Clyde River, le village inuit qui a dit non au pétrole

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Clyde River, au Nunavut. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)
C’est un début. C’est un peu l’histoire de David contre Goliath. Une petite communauté inuite qui a réussi à bloquer un projet pétrolier. Un village qui voulait être entendu et, surtout, qui voulait préserver son mode de vie. Rencontre avec des Inuits qui veulent aller vers l’avenir en ne laissant pas leur passé derrière.

Clyde River se réveille. La mer est calme. Trois hommes prennent leurs fusils et leurs harpons, les déposent dans leur bateau puis, avec l’aide d’enfants, le font rouler sur des tubes pour le mettre à l’eau. Une journée normale de chasse-pêche aux narvals et phoques pour les habitants de la petite communauté.

Leur victoire en Cour suprême n’a rien changé à leur quotidien, si ce n’est au moins cette fierté de dire à qui veut l’entendre que les Inuits de cette communauté du nord de l’île de Baffin, au Nunavut, se sont battus. Et qu’ils ont gagné.

Une victoire sans appel à la mi-juillet. Les habitants s’opposaient à l’autorisation accordée en 2014 par l’Office national de l’énergie au consortium norvégien Petroleum GeoService (PGS) d’effectuer des essais sismiques dans les eaux côtières. PGS voulait mesurer, grâce à des canons à air produisant des ondes sonores, les potentiels gisements de pétrole, à proximité du village. La Cour suprême leur a donné raison.

«La nourriture de notre pays»
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Une journée normale de chasse et pêche pour les gens de Clyde River. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

Ici, la chasse et la pêche font partie de la tradition, de la culture, mais surtout du quotidien. Elles permettent de remplir des réfrigérateurs souvent vides vers la fin du mois.

« Chaque jour, les gens mangent ce qu’on appelle la nourriture de notre pays : de la viande de baleine, de phoque, du poisson. Tout ce qui vient de notre terre (et de l’océan), les gens en mangent tous les jours », lance Jerry Natanine. L’ancien maire, qui a revêtu son treillis militaire, son sweat-shirt rouge et sa casquette rouge de Rangers, a été l’homme qui a mené la bataille soutenue – chose historique pour une communauté inuite – par Greenpeace « et le monde entier », renchérit un autre homme.

« Les habitants, mon père particulièrement, m’ont dit que, dans les années 70, il y a déjà eu des expériences avec des tests sismiques. Et elles ont eu un effet terrible sur les phoques ». Il suffit de poser la question à un ancien pour qu’il se remémore.

Isa Piungituq, cheveux et moustache grisonnants, 63 ans et toujours chasseur, se souvient que les phoques ne pouvaient plus entendre, que leurs oreilles saignaient, et que ça avait été dévastateur. « Comme je suis un ancien, j’ai une voix. On a donc aidé les plus jeunes à comprendre les possibles problématiques de ce genre de tests. »

Soutien et fierté
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Une banderole blanche avec l’inscription en anglais « Clyde River gagne » est affichée dans le gymnase du centre communautaire. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

Jerry Natanine a alors réuni les chasseurs, les pêcheurs et les anciens, et leur a demandé s’ils voulaient se battre contre les tests. Tout le monde était d’accord pour que l’on ne perturbe pas la vie marine.

Au centre communautaire, dans le gymnase, la fierté se lit sur les affiches placardées sur les murs. Le soutien que la communauté, située au nord de l’île de Baffin, a reçu aussi. Impossible de les louper.

Une banderole blanche, avec l’inscription en anglais « Sauvons l’Arctique, c’est notre territoire », côtoie une autre jaune pétard avec « Stoppons les tests sismiques » inscrit en anglais et en inuktitut. Puis à côté, encore une autre, celle-là vient d’Iqaluit qui dit merci à Clyde River ou encore « Nous soutenons Clyde River », avec des milliers de signatures.

Cette bataille n’est pas qu’environnementale
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Isa Piungituq, 63 ans et toujours chasseur. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

Tina Kuniliusie, 31 ans, n’arrête pas de sourire. Elle est contente d’avoir gagné. Parce que « déjà, on nous a relocalisés, on a tué nos chiens, contre notre volonté, et ces tests, c’était encore la même chose. Or, on sait que c’est dangereux pour les animaux. Ils seront affectés ».

C’est comme ça qu’on nous voit. Ils ne nous demandent rien, car on n’a rien, mais si on documentait plus notre culture, on nous respecterait plus.

 Tina Kuniliusie, 31 ans

Le vieil Isa Piungituq aussi a du mal à digérer le fait qu’on ait voulu faire des tests sans les consulter. « Avec la technologie, les ordinateurs, on peut voir les paysages et avoir un aperçu sans avoir mis les pieds ici une seule fois. Des gens à l’autre bout de l’océan veulent implanter des choses, sans être venus », répète-t-il.

Sans être venus, sans même leur avoir parlé. Eux qui ont la connaissance. Lui qui enseigne l’art de la chasse au printemps. Lui qui a constaté rien qu’en regardant les étoiles que la Terre avait un peu changé d’axe.

« On veut une complète implication »

Les habitants du village ne sont pas forcément opposés à toute forme de développement, y compris pétrole et gaz. « C’est toujours ouvert », précise Jerry Natanine. « On n’est pas complètement contre le développement, mais on veut être les partenaires des projets et en tirer des bénéfices, car si ça arrive à un point où on ne pourra plus chasser de baleines, de phoques et d’autres animaux, ce sera un désastre pour notre culture. Peu importe les tests, les activités de développement, on veut une complète implication, qui comprend l’évaluation de l’impact environnemental. On ne voulait pas l’arrêter juste pour l’arrêter parce qu’évidemment on a besoin d’argent. »

L’ancien maire fait référence au manque de maisons disponibles (cinq ans d’attente), d’infrastructures, d’emplois et d’argent pour acheter l’équipement de chasse. Il a une pensée pour les enfants qui jouent autour, casquettes de Superman vissées sur leur tête.

Et si on lui demande son avis d’aîné, Isa Piungituq répondra qu’il n’est pas favorable personnellement à l’exploration pétrolière ou gazière. Mais en même temps, il y est favorable, car ça pourrait créer des emplois. Sa solution : des activités de développement sur la terre, mais pas dans l’océan. Qu’on touche à son océan l’inquiète, car « s’il y a un accident dedans, c’est plus difficile à nettoyer à cause de la houle et des baleines, alors que la terre, on peut toujours la nettoyer ».

C’est maintenant le soir. Le soleil ne se couche pas sur Clyde River. En cette période de l’année, il fait jour presque 22 heures sur 24, mais c’est tout de même de la fin de la journée. Les 4 roues font des va-et-vient dans le village. Un chasseur rentre chez lui et dépose son fusil sur le pas de la porte.

Marie-Laure Josselin, Radio-Canada

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