BLOGUE – Voyages en Arctique : Justin Trudeau doit-il suivre l’exemple de Stephen Harper?

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En 2017, le premier ministre du Canada Justin Trudeau a choisi le mois de février pour visiter Iqaluit, au Nunavut. (Sean Kilpatrick/La Presse canadienne)
Cette question fut posée pour la première fois à l’été 2016, premier été de Justin Trudeau au pouvoir suivant son élection en octobre 2015. Nul doute que cette même interrogation sera ressortie cette année, sur les médias sociaux ou traditionnels.

Son prédécesseur, Stephen Harper, avait fait de ces tournées annuelles une tradition. Habituellement tenue au mois d’août de 2006 à 2014, ces visites voyaient le premier ministre, bien souvent entouré de plusieurs ministres importants et d’une horde de journalistes, faire le tour des territoires nordiques canadiens, la plupart du temps en s’arrêtant au Nunavut, aux Territoires du Nord-Ouest et au Yukon.

Justin Trudeau doit-il imiter cette initiative? La question repose sur une prémisse: ces tournées estivales ont pour conséquence de mettre les projecteurs directement sur l’Arctique canadien, et de ce fait, de contribuer à stimuler la conversation (un terme à la mode…) nationale sur l’avenir de l’Arctique canadien. Cette discussion tentait d’évaluer les efforts déployés jusqu’à maintenant par le gouvernement canadien pour affirmer sa souveraineté et gouverner son Arctique.

Opérations militaires et médiatiques
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Au mois d’août 2014, le premier ministre Stephen Harper (gauche) discute avec des officiers des Forces armées canadiennes et le ministre de la défense nationale Rob Nicholson sur l’île de Baffin, au Nunavut. (Adrian Wyld/La Presse canadiene)

Les voyages du premier ministre Harper étaient aussi prévus à un temps de l’année tranquille du point de vue médiatique. De plus, ces tournées coïncidaient avec la tenue d’opérations militaires, les opérations NANOOK. Coordonnées et opérés par les Forces canadiennes, la tournée permettait d’attirer l’attention sur l’affirmation de la souveraineté canadienne dans l’Arctique. Grosso modo, il s’agissait d’un moment fort qui permettait de mettre à l’avant-scène une région reculée du pays et pour laquelle la société canadienne éprouve un problème d’amnésie ponctuelle.

Il faut par contre souligner le caractère partisan de ces tournées pour y mettre des bémols. Les gouvernements conservateurs successifs ont saisi l’enjeu de l’Arctique car celui-ci rapportait des points politiquement. Dans une étude que j’ai réalisée en 2016 avec un collègue, Paul Minard, nous avons calculé que, de 2006 à 2014, le Parti conservateur jouissait d’une augmentation moyenne de 2,3% dans les intentions de vote après ces voyages.

Des priorités conservatrices?
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En août 2010, le premier ministre du Canada Stephen Harper descend d’un iceberg pendant l’opération NANOOK, lors de son voyage annuel en Arctique. (Sean Kilpatrick/La Presse canadienne)

Ces tournées étaient aussi hautement structurées par l’entourage du premier ministre, en mettant l’accent sur les priorités des conservateurs. Le développement des ressources naturelles et la promotion des Forces armées canadiennes faisaient constamment partie des sujets abordés. Toutefois, plusieurs annonces de politiques sociales et environnementales (la création de parcs nationaux par exemple) ont aussi été faites au fil des années. De plus, les opérations NANOOK, pilotées par l’armée canadienne, ne concernaient pas d’éventuelles menaces militaires: les scénarios de simulation pendant ces entraînements mettaient en scène la réactivité à une marée noire ou l’arrestation de trafiquants de toutes sorte.

En analysant toutes ces composantes, la question importante devient : pourquoi le premier ministre Trudeau n’a-t-il pas continué cette tradition? Payant politiquement, les scénarios des opérations NANOOK n’avaient pas une nature nécessairement conservatrice.  Protéger l’Arctique de l’intrusion d’éléments criminels ou se préparer à une marée noire représentent aussi des priorités libérales.

Un contexte privilégié
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Les champs de glace de l’île d’Ellesmere, au Nunavut, se retirent sous l’effet de températures de plus en plus chaudes. (Mario Tama/Getty Images)

De plus, le temps de l’année semble idéal pour souligner l’imminence du réchauffement climatique : septembre est en général le mois le plus chaud dans l’Arctique canadien, un moment où les glaces sont habituellement les plus minces et où une partie du couvert de glace a fondu. Le premier ministre utilisait ce contexte pour réaffirmer l’urgence de défendre la souveraineté et la sécurité arctiques au Canada. En effet, une fois libérées des glaces, les eaux arctiques pourraient voir l’arrivée d’éléments indésirables dans la région. Pour le gouvernement Trudeau, un Arctique libéré de glaces serait la plus spectaculaire illustration de l’urgence d’agir pour amoindrir l’impact du réchauffement climatique global.

Mathieu Landriault

Mathieu Landriault enseigne la science politique à l'Université d'Ottawa. Il est chercheur associé au Centre interuniversitaire de recherche sur les relations internationales du Canada et du Québec (CIRRICQ). Ses travaux se concentrent sur des questions de sécurité et souveraineté arctiques ainsi que sur des enjeux touchant la politique étrangère canadienne.

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