point des autres villages de la baie d’Hudson, par avion de brousse du transporteur Air Inuit.

Ils doivent les stabiliser, sans réelle capacité opératoire ou d’imagerie, en attendant un transfert par avion-ambulance vers les hôpitaux de Montréal.

La semaine dernière, durant trois nuits consécutives, des patients ont frôlé la mort, en raison de délais supplémentaires avant leur évacuation médicale aéroportée.

«On parle d’un bébé prématuré, d’une hémorragie abdominale, d’un bébé en détresse respiratoire… C’est une question d’heure, il faut qu’ils sortent. […] On n’avait pas d’avion pour les sortir de là,» déplore le médecin.

Le médecin omnipraticien Vincent Rochette-Coulombe estime que les délais dans les transferts de patients par avion augmentent considérablement les risques de complications. (Félix Lebel/Radio-Canada)

Un avion de Kuujjuaq a finalement été dépêché sur place, et la catastrophe a été évitée de justesse.

 «Si on n’avait pas eu l’aide de Kuujjuaq ou des infirmières sur place, qui ont fait des quarts de 24 heures, on aurait eu au moins 2 patients qui seraient décédés,» ajoute le médecin omnipraticien.

Ces délais sont souvent causés par la mauvaise météo, très commune dans cette région du Nunavik.

Air Inuit ne dispose toutefois que d’une seule équipe de jour, et une autre de soir à Puvirnituq, pour les évacuations médicales.

Ces pilotes se retrouvent cloués au sol après huit heures de vol dans une même journée, en vertu de la réglementation fédérale.

De telles restrictions, paradoxalement, ne s’appliquent pas aux équipes médicales dans les dispensaires éloignés, qui accumulent les quarts de travail prolongés dans l’attente de l’évacuation d’un patient.

«Les infirmières restent toute la nuit debout, et ils se font dire : désolé on ne peut pas venir chercher votre patient, les pilotes ont dépassé leurs heures de vol, on n’a pas de « back up« . C’est sûr que ça crée beaucoup de frustration. On a un gros sentiment d’impuissance,» indique le Dr Vincent Rochette-Coulombe.

Aéroport en rénovation

À cette situation s’ajoute le fait que l’aéroport de Puvirnituq est en rénovation majeure.

L’avion-ambulance du service provincial d’Évacuations aéromédicales du Québec (EVAQ) ne peut atterrir au village dans ces conditions.

Seuls les petits avions de brousse, comme les Twin Otter, peuvent y décoller actuellement.

Vue de l’aéroport de Puvirnituq. (Eilís Quinn/Regard sur l’Arctique)

Le Centre de santé Inuulitsivik (CSI), responsable des dispensaires de la baie d’Hudson, n’a pas répondu aux questions de Radio-Canada quant aux mesures prises pour faire face à cette fermeture partielle.

Des médecins de Puvirnituq confirment toutefois qu’avant d’être pris en charge à Montréal, les patients doivent être transférés d’abord à Kuujjuaq ou à Kuujjuarapik.

C’est à partir de là que les avions d’EVAQpeuvent prendre le relais.

Ce détour d’environ 500 kilomètres entre Puvirnituq et Kuujjuaq ajoute plus de deux heures à la durée du transport d’urgence vers Montréal, dont le délai médian est déjà de plus de neuf heures au Nunavik.

L’augmentation de ce délai inquiète les intervenants de la santé de la région, qui ont les mains liées face au manque de solutions de rechange.

Lors d’un traumatisme, chaque heure passée avant une prise en charge dans un hôpital complet augmente les chances de détérioration clinique de 4 %, selon une étude menée par Evan Wong, chirurgien général et traumatologue au Centre universitaire de santé McGill, à Montréal.

 «Éventuellement, c’est associé à plus d’admissions aux soins intensifs, plus de morbidité et de mortalité», dit-il inquiet.

Ce dernier fait partie des équipes soignantes à Montréal qui reçoivent les patients du Nunavik.

L’hôpital de Puvirnituq est le centre de santé principal qui dessert les villages de la baie d’Hudson. (Félix Lebel/Radio-Canada)

La multiplication des transferts entre aéroports et cliniques différentes augmente aussi les risques pour les résidents.

«Ce n’est pas seulement les heures, mais le nombre de transferts de patients d’un mode de transport à un autre. Une ambulance, un avion, une autre ambulance… Je pense qu’avec n’importe quel patient en état critique, chaque transfert pose plus de risques», ajoute le Dr Wong.

Selon lui, il faudrait revoir l’attribution des ressources d’évacuations médicales, pour accélérer la prise en charge des patients.

Rapport du coroner

Cette situation survient presque un an après la publication d’un rapport de la coroner Julie-Kim Godin, qui recommandait à Québec d’améliorer les services d’évacuations médicales dans les communautés éloignées.

Ce rapport avait été produit après le décès en 2022 d’une femme de 61 ans, dans la communauté de Salluit. Les délais avant son évacuation avaient contribué à la dégradation de son état de santé, concluait la coroner.

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Félix Lebel, Radio-Canada

Journaliste à Sept-Îles

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