Blog: Pour “sauver l’Arctique”, la France doit d’abord sauver sa place en Arctique!
Entre ceux qui y voient un ElDorado, ceux qui ont peur du tandem Russie-Chine, et ceux qui prétendent le “sauver”, toujours plus de décideurs français s’intéressent à l’Arctique.
Hôte des secondes réserves mondiales de terres rares et premières d’uranium, entre autres, le Grand Nord fournit déjà 10% du brut et 25% du gaz mondial.
Dès 2011, le SNP d’Alex Salmond annonçait qu’une fois indépendante, l’Ecosse se tournerait vers le Grand Nord. Depuis, tous secteurs confondus, plus de 600 milliards de dollars d’investissements sur vingt ans ont été annoncés pour l’Arctique.
De nombreux organes et forums de diplomatie économique tentent de canaliser le flux ininterrompu d’intéret, de capitaux et d’arrivants du monde entier. Le 20 août dernier, la Norvège créait le Conseil du Nord-Norvège (Nordnorsk Råd). Le premier sommet du Conseil Economique de l’Arctique a eu lieu les 2-3 septembre derniers. En somme, une architecture de gouvernance a émergé, avec ses propres codes.
La France sur la sellette
Dans son rapport publié en juillet, le sénateur EELV André Gattolin se demande ce que peut la France en Arctique. Fouillé, ce rapport relance le débat. Cela dit, il brosse un portrait à la fois trop pessimiste de la réalité du marché arctique, et trop optimiste quant à la perception de la France dans la région.
Les nombreuses entreprises françaises présentes en Arctique n’en parlent pas trop… Elles y jouissent pourtant d’une image de sérieux et de haute technicité. Leurs ingénieurs sont très prisés. La France scientifique y est aussi présente, mais demeure dominée par l’Allemagne.
Le problème vient-il alors du politique? La France est reçue avec amitié par ses partenaires arctiques qui lui demandent de mettre la main au portefeuille… en vain. Premier écueil.
Mais surtout, le slogan “sanctuarisation de l’Arctique” est devenu la doctrine française. C’est principalement cette doctrine néo-fonctionnaliste qui provoque aujourd’hui le mépris cordial de nos partenaires influents en Arctique.
Dans les conventions, colloques et sommets, l’on a déjà entendu: “Quelle est la valeur ajoutée des Français ?”. Certains diplomates ne se font même pas prier pour fustiger “l’ingérence”, “les leçons”, la politique “environnementaliste”, voire “le mépris » de la France pour les intérêts de ses partenaires.
Surtout, ce que le rapport Gattolin ne dit pas, c’est que des voix se font désormais entendre pour permettre au Conseil de l’Arctique de révoquer un pays observateur. Tandis que le Mexique veut son ticket pour l’Arctique, la France est dans la ligne de mire!
Inaudible, comment peser sur Bruxelles?
Le rapport appelle Paris à peser sur la stratégie arctique de la Commission Européenne qui doit être publiée fin 2015. Or, la Commission est déja lancée dans une opération séduction pour légitimer sa place en Arctique, avec une doctrine pro-business portée par la Finlande, aux antipodes du discours français.
La France est le dernier grand pays à n’avoir de stratégie arctique et n’en aura pas avant l’automne 2015, au mieux. Comment Paris pourrait influencer Bruxelles davantage que Stockholm, Helsinki ou Nuuk?
De plus, pour rattraper son propre retard, la France devra impérativement proposer un projet géoéconomique réaliste : elle devra définir et faire valoir la valeur ajoutée française aux affaires polaires, puis aller convaincre de sa valeur dans tous les sommets et colloques à travers la région!
Il faut revoir la pensée stratégique polaire française
Pour mener ce travail de longue haleine, il faut supprimer le poste d’ambassadeur pour les pôles. Qui que puisse en être le dépositaire, sa capacité d’engagement est trop restreinte pour à la fois rattraper le retard français en Arctique et développer une stratégie officielle pour les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) —stratégie qui, elle aussi, fait toujours défaut.
Comme pour le Royaume-Uni, le polaire en France n’est pas qu’une question de politique extérieure: territoire sub-Arctique sur le continent nord-américain, Saint-Pierre-et-Miquelon a potentiellement une forte carte à jouer dans le développement économique de l’Arctique.
Outre-manche, c’est précisément pour palier les limites du rôle d’ambassadeur que Londres s’est doté d’un « Minister for the Polar Regions ». Confrontée aux mêmes enjeux d’une politique polaire à la fois intérieure et extérieure, la France devrait suivre cet exemple.
Une solution de court-terme serait de coordonner les cellules ministérielles françaises existantes autour d’un Secrétariat Général aux affaires Polaires. Directement relié au cabinet du Premier ministre, ce SGPolaire s’inspirerait de la nouvelle méthodologie mise en place cette année par le Secrétariat Général de la Mer (SGMer) pour établir une stratégie polaire française.
Mais surtout, il faudra créer à l’horizon 2017 un secrétariat d’État a l’Économie Polaire et Maritime. Voilà le meilleur moyen de faire converger la croissance bleue (Blue Growth) et l’économie polaire (Polar Economy) en favorisant les synergies et innovations de rupture qui feront la croissance et la géopolitique de demain.
Fortement marginalisée, la France se voit progressivement éjectée du grand jeu Arctique… Mais il n’est pas trop tard, Paris peut et doit recrédibiliser sa voix!