Il y a 40 ans, un satellite nucléaire russe s’écrasait au Canada
Il y a 40 ans, un satellite espion russe contenant un générateur nucléaire pour le faire fonctionner s’est écrasé dans les Territoires du Nord-Ouest. Le laboratoire nucléaire de Whiteshell, au Manitoba, a été chargé d’analyser les débris. Retour sur cet incident hors du commun.
24 janvier 1978, quelques heures après minuit. Une lumière déchire le ciel des Territoires du Nord-Ouest. Le satellite russe Cosmos 954 vient de s’écraser sur le territoire canadien, faisant du Canada le théâtre du premier incident nucléaire spatial, en pleine guerre froide entre les États-Unis et l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS).
Par chance, les débris du satellite-espion, lancé dans l’espace en septembre 1977, tombent sur une zone quasiment inhabitée. Ils sont éparpillés le long d’une bande allant du Grand Lac des Esclaves au lac Baker, soit environ 120 000 kilomètres carrés.
Très vite, des moyens sont mis en place pour déterminer si des débris radioactifs se sont écrasés au sol. La base des Forces armées canadiennes de Namao, près d’Edmonton, devient le quartier général des opérations. Dès le 24 janvier, une reconnaissance aérienne du lieu de l’écrasement est effectuée, à la recherche de traces de radioactivité.
Un satellite défectueux
La population, dans un premier temps, ne sait rien de cette histoire. Mais les militaires, eux, savent depuis plusieurs mois que ce satellite va retomber sur la Terre. « Les Américains sont au courant assez rapidement, à partir du mois de novembre, que le satellite Cosmos 954 commence à dévier un peu de son orbite normale et risque de s’écraser », explique Maxime Minne, chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis à la Chaire Raoul Dandurand en études stratégiques et diplomatiques à l’Université du Québec à Montréal.
Au début de janvier 1978, le système qui stabilise l’altitude du satellite tombe en panne. Dès lors, l’engin conçu à des fins d’espionnage ne peut que retomber sur Terre.
– Maxime Minne, chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis à la Chaire Raoul Dandurand en études stratégiques et diplomatiques à l’Université du Québec à Montréal
Opération Morning Light : la récupération des débris
Dans les semaines qui suivent l’écrasement du satellite, une opération massive de nettoyage et de récupération des débris est lancée : l’opération Morning Light.
Des dizaines de militaires et de scientifiques travaillent dans des conditions extrêmes sur un territoire isolé, dans un paysage désolé.
Les débris récupérés sont envoyés pour analyses au laboratoire atomique du Whiteshell, près de Pinawa, au Manitoba. Le premier convoi arrive le 5 février. « On a reçu des sacs de neige radioactive », se souvient Dennis Chen, un des scientifiques qui ont participé aux analyses des débris. « Nous l’avons fait fondre et avons filtré l’eau pour détecter de toutes petites particules radioactives invisibles à l’œil nu », explique-t-il.
– Dennis Chen, ancien scientifique au laboratoire nucléaire du Whiteshell, au Manitoba
L’opération Morning Light a été découpée en deux phases et a duré jusqu’en octobre. Au total, selon le rapport du gestionnaire de la branche des sciences analytiques en chimie du laboratoire, R.B. Stewart, des centaines de débris ont été examinés, et plus de 4700 analyses ont été réalisées. Un rapport de la Commission de contrôle de l’énergie atomique évalue le poids des débris récupérés à environ 65 kg. Entre 10 et 15 personnes travaillaient de façon continue sur ce dossier au laboratoire du Whiteshell.
« C’était vraiment excitant, s’enthousiasme Dennis Chen. Le concept que quelque chose provenant de l’espace s’écrase sur Terre et qu’on ait l’occasion de mener des analyses, ça n’arrive qu’une fois dans une vie! Ça ne s’est jamais reproduit depuis. »
Les Américains à la recherche de la technologie russe
Bientôt, des débris plus gros et plus radioactifs arrivent au laboratoire. C’est le cas, notamment, de certaines parties du générateur qui n’avaient pas complètement fondu à leur entrée dans l’atmosphère.
Les équipes de Dennis Chen doivent prendre des précautions supplémentaires et intervenir à distance, les débris étant placés dans des cellules isolées.
Tout se passe sous l’œil des Américains, présents au laboratoire pour « examiner nos résultats », se souvient Dennis Chen. Si les scientifiques du laboratoire n’avaient pas pour but d’analyser la technologie russe, les Américains, eux, s’y intéressaient évidemment. « Ils voulaient comprendre comment les Russes transformaient la chaleur du réacteur en électricité. C’est ça, le but final », précise Dennis Chen.
« La réaction des Américains était surtout de savoir ce qu’il était possible de faire pour reprendre les débris [éparpillés dans les Territoires du Nord-Ouest] et de exactement quelle était la technologie [employée par les Russes] à l’époque », renchérit Maxime Minne.
Compensation financière
L’écrasement du satellite Cosmos 954 a mis en lumière les dangers que peut représenter ce type de satellite, qui fonctionne grâce à l’énergie atomique. « Cosmos 954 est la crise par excellence d’un satellite avec des risques nucléaires qui tombe dans un pays étranger », explique Maxime Minne.
Cet avertissement n’a pas arrêté l’envoi de ce genre d’engins dans l’espace. « Tout a continué après. Jusqu’en 1988, on a lancé des satellites Cosmos qui fonctionnaient à l’énergie nucléaire », ajoute le chercheur.
– Maxime Minne, chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis à la Chaire Raoul Dandurand en études stratégiques et diplomatiques à l’Université du Québec à Montréal
Néanmoins, les Américains n’ont pas été autorisés à repartir avec les débris. Le Canada a, en effet, tenté d’obtenir des dédommagements auprès du gouvernement soviétique. « Il en a obtenu à peu près 3 millions de dollars canadiens à l’époque, sachant que le coût total estimé dépassait 12 millions de dollars », précise Maxime Minne.
Un chiffre qui, s’il donne un peu le tournis, fait tout de même pâle figure face aux risques encourus par les populations à l’époque.
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