Des denrées alimentaires hors de prix au Nunavut

Des céréales à 19 $ dans une épicerie du Nunavut. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)
Le coût de l’alimentation au Nunavut, au Canada, est si élevé qu’il est difficile pour de nombreuses familles de joindre les deux bouts. Pour s’en sortir, elles trouvent toutes sortes de moyens, dont l’échange sur Internet.

Sonny Natanine, jeune mère monoparentale de Clyde River, sur l’île de Baffin, voulait bien raconter son quotidien et le coût de la vie au Nunavut.

La rencontre s’était faite grâce à Facebook, un réseau social particulièrement utilisé dans les communautés inuites. Sauf que Sonny ne donnait plus de nouvelles depuis quelques jours. En fait, elle ne pouvait plus payer sa facture et n’avait donc plus Internet.

Il a alors fallu trouver sa maison, en posant des questions à gauche, à droite. « C’est ici. Mais surtout, ne frappe pas à la porte. Ici, on ne frappe pas. Seule la GRC le fait, et c’est rarement pour une bonne nouvelle. »

Faire ses bottes soi-même pour économiser

Sonny sort de chez elle et m’invite du haut des escaliers : « Entre, je vais te montrer mes bottes faites en peau de phoque ».

Sonny Natanine a pris 20 jours pour fabriquer ces bottes. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

Sonny a terminé la veille ses bottes noir et blanc avec des touches de rouge et de vert. Cette première paire qu’elle a confectionnée représente bien plus qu’un moment de couture. C’est l’assurance d’avoir les pieds au chaud tout l’hiver et surtout plus d’argent à consacrer à autre chose qu’à l’achat de bottes.

Car Sonny Natanine ne travaille pas, raconte-t-elle, en montrant les meubles de sa maison. « Que du seconde main, parce que je ne peux me payer que ça », glisse cette mère de deux filles âgées de 8 et 14 ans.

Alissa, 8 ans, la plus jeune fille de Sonny Natanine. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)
Vivre au jour le jour

Au Nunavut, le taux de chômage est deux fois et demie supérieur à celui du Canada. Sonny a repris les études pour devenir professeure. Alors, en attendant cette précieuse paye, elle essaie de vivre au quotidien.

Aujourd’hui, elle regarde son calendrier et annonce qu’il lui reste neuf jours avant de recevoir son chèque à l’enfance et qu’elle ne sait pas trop comment faire.

Son réfrigérateur est peu garni. Dans le congélateur, un mélange de fruits, un paquet de légumes, de la viande gagnée la veille. Dans le reste, des œufs, du jus, quelques aliments.

Sonny Natanine montre le contenu de son réfrigérateur. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)
« C’est tout ce que j’ai. Je n’ai pas beaucoup plus, mais c’est comme ça qu’on fait, qu’on survit, jour après jour. »

– Sonny Natanine

Des jours, elle n’a pas à manger, et ces jours arrivent souvent à la fin du mois, avoue cette femme toute menue. L’épicerie, c’est le plus gros trou dans son budget.

La nourriture deux fois plus chère qu’ailleurs
Le dentifrice coûte cher au Nunavut. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

Au supermarché de Clyde River, comme à celui de Pond Inlet ou Qikiqtarjuaq, deux autres communautés de l’île de Baffin, on trouve un paquet de céréales de 1,12 kg pour 19 $, du glaçage fouetté pour 12,79 $, du dentifrice à 11 $, sans compter le prix des fruits et légumes.

Un habitant du Nunavut va payer, de manière générale, 2,2 fois plus cher un article ou un aliment qu’un autre Canadien.

Selon une étude de 2014, les coûts d’épicerie pour une famille de quatre au Nunavut sont d’environ 19 750 $ par année, alors que la moitié des adultes inuits gagnent moins de 20 000 $ par année.

Conséquence : selon un rapport d’experts sur la sécurité alimentaire dans le nord du Canada, publié en 2014, au moins 35 % des ménages du Nunavut n’ont pas assez à manger. D’autres rapports parlent de 70 %. Et trois enfants inuits d’âge préscolaire sur quatre sautent régulièrement des repas.

Un supermarché de Pond Inlet, au Nunavut. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)
Faire venir des articles du sud

Alors tous les moyens sont bons pour essayer de trouver des solutions. Il y a ceux, avec des moyens, qui vont dans le sud et se font expédier des marchandises. Un père de famille inuite, qui travaille, raconte qu’il paie chaque année environ 700 $ pour se faire expédier des affaires achetées chez Costco, et que le coût des achats – de la boîte pour les mettre dedans et l’envoi – est de 1500 $ au total.

Plusieurs sites proposent des solutions pour expédier de la marchandise moins chère grâce à des commandes en ligne.

L’échange, par l’entremise d’Internet par exemple, est aussi une autre solution. L’un des groupes de vente et d’échange, Iqaluit Sell-Swap, compte plus de 24 000 membres, alors que la population du Nunavut est d’un peu plus de 37 000 personnes.

Partager le poisson et le phoque

Il y a bien sûr le partage. Les chasseurs et les pêcheurs offrent une partie de ce qu’ils ont attrapé. Comme le morceau de phoque enveloppé dans un sac plastique que Sonny garde dans son réfrigérateur. Elle l’a eu la veille et a déjà commencé à en frire une partie. « Mes enfants mangent mieux que moi, c’est sûr. »

Pourtant, cette notion de partage, ancrée dans les traditions inuites, tend à diminuer. Et cela désole le vieux Levi Mutaralak, 80 ans, de Clyde River.

Levi Mutaralak (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)
« On nous a toujours appris à donner et à partager la nourriture sans la vendre. Mais maintenant, avec l’économie actuelle, on a besoin d’argent, et les gens se mettent à vendre la nourriture qu’ils attrapent plutôt que de la partager. »

– Levi Mutaralak

Autre initiative, celle du groupe Feeding My Family, qui dénonce, grâce à des photos notamment, les prix exorbitants dans le nord et qui essaie d’encourager des changements chez les décideurs gouvernementaux.

Un colis pour l’anniversaire d’un enfant du nord

Le Northern Birthday Box Project compte 10 000 membres dans un groupe fermé sur Facebook. Son but : mettre en relation, au hasard, des personnes du sud prêtes à envoyer un colis pour l’anniversaire d’un enfant du nord. Le répondant reçoit l’information sur l’âge, le sexe, le nom de l’enfant ainsi que ses goûts. Tous les frais, y compris ceux de transport, sont couverts par le répondant.

En août, 190 boîtes ont été envoyées. La moyenne, chaque mois, tourne autour de 150. Cent cinquante enfants qui fêtent leur anniversaire avec un thème de hockey, de princesse ou de Minions.

Tammy Scott, une résidente de Chelsea de passage à Qikiqtarjuak, sur l’île de Baffin, n’en revient pas. Elle jette un regard derrière elle et pense avoir reconnu l’enfant à qui elle a envoyé la boîte d’anniversaire. Mais, même si on lui parle en inuktitut, l’enfant, visiblement timide, part avec son vélo.

« Un mélange à gâteau que je paie 2 $ à Chelsea, ici c’est entre 15 $ et 20 $. Je savais qu’il aimait beaucoup le thème Star Wars, alors je lui ai préparé des choses en lien avec ça », précise la mère de famille.

« En voyant le village en personne, je m’aperçois à quel point ce n’est pas farfelu comme projet. »

– Tammy Scott

Sur la page Facebook du projet, les photos s’enchaînent, avec toujours, dessus, des gâteaux très travaillés, des sourires et des remerciements à la personne qui a envoyé la boîte.

Pour Sonny Natanine, le projet aide beaucoup, car pour préparer un anniversaire pour un enfant, il faut prévoir une centaine de dollars, juste pour la décoration, la préparation à gâteau, les assiettes.

« Cela aide vraiment les enfants à bien célébrer leur anniversaire, car ici, si tu veux décorer selon le thème que ton enfant aime, tu ne trouves rien. Mon cousin a reçu sa boîte et c’était un anniversaire magnifique. »

– Sonny Natanine

Marie-Laure Josselin, Radio-Canada

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