Déplacements et pertes : le quotidien brisé des familles touchées par les feux de forêt

Les incendies de forêt perturbent une fois de plus la rentrée scolaire au Canada, forçant des milliers d’élèves à quitter leur domicile et bouleversant leur quotidien. Tandis que les experts appellent à une meilleure planification des urgences, des parents, durement touchés par ces catastrophes, plaident pour un retour rapide à une routine stable et rassurante pour leurs enfants, éprouvés par l’incertitude et les déplacements successifs.
Scott Chandler, parent à Terre-Neuve, plaisante souvent en disant que septembre est un mois qu’il redoute un peu
, entre la rentrée scolaire de son fils Rhys et la reprise de ses nombreuses activités : hockey, karaté, natation…
Néanmoins, cette année, malgré le tumulte habituel, il aspire à retrouver cette routine. Car pour lui et sa famille, le chaos a pris une tout autre dimension.

Début août, ils ont tout perdu dans les incendies qui ont ravagé la région de la baie de la Conception : leur maison, mais aussi l’école de Rhys, Cabot Academy.
Depuis, ils ont été contraints de déménager à trois reprises, passant de centres d’évacuation à Victoria, Carbonear, puis Harbour Grace.
L’un des moments les plus difficiles pour Chandler a été d’expliquer à son fils de 8 ans que tous ses effets personnels – vêtements, jouets, jeux vidéo – avaient disparu. Il gère ça comme le ferait un enfant de son âge
, confie-t-il.
Rhys essaie malgré tout de voir le bon côté des choses : retrouver des amis réaffectés à la Carbonear Academy, ou être plus près de ses coéquipiers de hockey. Toutefois, son père, lui, souhaite avant tout une rentrée aussi normale que possible.
Ils ont besoin de stabilité. D’une routine. Et surtout d’être ensemble.
Les écoles, un pilier en temps de crise
Les feux de forêt records de cet été ont une fois de plus perturbé la rentrée dans plusieurs régions du pays.
Selon les experts, les conseils scolaires doivent désormais disposer d’un appui solide à tous les niveaux – local, provincial et fédéral – pour élaborer, renforcer et actualiser leurs plans d’intervention d’urgence.
L’objectif : permettre un retour rapide à l’école, quelles que soient les circonstances.

Alan Campbell, président de l’Association canadienne des conseils scolaires, rappelle que les établissements scolaires jouent un rôle essentiel lors de situations d’urgence : accueil de populations évacuées, mise à disposition de bus scolaires pour les déplacements, etc.
Or, selon lui, la priorité est de maintenir un lien avec les familles, même en pleine crise.
Il est crucial de savoir où se trouvent les élèves évacués, et de rester en contact avec eux, pour garantir leur accès rapide à une scolarité, peu importe l’endroit où ils se retrouvent, explique-t-il.
M. Campbell, également administrateur dans la division scolaire d’Entre-les-Lacs, au Manitoba, cite les exemples de Winnipeg et Brandon, où les divisions scolaires, en collaboration avec la province, ont maintenu le lien avec des familles relogées temporairement dans des hôtels, pour assurer une transition fluide vers des écoles locales.
Des plans d’urgence à revoir et à tester
Si les écoles canadiennes sont habituées à gérer les tempêtes de neige, elles doivent désormais composer avec des défis plus fréquents liés aux incendies, à la fumée toxique et aux vagues de chaleur extrême.
La qualité de l’air, dictée par la fumée des feux, devra désormais être intégrée aux plans de prévention au même titre que les alertes météorologiques, indique M. Campbell.

Ali Asgary, professeur à l’Université York et spécialiste en gestion des catastrophes, souligne que si des plans d’urgence existent bien sur le papier, ils sont souvent méconnus du personnel, des familles, voire des élèves eux-mêmes.
Il plaide pour des exercices réguliers – à l’image des simulations d’incendie ou de confinement – afin de s’assurer que les protocoles sont réellement opérationnels en situation de crise.
Perdre un jour, deux jours ou une semaine d’école, c’est énorme. Il faut absolument limiter ces interruptions.
M. Asgary et M. Campbell sont unanimes : les écoles ne peuvent affronter seules de telles situations. Des ressources doivent être allouées à tous les échelons pour une réponse coordonnée.
On ne peut pas attendre des écoles locales qu’elles organisent tout sans soutien. Il faut un appui des provinces et du gouvernement fédéral, insiste M. Asgary.
M. Campbell, lui, appelle à une gouvernance partagée : l’aide fédérale est essentielle, mais les décisions doivent rester entre les mains des acteurs de terrain, plus proches des réalités locales.
Un soutien psychologique essentiel pour les élèves et le personnel
À Terre-Neuve, Scott Chandler se dit reconnaissant des responsables scolaires, qui ont rapidement réaffecté les élèves et enseignants de la Cabot Academy dans deux autres écoles. Une rentrée prête à démarrer
après la fête du Travail.
Cependant, il insiste sur le besoin d’un accompagnement durable. Selon lui, les séquelles psychologiques sont inévitables.
Il faut des psychologues, des thérapeutes comportementaux, dit-il. Ce sont des traumatismes lourds. Je le vois venir.
Il espère que les autorités prendront en compte toutes les dimensions de cette crise pour préserver la cohésion entre élèves et enseignants.
Ils ont besoin les uns des autres. Ils ont besoin de parler. De faire leur deuil, ensemble.
Avec les informations de Nazima Walji et de Deana Sumanac-Johnson