Invasion en Irak: le renseignement canadien avait bien analysé la situation. L'effondrement de la statue de Saddam Hussein à Bagdad le 9 avril 2003. (Goran Tomasevic/Reuters)

Aucune arme de destruction massive en Irak, concluait le renseignement canadien

En 2003, alors que l’administration américaine sous George W. Bush colportait que le régime du président irakien à l’époque cachait des réserves d’armes de destruction massive et que le gouvernement britannique affirmait lui aussi disposer d’éléments de preuves, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) savaient qu’il n’en était probablement rien.  Mais le Canada n’a pas ébruité l’affaire afin de ne pas embarrasser ses alliés.

Ces révélations sont celles de l’article Getting it right: Canadian intelligence assessments on Iraq, 2002-2003 paru dans une revue universitaire spécialisée, Intelligence and National Security, et rédigé par Alan Barnes.

Mossoul, Irak, 2003 (AP Photo/Wally Santana)

Aujourd’hui chercheur principal au Centre d’études sur la sécurité, le renseignement et la défense de l’Université Carleton en Ontario, Alan Barnes avait étroitement collaboré à l’époque dans la rédaction d’évaluations canadiennes sur l’Irak.

Il avait été rédacteur en chef de 21 analyses du Secrétariat de l’évaluation du renseignement (SER) au Bureau du Conseil privé.

Rappelons que la théorie de la présence d’ADM en Irak avait servie de prétexte à l’intervention militaire américaine et britannique en Irak, alors que le Canada avait rejeté l’offre de Washington de s’investir militairement dans ce pays.

Le premier ministre Jean Chrétien reçoit à la Chambre des communes en 2003 une ovation après avoir défendu la position du gouvernement canadien de ne pas participer à une intervention militaire américaine et britannique en Irak. (Jonathan Hayward/La Presse Canadienne)

THE CANADIAN PRESS/Tom Hanson

Présence d’ADM très peu probable

Le 20 mars 2003, près de deux ans après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis envahissaient l’Irak sans l’aval de l’ONU.
PHOTO : REUTERS / STRINGER .

Alan Barnes s’appuie sur des documents publiés par des agences fédérales au fil des ans (plusieurs autres demeurent toujours confidentielles) et des entretiens avec 11 gestionnaires et analystes du milieu du renseignement ayant participé aux évaluations canadiennes en 2002 et 2003.

Il conclut que les analystes canadiennes estimaient que Saddam Hussein n’avait pas de programme actif d’armes de destruction massive et qu’ils étaient arrivés à ce constat en « l’absence de toute pression politique ou extérieure significative pour orienter l’analyse de l’Irak dans une direction particulière ».

À la fin du mois d’août 2002, un groupe d’experts interministériel canadien avait conclu notamment que tous les agents chimiques ou missiles balistiques datant d’avant la guerre du Golfe de 1991 ne pouvaient exister qu’en très petites quantités et ne seraient probablement plus utiles en raison des mauvaises conditions d’entreposage, relate M. Barnes. Seul un petit nombre de munitions chimiques abandonnées d’avant 1991 ont finalement été découvertes en Irak.

Le chercheur explique que les analystes de la Défense nationale canadienne avaient une connaissance approfondie de ces questions, glanée lors de la participation à de précédentes inspections de l’ONU en Irak et « une connaissance intime de renseignements disponibles au cours de la décennie précédente ».

Or, ces évaluations du SCRS avaient constitué un élément important des breffages oraux sur l’Irak donnés au premier ministre canadien Jean Chrétien qui s’était montré ouvertement sceptique quant à la logique américaine d’intervention militaire en Irak.

Le président irakien Saddam Hussein en visite sur la ligne de front le 10 mars 2003. (Scott Peterson)

Le Canada n’a pourtant pas tout dit à ses alliés

Normalement, d’expliquer Alan Barnes, presque toutes les évaluations du Service canadien du de renseignement  de sécurité portant sur des questions de politique étrangère et de défense sont partagées, en tout ou en partie, avec les alliés de Five Eyes (Canada, États-Unis, Grande-Bretagne, Nouvelle-Zélande et Australie).

« Cela n’a pas été le cas pour ces évaluations sur l’Irak, qui ont été classées « Canadian Eyes Only » afin d’éviter des désaccords gênants avec la communauté du renseignement américain, ce qui aurait exacerbé les sensibilités et nui aux relations au niveau politique ».

« [Les analystes canadiens] n’ont pu voir aucune indication convaincante que l’Irak était en train de reconstituer son programme nucléaire. Ils n’avaient pas confiance dans le bien-fondé des preuves citées par les États-Unis démontrant l’activité nucléaire irakienne », écrit-il.

Alan Barnes révèle que Robert Wright, coordinateur du SCRS en avril 2003, avait conclu « qu’il ne fallait pas « triompher » d’avoir fait des évaluations plus précises ».

Dans ses mémoires, publiés en octobre 2018, Jean Chrétien révèle avoir dit au président américain de l’époque, George W. Bush, en septembre 2002 : « Je dois vous dire que j’ai lu tous mes briefings sur les armes de destruction massive et je ne suis pas convaincu. Je pense que les preuves sont très douteuses. »

Alan Barnes a découvert cependant qu’une analyse du SCRS, selon laquelle Saddam semblait désireux d’acquérir rapidement une capacité d’armes nucléaires, a été partagée à ce moment-là, avec les États-Unis. Cela avait donné à Washington l’impression que la communauté canadienne du renseignement était d’accord avec ses affirmations alors que ce n’était pas le cas.

LISEZ AUSSI : Le documentaire Sur la corde raide, chronique d’un Canada rebelle

Un nouveau documentaire revient sur les raisons du refus du Canada d’intervenir en Irak en 2003 aux côtés des États-Unis. Sur la corde raide témoigne du bras de fer politique qui s’est alors joué entre le Canada et son voisin du sud lorsque ce dernier affirmait que d’aller en Irak était la seule sortie à la crise provoquée mondialement par les attentats du 11 septembre 2001.

RCI avec La Presse canadienne et CBC News

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