À Yellowknife, le tour d’Afrique d’une épicerie au nord du 60e parallèle

Installée depuis neuf ans à Yellowknife, Mama Sylla a lancé son entreprise de vente au détail de produits africains en 2019. Depuis, Tensy Market n’a cessé de grandir, passant de deux étagères à des réserves bien garnies de produits issus de tout le continent africain.
Lorsqu’on entre chez Mama Sylla, le contraste est frappant entre l’odeur de fumée dehors, à Yellowknife, et celle de parfum mélangé aux épices qui règne dans le magasin.
Un magasin que la Ténoise d’adoption a installé chez elle.
Ce qui était à l’origine un salon a été transformé en un véritable petit commerce : en lieu et place des sofas, on trouve une multitude d’étagères, et le téléviseur a laissé sa place à un comptoir muni d’une caisse enregistreuse et d’une balance. « Je fais ça en plus de mon travail à temps plein », explique timidement celle qui travaille en tant que coordonnatrice à la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest.
« C’est mon bébé, et c’est un travail qui demande beaucoup d’attention, à temps plein. »
Une citation de Mama Sylla, fondatrice de Tensy Market
L’histoire de Tensy Market, c’est celle d’un coup de tête, comme l’histoire de l’arrivée à Yellowknife de Mama Sylla en 2016. Après six ans passés à Montréal, la Sénégalaise était à la recherche de nouveaux défis, de nouvelles aventures.
« Je me disais : pourquoi 10 provinces et 3 territoires? Ça veut dire quoi? Alors, j’ai décidé de venir vérifier par moi-même », dit-elle aujourd’hui d’un ton amusé.

Au cours de ces premières années aux Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.), Mama Sylla fait beaucoup d’allers-retours entre la métropole québécoise et la capitale ténoise, des voyages desquels elle revenait avec des valises pleines de produits africains qu’elle ne trouvait pas dans sa nouvelle ville.
Le bouche-à-oreille faisant son effet, les demandes des amis, puis des amis d’amis se sont multipliées pour qu’elle rapporte tel ou tel aliment.
« Et là, je me suis levé sur un coup de tête pendant ma pause un jeudi », se souvient l’entrepreneuse, qui ajoute : « Je suis partie à la chambre de commerce de Yellowknife. Et voilà, j’avais mon épicerie. »
Des rêves de grandeur
De fil en aiguille, elle a ensuite pris contact avec un fournisseur à Montréal, puis elle a commandé ses premiers produits ; Tensy Market était né.
Le projet a été appuyé et soutenu par le Conseil de développement économique des Territoires du Nord-Ouest (CDETNO) et Haudry Escandón, son agente en développement économique et innovation, elle-même originaire de Colombie.
« Il y a une grande immigration africaine », constate Mme Escandón, « pas seulement à Yellowknife, mais aussi dans tous les territoires. »
Selon ses observations, environ 135 familles africaines – du Cameroun à la République du Congo en passant par l’Érythrée et le Kenya – se sont installées aux T.N.-O. dans les deux dernières années.
« Et de quoi est-ce que l’on a besoin lorsqu’on arrive, qu’est-ce qu’il nous manque? Ce sont les produits de notre pays, de notre chez-nous. »
Une citation de Haudry Escandón, agente en développement économique et innovation au CDETNO

Le CDETNO et Mama Sylla voient d’ailleurs bien au-delà du seul point de vente à Yellowknife.
Leur ambition est de devenir un distributeur de ces produits ethniques dans l’ensemble du Nord, pour répondre à la demande croissante.
« On veut créer des points de distribution à Hay River, au Nunavut », dit l’agente en développement économique.
« Je veux que le Nord puisse se ravitailler, que tous les Africains qui sont dans le Grand Nord puissent se sentir chez eux comme s’ils étaient en Afrique », avance pour sa part Mama Sylla.
Défi de transport et volonté d’abordabilité
De l’aveu de Mama Sylla, la principale préoccupation pour une entreprise comme la sienne à Yellowknife, c’est le transport.
Elle a très vite abandonné les valises qu’elle ramenait avec elle et a opté pour le transport par camion ou par avion par l’entremise des grossistes.
« Le transport de marchandises, vu que maintenant je suis habituée, j’ai beaucoup de fournisseurs qui m’ont mis en contact avec d’autres fournisseurs », explique la Franco-Ténoise.

Le défi est d’autant plus important que Tensy Market veut maintenir une certaine abordabilité pour ses produits.
« La mission de l’épicerie est de vendre des produits africains à bon marché, parce que le coût de la vie de Yellowknife est très élevé », résume sa gérante.
Et quand on lui demande comment garantir en même temps la rentabilité de son projet, elle répond sans hésiter : « L’argent viendra après. »
« Beaucoup d’immigrants cumulent deux, trois boulots pour pouvoir arrondir les fins de mois. C’est la raison pour laquelle je me suis dit : je vais essayer de minimiser le coût. Parce que pour les produits africains de base, ça coûte cher, au Canada. »
Une citation de Mama Sylla, fondatrice de Tensy Market
Son plus grand apprentissage a été de naviguer à travers les différentes terminologies du continent africain.
« Ce qui est appelé couscous au Maghreb et au Sénégal est appelé waterfufu ou placali au Cameroun », explique Mama Sylla, « de même que les habitants de ce pays utilisent le terme kelen kelen pour un plat à base de corète potagère qui est plutôt baptisé mloukhiya au Maghreb et au Soudan. »
« Il ne suffit pas de vendre! », lance Mama Sylla avec le sourire. « Ils m’ont fait goûter les plats, et j’ai pu en découvrir beaucoup. »
« J’ai fait le tour de l’Afrique en restant à Yellowknife. »
L’entrepreneuriat francophone a le vent en poupe
Tensy Market n’est qu’un exemple parmi tant d’autres d’entreprises lancées par de nouveaux arrivants francophones aux T.N.-O.
« Avec un autre style d’immigration vient une autre culture entrepreneuriale », observe Haudry Escandón, du CDETNO.
Le CDETNO dit avoir accompagné la création de 10 nouvelles entreprises francophones immigrantes en 2024-2025.
« On voit notamment des nouveaux marchés, comme la vente au détail, des créations artistiques, des pâtisseries, des boulangeries », poursuit Mme Escandón.
Cette dernière souligne qu’elle a plus particulièrement accompagné des femmes entrepreneuses depuis sa prise de poste, il y a deux ans.
« On avait organisé un événement entrepreneurial, et 17 femmes qui voulaient lancer leur compagnie se sont présentées. »
Une citation de Haudry Escandón, agente en développement économique et innovation au CDETNO
Pour Mama Sylla, son aventure entrepreneuriale s’inscrit aussi dans une volonté de redonner à la communauté.
« Je n’ai pas ouvert l’épicerie pour moi. C’est une façon pour moi de remercier le Canada qui m’a reçu. Cette épicerie, c’est pour la communauté de Yellowknife. »
Une citation de Mama Sylla, fondatrice de Tensy Market
La femme d’affaires rêve de pouvoir employer du monde, de devenir un point de rencontre de la capitale des T.N.-O.
« Ça va prendre du temps, mais je vois mon entreprise s’agrandir, d’abord avec moi, puis la laisser à la communauté », conclut-elle, rêveuse.
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