Le partage du caribou au cœur de la tradition inuit dans le Grand Nord canadien

Chaque année, les chasseurs inuit des villages du Nunavik bravent le froid polaire pour chasser des caribous et distribuer la viande dans leur communauté.
Ils profitent d’un système de rachat de gibier pour financer leurs expéditions. Celles-ci sont de plus en plus ardues en raison du déclin de l’espèce, qui a une importance culturelle capitale pour eux.
Au bureau du programme de soutien des chasseurs de Kuujjuaq, le congélateur communautaire est très bien garni.

Les chasseurs inuit ont été visiblement chanceux depuis le début de la saison. Des dizaines de quartiers de caribou sont entreposés ici.
Avec -35 degrés Celsius au thermomètre en cette fin du mois de janvier, nul besoin d’utiliser les compresseurs du congélateur pour conserver la viande.
Quelques travailleurs s’occupent de débiter les quartiers, avant de les couper en plus petites portions.

« On distribue la viande d’abord aux aînés, c’est notre priorité. On la livre aussi au reste de la communauté. C’est très important, parce que ce n’est pas tout le monde qui a la chance d’aller à la chasse », explique le coordonnateur du programme de soutien des chasseurs de Kuujjuaq, Silas Snowball.
Chaque partie de l’animal sera consommée, de la tête aux plus gros organes.
« Comme nos ancêtres avant nous, même la fourrure est utilisée pour des matelas durant les expéditions, pour des sièges et pour des manteaux », ajoute Silas Snowball entre deux clients venus chercher leur provision de viande gratuite.
Avant d’en arriver-là, les caribous doivent toutefois être ramenés, ce qui est une opération de plus en plus difficile d’après les chasseurs de Kuujjuaq.
La migration du troupeau de la rivière aux Feuilles s’est modifiée au fil des années et les chasseurs doivent parcourir parfois plus de 200 kilomètres en motoneige dans la toundra et la forêt boréale avant d’apercevoir les caribous.

L’opération est difficile, et les chasseurs doivent camper durant plusieurs jours, dans des températures polaires et à la merci des éléments.
C’est le cas du chasseur Jobie Tukkiapik, qui, malgré son emploi à temps plein, perpétue cette tradition.
Avec ses coéquipiers, il a pu ramener 17 caribous, dont la plupart ont été vendus au programme de soutien des chasseurs de Kuujjuaq.
« On garde ce dont on a besoin, et le reste, on le redistribue à la communauté », dit-il.

Il bénéficie d’un tarif de 5 $ par livre de viande dans le cadre du programme. La somme est juste, selon lui, et lui permet de couvrir une partie des dépenses liées aux expéditions.
« C’est sûr que tu as besoin d’un autre emploi pour bien vivre. La saison de chasse est devenue très chère. Les traîneaux, les motoneiges, ça représente des dizaines de milliers de dollars […] Tu ne deviendras pas riche avec ça », indique-t-il.
Jobie Tukkiapik se souvient d’une époque où les caribous passaient près de la communauté de Kuujjuaq et étaient beaucoup plus faciles à chasser.
Malgré ces changements, les chasseurs continuent de fournir cette viande traditionnelle à leur communauté.

Importance culturelle
Le programme de rachat de caribou a une double fonction culturelle : perpétuer la pratique de la chasse, mais aussi celle de la consommation de viande sauvage, qui est partie prenante de la diète inuit traditionnelle.
« C’est quelque chose qu’on voudrait ne jamais abandonner. La nourriture traditionnelle est tellement appréciée, c’est un mode de vie. Très souvent, dans les familles, les gens se rassemblent, assis par terre, pour partager le gibier », mentionne Jobie Tukkiapik.
Le financement public de cette denrée grâce au programme de rachat, qui est assuré par l’Administration régionale Kativik, est primordial pour la mairesse de Kuujjuaq, Mary Johannes.
« Ça fait vraiment partie de notre identité […] On grandit en mangeant cette viande! », affirme-t-elle.

Elle ajoute que l’inflation galopante de la dernière année et les prix à la hausse des denrées dans la région confirment la nécessité du programme de rachat.
« C’est vraiment important pour notre communauté, surtout quand on pense à nos aînés, qui n’ont plus la chance d’aller chasser et pour qui acheter de la viande au magasin est de plus en plus difficile », explique Mary Johannes.
L’engouement des jeunes pour la chasse fait d’ailleurs plaisir à la mairesse, la plupart des chasseurs qui contribuent au programme ayant entre 20 et 35 ans.
Elle espère seulement que le déclin du caribou migrateur va ralentir afin de pouvoir perpétuer cette pratique si importante pour l’ensemble des communautés inuit du Nunavik.
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