L’espoir de Trump de vendre des terres protégées sème l’inquiétude dans l’Ouest

C’était l’une des dispositions les plus contestées de la « grande et magnifique loi » (One Big Beautiful Bill Act), vaste loi budgétaire présentée par l’administration Trump au début du mois de juillet. Présentée par le sénateur républicain de l’Utah, Mike Lee, elle aurait permis au gouvernement américain de mettre en vente plus de 100 millions d’hectares de terres publiques et protégées appartenant à l’État fédéral.
Ces terres sont situées dans 11 États de l’ouest des États-Unis et sont sous la gestion du US Forest Service et du Bureau of Land Management, deux agences fédérales qui dépendent respectivement du département de l’Agriculture et du département de l’Intérieur.
Cette disposition a finalement été retirée in extremis de la loi budgétaire adoptée par le Congrès des États-Unis face à la levée de boucliers qu’elle a déclenchée dans les milieux de protection de la nature, mais aussi chez les chasseurs ou les pêcheurs de l’Ouest américain.
Dans un communiqué publié à la fin du mois de juin, après le retrait de sa disposition de la « grande et magnifique loi », Mike Lee expliquait qu’il avait retiré son projet, car il n’avait pas réussi à obtenir la garantie queces terres ne seraient vendues qu’à des familles américaines, plutôt qu’à desintérêts étrangers.
Faisant fi des craintes pour la protection de ces terres qui ont mené en partie à l’abandon de ce projet, il maintient sa volonté d’aller de l’avant, en disant : Le président Trump a promis de mettre les terres fédérales sous-utilisées au service des familles américaines.
Je suis impatient de l’aider à atteindre cet objectif, a expliqué le sénateur. Des deux côtés du 49e parallèle, cette promesse suscite l’inquiétude.
Hunter McIntosh, PDG de l’entreprise à but non lucratif The Boat Company, fait partie de ceux qui craignent le retour de ce projet. À la tête d’une flotte de deux bateaux, il amène des touristes à la découverte de la bande côtière du sud de l’Alaska et de la forêt nationale de Tongass.
Au cours des 45 dernières années d’activité, The Boat Company a réinvesti de 30 à 35 millions de dollars dans des mesures de conservation, explique-t-il. Son entreprise participe à la fois au financement de projets locaux et d’organisations non gouvernementales de défense de l’environnement nationales et internationales, comme Earthjustice et le Natural Resources Defense Council.
La protection de la forêt de Tongass est la priorité de Hunter McIntosh, qui a interpellé le gouvernement de son pays dans des lettres d’opinion publiées dans la presse alaskienne. Notre famille s’efforce depuis 40 ans de protéger le Tongass contre l’exploitation forestière commerciale à grande échelle
, précise-t-il en entrevue.
Dans le projet initial du sénateur Lee, la quasi-totalité de cette forêt et des terres appartenant à l’État fédéral sur la bande côtière du sud de l’Alaska aurait été mise en vente. Nous considérons vraiment cette région comme la dernière région sauvage et préservée de notre pays
, explique pourtant Hunter McIntosh.
C’est l’une des régions les plus riches en biodiversité des États-Unis, affirme Hunter McIntosh. On y trouve de tout, depuis les hautes chaînes de montagnes côtières jusqu’aux forêts pluviales tempérées.
Selon lui, la vente potentielle, puis l’exploitation de ces terres auraient des conséquences potentiellement dévastatrices
en détruisant l’habitat de milliers d’espèces différentes allant des insectes à des espèces encore inconnues, en passant les loups, les cerfs, les ours et les élans
.
Une réaction en chaîne suivrait avec des risques de glissements de terrain
liés à la l’arrachement des racines des arbres qui maintiennent la cohésion du flanc de la montagne
.
Ensuite, bien sûr, la destruction des flancs des montagnes entraîne la destruction des rivières et des cours d’eau, estime ce fin connaisseur de la région qui craint alors que les populations de saumons sauvages ne diminuent radicalement dans ce scénario catastrophe.
Des effets de l’autre côté de la frontière
Plus au sud, dans les États de Washington et de l’Idaho, la vente puis l’exploitation de ces terres viendraient fragiliser un immense corridor de migration de la faune sauvage s’étendant du parc national de Yellowstone jusqu’au Yukon, le long des montagnes Rocheuses.
C’est le dernier système montagneux intact au monde, raconte Laurell Angell, directrice des relations gouvernementales et des politiques au sein de l’organisation Yellowstone to Yukon Conservation Initiative.Il est très important de s’assurer que la faune sauvage peut se déplacer du haut en bas de ce corridor, rappelle-t-elle.
Laurell Angell explique que ces grands espaces de migration sont essentiels pour assurer des liens entre différents groupes de population d’une même espèce, une analyse que partage Joe Foy, responsable des zones protégées auprès du Wilderness Committee.
Les espèces n’ont pas de frontières en ligne droite, explique ce vétéran de la défense des espaces naturels.Leurs frontières sont courbées et suivent les bassins versants, les zones d’habitats ou le climat.
Selon lui, le cas de la chouette tachetée permet d’illustrer les conséquences que pourrait avoir la vente de ces terres. Presque disparue à l’état sauvage en Colombie-Britannique, cette espèce de chouettes endémiques de l’ouest de l’Amérique du Nord souffre de la destruction des forêts de conifères, son habitat naturel.
Pour Joe Foy, l’espoir de voir la chouette tachetée repeupler la Colombie-Britannique dépend de sa capacité à remonter depuis le nord des États-Unis jusqu’au Canada.
Cet espoir repose sur deux choses : que la Colombie-Britannique et le Canada coopèrent pour protéger l’habitat, et que les États-Unis maintiennent leur habitat protégé, déclare-t-il.
La conservation et la protection de la nature sont une priorité pour le gouvernement du Canada, affirme à cet égard Environnement et Changement climatique Canada (ECCC).
Le ministère assure qu’il dispose d’une relation de longue date
avec ses voisins à travers le Comité trilatéral Canada–Mexique–États-Unis sur la conservation et la gestion des espèces sauvages et des écosystèmes et qu’il continuera à travailler aux côtés de [ses] partenaires dans toutes les capacités disponibles pour protéger la nature et les espèces
.
Toutefois, Joe Foy craint que ce qui se passe aux États-Unis ne fasse tache d’huile au Canada, notamment à cause de la volonté du gouvernement de Mark Carney d’accélérer de grands projets d’infrastructures.
Je suis extrêmement préoccupé. Je trouve très inquiétant d’entendre cela ou les solutions proposées ressemblent beaucoup au slogan de Donald Trump, « Drill, baby, drill! (Fore, chéri, fore), explique-t-il.
Dans une déclaration transmise par courriel, ECCC a rappelé : Le gouvernement canadien s’est engagé à préserver 30 % du territoire et des ressources en eau du pays d’ici 2030.
Il assure continuer à faire des progrès significatifs vers cet objectif, en collaboration avec de nombreux partenaires dans le domaine de la conservation
.
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